« L’eau c’est la vie » a-ton l’habitude de dire.Et nous le savons bien, le droit à la vie est le plus fondamental des droits de l’homme. Depuis quelques temps l’on constate au Burkina Faso diverses violations des droits de l’homme.L’eau ne serait-il pas un droit de l’homme ? Par droit de l’homme on entend « l’ensemble des prérogatives juridiques assurant la dignité humaine en vertu d’une garantie normative et d’une protection institutionnelle».Dès lors il y a lieu de se demander s’il existe ou non un droit à l’eau. La question n’est pas banale. Elle est très pertinente eu égard à l’actualité qui fait écho d’une situation humanitaire dans une localité du pays en raison d’un manque criarde d’eau potable.Il s’agit précisément de Djibo, dans la province du Soum.Si ce droit existe il serait sans doute classé parmi les droits économiques, sociaux et culturels.La satisfaction de ce droit impliquerait donc non pas une abstention comme c’est le cas pour les droits-libertés, mais plutôt une action positive de l’Etat.Voyons ce qui pourrait justifier la consécration de l’eau en un droit.
L’eau est d’une importance capitale. Elle est l’essence de la vie, il est plus qu’évident qu’on ne peut vivre sans eau.Bref, elle est indispensable à la vie de l’Homme. Pour se convaincre du caractère fondamental et vital de l’eau,prenons pour exemple la crise sanitaire actuelle liée au Covid-19. Cette crise qui exige des gestes barrières élémentaires pour stopper la transmission de la maladie confirme la nécessité absolue de l’eau.L’un de ces gestes est sans doute le lavage régulier des mains. Mais comment se laver les mains avec de l’eau si elle n’existe même pas pour étancher sa soif ? La conséquence immédiate du manque d’eau est l’impossibilité donc de limiter la propagation de la maladie chez les populations qui n’en disposent pas.
Recherchons à présent l’existence de traces d’un droit à l’eau dans les instruments juridiques nationaux et internationaux.
Pour ce faire intéressons-nous à la définition conceptuelle et à la justiciabilité du droit à l’eau.
A- Définition conceptuelle et justiciabilité du droit à l’eau.
Définition conceptuelle du droit à l’eau
Quoique essentielle à la vie, l’eau ne se trouve guerre expressément consacrée comme un droit aussi bien dans notre constitution que dans les instruments internationaux auxquels le Burkina est partie.
Toutefois, il serait un droit implicitement consacré, c’est-à-dire un droit en filigrane, un droit que l’on peut extraire à partir d’un ou de plusieurs droits expressément consacrés. Pour exemple le droit à l’eau pourrait être implicitement déduit des articles 11 et 12 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). Telle a été d’ailleurs l’avis du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, organe chargé de l’interprétation du PIDESC, dans son Observation générale n°15 intitulé « le droit à l’eau (art.11 et 12 du PIDESC ». Dans cette observation générale n°15, on peut lire en son paragraphe 2 ceci :
« Le droit à l’eau consiste en un approvisionnement suffisant, physiquement accessible et à un coût abordable, d’une eau salubre et de qualité acceptable pour les usages personnels et domestiques de chacun. »
Le paragraphe 12 de l’observation donne les éléments clés de la définition quand il indique que: « La disponibilité implique une quantité suffisante et constante d’eau pour les usages personnels et domestiques » .Il résulte de l’observation que par «constante» ,il faut entendre l’approvisionnement en eau doit être suffisamment régulier pour les usages personnels et domestiques. Les usages personnels et domestiques se rapportent à la consommation, l’assainissement individuel, le lavage du linge, la préparation des aliments ainsi que l’hygiène personnelle et domestique. Par «consommation», il faut« entendre la consommation d’eau contenue dans les boissons et dans les denrées alimentaires». Et par «assainissement individuel», « l’évacuation des excréments humains, l’eau étant nécessaire dans certains systèmes .L’observation y précise que la quantité d’eau disponible pour chacun doit correspondre aux directives de l’Organisation mondiale de la santé (OMS ) .1
Il faut noter qu’il existe des groupes ou des particuliers qui ont besoin d’eau en quantité plus importante en raison de leur santé, du climat ou de leur travail.
La qualité implique l’observation de certaines indications. En effet, Il résulte du paragraphe 12 .lettre b que « L’eau nécessaire pour chaque usage personnel et domestique doit être salubre et donc exempte de microbes, de substances chimiques et de risques radiologiques qui constituent une menace pour la santé».2
En outre, il est également mentionné que l’eau doit avoir une couleur, une odeur et un goût acceptables pour chaque usage personnel ou domestique.
Qu’en est-il de l’accessibilité de l’eau ?
