« Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution », disposait l’article 16 la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Ainsi la garantie des droits et la séparation des pouvoirs déterminent l’existence ou non d’une Constitution. La garantie des droits de l’homme est elle-même tributaire de la séparation des pouvoirs, si bien qu’en l’absence de celle-ci les droits de l’homme sont fortement menacés. La séparation des pouvoirs législatif, exécutif, judiciaire est un principe fondamental des démocraties représentatives.
Conceptualisée par John Locke et Montesquieu, la théorie de la séparation des pouvoirs vise à garder distincte les différentes fonctions de l’Etat, afin de limiter l’arbitraire et d’empêcher les abus liés à l’exercice des missions souveraines. Elle veut que soit confiée à chaque entité une parcelle de pouvoir nécessaire à l’accomplissement de sa mission. Cependant, il ne faut pas se leurrer car il peut s’avérer que les pouvoirs normalement octroyés à un organe, en l’occurrence l’organe exécutif ne suffisent pas à garantir le fonctionnement normal des institutions de la république ou même à assurer la survie de l’Etat face à certaines circonstances. C’est sans doute ce qui explique que les constituants prévoient toujours des pouvoirs exceptionnels au profit de l’exécutif ,pouvoirs qui ne sont mis en œuvre que dans des contextes précis.
Les lignes qui vont suivre visent à apporter des éclaircissements sur le ou les fondements juridiques des pouvoirs exceptionnels du chef de l’État en droit burkinabé et français, leurs étendues et les conditions de mise en œuvre concrète de ceux-ci.
Notons que les pouvoirs exceptionnels du chef de l’Etat trouvent leurs fondements juridiques dans l’article 59 de la constitution burkinabé et à l’article 16 de la constitution française de 1958. En effet, aux termes de l’article 59 de la Constitution burkinabé, révisée en 2015, version à jour : « Lorsque les institutions du Faso, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements sont menacées d’une manière grave et immédiate et/ou que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président du Faso prend, après délibération en Conseil des ministres, après consultation officielle des présidents de l’Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel, les mesures exigées par ces circonstances. Il en informe la Nation par un message. »L’article 16 de la Constitution française de 1958 s’inscrit dans la même logique quand il dispose que : « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel. Il en informe la nation par un message … »Il est précisé à cette disposition que les mesures prises en application de cette disposition doivent« être inspirées par la volonté d’assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d’accomplir leur mission. »
Ces dispositions s’inscrivent dans la dynamique de renforcement du rôle du chef de l’État en période de crise.
Mais dans quelles circonstances et suivant quelle procédure sont-elles mises en œuvre ?
La mise en œuvre de l’article 59 de la Constitution burkinabé ,article 16 de la Constitution française obéit tant à des conditions de fond qu’à des conditions de forme.
LES CONDITIONS DE FOND
Au Burkina Faso elles sont énumérées à l’article 59 de la Constitution. Suivant cette disposition, l’exercice du pouvoir exceptionnel est subordonné d’une part à l’existence d’une menace grave et immédiate touchant aux institutions de l’État, indépendance de la nation, à l’intégrité du territoire ou à l’exécution de ses engagements.
C’est le cas par exemple du terrorisme, l’invasion, le coup d’État, la grève générale à caractère insurrectionnel, les maladies (épidémie ou pandémie) etc…
Et d’autre part, à l’interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels.
Dans le contexte actuel, la pandémie du Covid19 qui représente une menace grave et immédiate constitue l’une des situations susmentionnées justifiant le recours par le chef de l’exécutif à l’article 59 de la Constitution. Ce fut le cas aussi dans de nombreux pays à l’instar du Burkina Faso atteints par cette pandémie dans lesquels l’Etat d’urgence fut décrété, notamment le Sénégal, la Cote ivoire.
Qu’en est-il des conditions de forme non moins importantes, d’autant plus que l’on le dit couramment en droit : « La forme tient le fond en l’état ».
