Quand le Conseil constitutionnel français décide de ne plus différer l’effet de ses déclarations d’inconstitutionnalité !

Saisi d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) au sujet de la constitutionnalité de certaines dispositions du Code de procédure pénale français, notamment les articles « 707, 723-1 et 723-7 du code de procédure pénale, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 » ainsi que ses articles 720-1, 720-1-1 et 729, le Conseil constitutionnel français a rendu ce 16 avril 2021 une décision qui pique  la curiosité à ses lecteurs habitués.  Le Conseil constitutionnel, après avoir constaté l’inconstitutionnalité du paragraphe III de l’article en ce que cette disposition ne donne  pas la possibilité à une personne condamnée et incarcérée dans des conditions indignes de demander au juge un aménagement de sa peine, a conclu à la méconnaissance des exigences de garanties constitutionnelles par ladite disposition.

 Pour le Conseil Constitutionnel, le législateur aurait dû prévoir la possibilité pour une personne détenue dans des conditions indignes de demander l’aménagement de sa peine.

De ce fait, poursuit-il, il  incombe au législateur de garantir aux personnes condamnées la possibilité de saisir  le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine. L’absence de cette possibilité constitue une méconnaissance, selon le Conseil constitutionnel, d’un principe à valeur constitutionnel  à savoir la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation résultant du préambule de la constitution de 1946.

Si cette approche est sans doute salutaire, l’effet de la déclaration d’inconstitutionnalité demeure tout le moins critiquable. Suivant l’article 62 de la Constitution française il appartient au Conseil constitutionnel lorsqu’il déclare une disposition inconstitutionnelle de   fixer la date de son abrogation. Il lui appartient aussi au besoin de «   de reporter dans le temps » les effets de sa décision. Dans le même sens, il lui revient de dire dans quelles conditions il peut être remis en cause les effets que la disposition incriminée a produits avant l’intervention de sa déclaration d’inconstitutionnalité.

Bien qu’ayant la possibilité de donner à la  déclaration d’inconstitutionnalité un  effet immédiat, le Conseil constitutionnel, suivant sa pratique jurisprudentielle,   a fait sienne la nécessité de différer les effets de ses déclarations d’inconstitutionnalité et cela dans un souci de ne pas méconnaitre les objectifs de prévention des atteintes à l’ordre public et de rechercher des auteurs des infractions.  Dans sa décision 2010-14/22 QPC, « Considérant, d’une part, que le Conseil constitutionnel ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du Parlement ; qu’il ne lui appartient pas d’indiquer les modifications des règles de procédure pénale qui doivent être choisies pour qu’il soit remédié à l’inconstitutionnalité constatée ; que, d’autre part, si, en principe, une déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à la partie qui a présenté la question prioritaire de constitutionnalité, l’abrogation immédiate des dispositions contestées méconnaîtrait les objectifs de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et entraînerait des conséquences manifestement excessives ; qu’il y a lieu, dès lors, de reporter au 1er juillet 2011 la date de cette abrogation afin de permettre au législateur de remédier à cette inconstitutionnalité ; que les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité ». Le Conseil constitutionnel français a réitéré  cette approche en 2014, notamment dans sa décision 2014-420 QPC en  «  Considérant, en premier lieu, que l’abrogation immédiate du 8 ° bis de l’article 706-73 du code de procédure pénale aurait pour effet non seulement d’empêcher le recours à une garde à vue de quatre-vingt-seize heures pour des faits d’escroquerie en bande organisée, mais aussi de faire obstacle à l’usage des autres pouvoirs spéciaux de surveillance et d’investigation prévus par le titre XXV du livre IV du même code et aurait dès lors des conséquences manifestement excessives ; qu’afin de permettre au législateur de remédier à l’inconstitutionnalité du 8 ° bis de l’article 706-73 du code de procédure pénale, il y a lieu de reporter au 1er septembre 2015 la date de cette abrogation ».

Ces précisions jurisprudentielles qui impriment une certaine constance de la pratique du Conseil constitutionnel provoquent un certain  étonnement  quant à la décision du 16 avril 2021 dans laquelle le Conseil constitutionnel décide de donner « effet immédiat » à sa déclaration d’inconstitutionnalité. La moindre interprétation qu’on peut en tirer de cette décision est qu’il serait possible pour une personne incarcérée dans des conditions indignes de demander au juge l’aménagement de sa peine alors même que cette possibilité n’existe expressément nulle part. On est tenté de dire que le Conseil tient à l’étiquette de «  jurislateur » que lui collent certains juristes. Cela laisse penser encore aujourd’hui que le Conseil prend plaisir à se vêtir d’une tauge de « Gouvernement des juges ».

Une question légitime en résulte : pourquoi ce revirement  des sages français ?

Article sponsorisé par SWISS UMEF UNIVERSITY OF BURKINA,première université privée Suisse au Burkina Faso.

Noufou ZOROME

La rédaction

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