L’accessibilité comporte quatre dimensions. Elle est physique ce qui suppose que « l’eau ainsi que les installations et services adéquats doivent être physiquement accessibles sans danger pour toutes les couches de la population».Cela implique que « Chacun doit avoir accès à une eau salubre, de qualité acceptable et en quantité suffisante au foyer, dans les établissements d’enseignement et sur le lieu de travail, ou à proximité immédiate».3
Elle est économique .Ce qui suppose que « l’eau, les installations et les services doivent être d’un coût abordable pour tous. Les coûts directs et indirects qu’implique l’approvisionnement en eau doivent être raisonnables, et ils ne doivent pas compromettre ou menacer la réalisation des autres droits consacrés dans le Pacte »
Elle est insusceptible de discrimination, c’est-à-dire que « L’eau, les installations et les services doivent être accessibles à tous, en particulier aux couches de la population les plus vulnérables ou marginalisées,en droit et en fait, sans discrimination fondée sur l’un quelconque des motifs proscrits».
L’accessibilité à l’eau implique l’accès à l’information. En effet, il résulte du paragraphe 48 de l’Observation générale que « l’accessibilité correspond au droit de rechercher, de recevoir et de répandre des informations concernant les questions relatives à l’eau».
La jurisprudence africaine s’inscrit dans cette dynamique de reconnaissance de droits en filigrane quand elle soutient dans l’affaire « peuple Ogoni » que des droits de l’homme non apparents peuvent etre déduits d’un droit formel.Cette déduction repose sur ce que l’on appelle : théorie générale des droits en filigrane.S’inspirant de cette théorie, l’éminent constitutionnaliste burkinabè, le Pr Abdoulaye SOMA, dans sa thèse, a démontré brillamment que le droit à l’alimentation se déduit implicitement de certains droits existant formellement dans nos constitutions, mais aussi dans les instruments internationaux des droits de l’homme, notamment du droit à la vie, du droit au respect de la dignité humaine. Toutefois, on ne peut parvenir à cela que dans le strict respect de certaines conditions.En effet, l’existence d’un droit en filigrane est subordonnée à l’existence d’un droit principal formellement consacré. Aussi il doit y exister entre ce droit formel et le supposé droit implicite un lien de connexité, un lien inextricable.Ce faisant on peut suivant cette théorie soutenir qu’il existe un droit à l’eau dans le droit à la vie qui est consacré par les textes à valeur constitutionnelle. Cela d’autant plus qu’il y a un lien entre l’eau source vitale et la vie. Ainsi donc en filigrane on déduirait aisément le droit à l’eau du droit à la vie.
Si au Burkina Faso pour l’instant ce n’est qu’en invoquant cette théorie que l’on peut exiger le respect du droit à l’eau, il en est autrement dans certains pays où il y est formellement consacré.
En effet, plusieurs pays ont reconnu et consacré dans leurs constitutions le droit à l’eau. C’est le cas des pays comme l’Afrique du sud, la RDC, Egypte, Kenya, Maroc, Niger Ouganda, Somalie, Tunisie et Zimbabwe. Certains pays d’Amérique également l’ont consacré dans leur constitution. Il en est ainsi en Bolivie, Equateur, Mexique, Nicaragua et Uruguay.
Le Burkina Faso rejoindra dans un proche avenir ces pays. Cela parce que l’article 29 du projet de constitution de la Ve République du Burkina Faso, en attente d’adoption, consacre ce droit en ces termes: « Les droits sociaux de base et les droits culturels sont garantis, notamment : (…) L’accès à l’eau potable et l’assainissement… ».
La justiciabilité du droit à l’eau
Il est vrai que la juridicité (normativité du droit) et la justiciabilité (faculté d’exercer un recours lorsqu’on se sent victime d’une violation du droit) des droits économiques, sociaux et culturels (DESC) font l’objet d’une controverse doctrinale.
Pour certains, c’est la juridicité même des DESC qui est déniée. Pour d’autres par contre si la juridicité peut être admise, c’est la justiciabilité qui se trouverait invocable car selon eux « les DESC diffèrent des droits civils et politiques ».
Mais pour le Pr Abdoulaye SOMA, « les droits civils et politiques sont réputés justiciables. Les droits économiques, sociaux et culturels doivent l’être également, et la pratique dans bien des systèmes constitutionnels conforte cette position. Chaque droit de l’homme est justiciable dans une mesure qui lui est spécifique et en fonction des circonstances particulières qui caractérisent sa consécration formelle et son invocation concrète. Le fait qu’une prérogative soit justiciable ou non est indépendant de son appartenance à telle ou telle catégorie formelle, mais est dépendant de sa reconnaissance en tant que droit».
Quelles sont les obligations liées au droit à l’eau dans l’hypothèse où il serait admis?