Dans l’hypothèse du recours à l’article 59, le chef de l’Etat devrait respecter la forme et la procédure prescrite par ladite disposition. A défaut, quoique les conditions de fond soient réunies, les actes pris en application de cette disposition pourraient être frappés de nullité par le Conseil d’Etat ,qui pourrait en effet déclarer les actes pris contraires à la Constitution en ce qu’ils ne respectent pas la forme ou la procédure prescrite par la Constitution en l’espèce.
On pourrait penser que la décision de recourir à l’article 59 de la constitution constitue un acte de gouvernement. Il n’es est rien .Il n’en est rien parce qu’aujourd’hui l’acte de gouvernement n’est opérant que dans deux hypothèses précises. D’une part, il est admis en matière de relations extérieures, c’est-à-dire acte pris dans la conduite des relations extérieures. D’autre part dans les relations entre pouvoirs publics. Un acte pris dans ces deux hypothèses échappe en principe au contrôle du juge administratif, notamment le Conseil d’Etat.
Mais quelles sont ces formalités ?
LES CONDITIONS DE FORME
Deux formalités doivent être préalablement accomplies :
_ La décision doit être prise après délibération en Conseil des ministres, après consultation officielle des présidents de l’Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel;
-A titre d’information, un message doit être adressé à la nation.
Dans le contexte actuel de la pandémie à virus Corona le chef de l’exécutif a adressé un message à la nation dans lequel des mesures exceptionnelles, notamment privatives de libertés ont été annoncées et ultérieurement prises par actes administratifs (décrets et arrêtés). Si cela a été en application de l’article 59 on peut dire que l’adresse à la nation a été respectée, peut-être aussi la délibération en Conseil de ministre. Reste à savoir si dans le cadre de la mise en œuvre de la disposition concernée le chef du parlement et le Conseil constitutionnel ont été consultés.
L’article 59 de la Constitution, prévue pour des situations exceptionnelles permet-il une intervention illimitée au chef de l’Etat ? Cette question implique que l’on aborde l’étendue des pouvoirs exceptionnels du chef de l’Etat.
L’étendue des pouvoirs exceptionnels du Président de la République
Des limites aux pouvoirs du Président de la République dans la mise en œuvre de l’article 59 de la Constitution ?
Le Président de la République prend toutes les mesures exigées par les circonstances, le cas échéant, au mépris du principe de la séparation des pouvoirs. Il peut ainsi prendre des mesures qui relèvent normalement de la compétence du Parlement ou exercer le pouvoir réglementaire sans solliciter le contreseing du Premier ministre et des ministres.
Bien que considérables, les pouvoirs exceptionnels du Président de la République connaissent quelques limites :
Au Burkina , tout comme en France, dans le cadre de la mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels (article 59 cas du Burkina ) et (article 16 cas de la France ) le Président de la République ne peut se prévaloir de ces circonstances exceptionnelles pour dissoudre l’Assemblée nationale. Il ne peut non plus interdire au Parlement de se réunir.
En outre il ne peut engager ou poursuivre une révision de la Constitution pendant la mise en œuvre des mesures exceptionnelles (décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992, Traité sur l’Union européenne).
En plus, précisément cela implique l’exercice d’un contrôle de la mise en œuvre de l’article 16 de la Constitution.
Le contrôle de l’exercice des pouvoirs exceptionnels
En France depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, l’article 16 prévoit que le Conseil constitutionnel contrôle la nécessité de maintenir en vigueur les pouvoirs exceptionnels. Deux hypothèses sont à distinguer :
Le contrôle facultatif en cas de saisine : après trente jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, aux fins d’examiner si les conditions exigées par la Constitution pour l’application de son article 16 demeurent réunies. Le Conseil se prononce dans les délais les plus brefs par un avis public.
Le contrôle de plein droit : au terme de soixante jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment au-delà de cette durée, le Conseil procède de plein droit à l’examen des conditions exigées par la Constitution pour l’application de son article 16.Le Conseil se prononce également dans les délais les plus brefs par un avis public.
Par :KOUMTOUBRE Clotilde Ida Gisèle
La rédaction
Revue Juridique du Faso