B- Les obligations liées au droit à l’eau
Le contenu des Obligations
En tant que droit fondamental, quoiqu’en filigrane et comme tout droit de l’homme, il implique trois obligations spécifiques à l’État : l’obligation de respecter ces droits; celle de les protéger et celle de leur donner effet.
L’obligation de respecter supposerait que les Etats, et partant tous leurs organes et agents, ne privent, d’aucune façon, les populations du droit à l’eau.
L’obligation de protéger elle, intime aux Etats de prendre les mesures nécessaires pour prévenir, interdire, poursuivre, réprimer et imposer la réparation de toute tierce ingérence attentatoire à ce droit en s’assurant de son effectivité.
Quant à l’obligation de donner effet c’est l’obligation tout simplement d’assurer la garantie de ce droit aux populations.
Aussi le droit à l’eau étant rattaché au pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, les Etats sont tenus de leur réalisation de façon progressive. L’obligation de réalisation progressive ne décharge pas les Etats de garantir l’effectivité du droit à l’eau.
L’État est donc l’acteur au cœur de ce mécanisme de protection et c’est à lui qu’il revient de garantir ce droit et d’en assurer la protection et l’effectivité aux populations.
Quid du mécanisme juridictionnel de protection du droit à l’eau ?
Mécanisme juridictionnel de protection du droit à l’eau
En cas de violation du droit à l’eau, c’est la responsabilité du garant, notamment l’État qui se trouverait engagée.
Il ne sera pas ici exposé tout le mécanisme de protection des droits de l’homme en Afrique avec son lot de normes et organes non juridictionnel de protection. C’est simplement le mécanisme juridictionnel actuellement opérationnel au niveau de l’Union Africaine (UA) qui sera abordé.
En cas de violation du droit à l’eau la responsabilité du garant peut être engagée devant les juridictions nationales avant toute saisine du juge africain.
L’absence d’un mécanisme juridictionnel universel de protection permanente des droits de l’homme se trouve comblée par l’existence de mécanismes régionaux. Il en existe d’ailleurs trois dans le monde. Il s’agit de celui de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg (1959), celui que constitue la Cour interaméricaine des droits de l’homme basée à San José au Costa Rica (1979), et enfin la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples qui siège à Arusha, en Tanzanie (2004).
Pour une violation qui ce serait produite au Burkina Faso, ce sont les juridictions burkinabè qui seront compétentes dans un premier temps. Il n’est pas nécessaire de créer une juridiction spéciale pour assurer de telles compétences. Les juridictions ordinaires sont compétentes pour connaître de telles affaires même si cela ne semble pas encore acté ou suffisamment su ou internalisé par certains acteurs de la justice. La saisine des juridictions régionales étant conditionnée par l’épuisement des voies de recours interne (sauf en ce qui concerne le cas de la CEDEAO), il va de soi que les juridictions nationales soient compétentes pour connaître de ces affaires en premier lieu.
Une fois les voies de recours internes épuisées, le mécanisme international peut-être envisagé et engagé devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) comme ce fut le cas dans l’affaire Norbert Zongo (CADHP, 28 mars 2014) où la CADHP a condamné l’Etat burkinabè pour violation de l’article 7.
Mouhyiddine OUEDRAOGO
Juriste, Environnementaliste et Vice-président du Cercle de Juristes pour la Vulgarisation du Droit, Membre du club des juristes du CERFI et Membre du club rfi.
1.Voir J. Bartram et G. Howard, «Domestic water quantity, service level and health: what should be the goal for water and health sectors», OMS, 2002. Voir aussi P.H. Gleik, (1996) «Basic water requirements for human activities: meeting basic needs», Water International, 21, p. 83 à 92.}] .
2.Le Comité renvoie les États parties au document de l’OMS intitulé Directives de qualité pour l’eau de boisson, 2e éd., vol. 1 à 3 (OMS, Genève, 1993), directives «destinées à servir de principes de base pour l’élaboration de normes nationales qui, si elles sont correctement appliquées, assureront la salubrité de l’eau de boisson grâce à l’élimination des constituants connus pour leur nocivité ou à la réduction de leur concentration jusqu’à une valeur minime».
3.Voir l’Observation générale no 4 (1991), par. 8 b), l’Observation générale no 13 (1999), par. 6 a), et l’Observation générale no 14 (2000), par. 8 a) et b.
References :
-Abdoulaye SOMA, Droit de l’homme à l’alimentation et sécurité alimentaire en Afrique, Bruxelles 2010.
-Pr Abdoulaye SOMA, Cours de Droit International Public
-http://www.rampedre.net/legislation/what_is_the_right_to_water
http://www.rampedre.net/implementation/territories/national/world_table_constitution