Loi prorogeant l’état d’urgence en France : le Conseil constitutionnel déclare certaines dispositions de la loi anticonstitutionnelles

Le Conseil constitutionnel français a été saisi par le Président de la République, le Président du Sénat et certains députés pour se prononcer sur la constitutionnalité de certaines dispositions de la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire.

Se prononçant ainsi sur la constitutionnalité des articles 1, 3, 5,8, 9,11 et 13 dans sa décision du 11 mai 2020, le Conseil est parvenu à la conclusion que la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire est conforme à la constitution sous réserve de certaines dispositions.
Sur l’inconformité du paragraphe II de l’article 1er de la loi déférée, le Conseil a estimé qu’il n’en est rien contrairement à ce qu’a soutenu les sénateurs requérants. En effet, ceux-ci ont estimé que cette disposition est contraire à la Constitution en ce qu’elle a « pour effet d’exonérer certains « décideurs » de toute responsabilité pénale », toute chose étant selon eux en contradiction avec le principe constitutionnel d’égalité devant la loi pénale. Sur ce point le Conseil a jugé qu’étant donné que les dispositions contestées ne diffèrent pas de celles de droit commun, elles ne méconnaissent pas le principe constitutionnel susmentionné, cela d’autant plus qu’elles s’appliquent de la même manière à toute personne ayant commis un fait susceptible de constituer une faute pénale non intentionnelle dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire.
Il est reproché aux alinéas 1°, 5° et 7° du paragraphe I de l’article L. 3136-2 du code de la santé publique la violation de la liberté personnelle, la liberté d’aller et de venir, du droit au respect de la vie privée et de la liberté d’entreprendre dans la mesure où il permet aux pouvoirs publics de réquisitionner des personnes, même dans le cas où celles-ci ne seraient pas nécessaires à l’usage de biens ou au fonctionnement des services eux-mêmes réquisitionnés.
La question était donc de savoir si en disposant ainsi les dispositions contestées sont contraires à la Constitution en ce qu’ils portent atteintes aux droits et libertés précités. Sur ce point, le Conseil a observé que s’il est vrai que l’ensemble de ces dispositions portent atteintes à la liberté personnelle, la liberté d’aller et de venir, au droit au respect de la vie privée et à la liberté d’entreprendre, il n’en est pas moins qu’elles ne sont pas contraires à la Constitution dans la mesure où les atteintes portées sont justifiées par des impératifs de protection de la santé, objectif à valeur constitutionnelle. D’où il résulte une « conciliation équilibrée » entre ces droits et libertés et l’objectif à valeur constitutionnelle qui est la protection de la santé publique. Le législateur étant habilité à opérer cette conciliation nécessaire comme le souligne clairement le Conseil au paragraphe 17. En effet, selon le Conseil « La Constitution n’exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence sanitaire. Il lui appartient, dans ce cadre, d’assurer la conciliation entre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés reconnues à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figurent la liberté d’aller et de venir, composante de la liberté personnelle, protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration française de 1789, le droit au respect de la vie privée garanti par cet article 2, la liberté d’entreprendre qui découle de cet article 4, ainsi que le droit d’expression collective des idées et des opinions résultant de l’article 11 de cette déclaration ».

Il est reproché à l’alinéa 5 de l’article 3 et l’article 5 modifiant les articles L. 3131-15 et L. 3131-17 du code de la santé publique de méconnaitre la liberté d’aller et de venir, le droit de mener une vie familiale normale, le droit à un recours juridictionnel effectif ainsi qu’à l’article 66 de la Constitution. Cela parce que les mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien à l’isolement prévues méconnaissent la liberté d’aller et de venir et la liberté individuelle. Il est également souligné que la mesure de quarantaine ne bénéficie pas des mêmes garanties que celle d’isolement « en ce qu’elle n’est pas subordonnée à la production d’un certificat médical confirmant sa nécessité ».
Se prononçant sur la proportionnalité et la nécessité de l’atteinte à la liberté individuelle résultant de la mise en quarantaine et en isolement, le Conseil a conclu que le « législateur a fixé des conditions propres qui visent à assurer que ces mesures ne soient mises en œuvre que dans les cas où elles sont adaptées, nécessaires et proportionnées à l’état des personnes affectées ou susceptibles d’être affectées par la maladie à l’origine de la catastrophe sanitaire ».
Toutefois, il a estimé qu’étant donné qu’aucune intervention systématique du juge judiciaire n’est prévue dans les autres hypothèses, les dispositions du cinquième alinéa du paragraphe II de l’article L. 3131-17 ne sauraient, sans méconnaître les exigences de l’article 66 de la Constitution, permettre la prolongation des mesures de mise en quarantaine ou de placement en isolement imposant à l’intéressé de demeurer à son domicile ou dans son lieu d’hébergement pendant une plage horaire de plus de douze heures par jour sans l’autorisation du juge judiciaire ». Cela parce que l’article 66 évoqué dispose que : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». Pour le Conseil il aurait fallu prévoir l’intervention systématique du juge des libertés en la matière.

En outre il est fait cas de la méconnaissance du droit à la vie privée et à la protection des données personnelles des citoyens par l’article 11. Cela parce que ledit article porte sur des données d’une certaine ampleur et sensibilité, qui plus ne font pas l’objet de mesure d’anonymisation. Il est également critiqué le fait que le nombre de personnes qui auront accès à ces données est trop élevé .A cela s’ajoute le fait qu’il autorise le traitement et le partage des données des personnes touchées par le Covid19 sans leur consentement. Par ailleurs, il est fait cas aussi de l’absence de mécanisme permettant de mettre fin, de manière anticipée, à l’utilisation des données.
Statuant sur ce point, le Conseil commence par observer qu’il «résulte du droit au respect de la vie privée que la collecte, l’enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d’intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif ». Cela sans doute parce que l’accès et l’utilisation des données à caractère personnel peuvent porter atteinte à la vie privée, chose évidente puisque certaines données personnelles relèvent de la vie privée. Appréciant la substance de l’article 11 à la lumière de ce qui vient d’être cité, le Conseil est parvenu à la conclusion que même si les dispositions contestées portent atteinte au droit au respect de la vie privée, il n’en reste pas moins que cette atteinte est justifiée par la poursuite de « l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé ». Cela parce que le législateur a entendu à travers les dispositions de l’article 11 « renforcer les moyens de la lutte contre l’épidémie du covid-19, par l’identification des chaînes de contamination ».
Toutefois, il a jugé que la deuxième phrase du paragraphe III de l’article 11 est contraire à la constitution en ce qu’elle méconnaît le droit au respect de la vie privée en permettant qu’un accompagnement social, qui ne relève pas directement de la lutte contre l’épidémie ait accès aux données sensibles sans le consentement des intéressés. L’accès aux données par l’accompagnant social n’étant pas aussi nécessaire il ne saurait avoir accès aux données médicales et personnelles sans le consentement de l’intéressé.

Enfin, il est fait cas de la méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs.
Sur ce point, il est reproché au législateur d’imposer à travers le deuxième alinéa du paragraphe IX de l’article 11 aux autorités, notamment au ministre chargé de la santé, à l’Agence nationale de santé publique, à un organisme d’assurance maladie et aux agences régionales de santé, de transmettre « sans délai » à l’Assemblée nationale et au Sénat « copie de tous les actes » qu’elles prennent en application de cet article. De surcroit de disposer que « les assemblées parlementaires peuvent « requérir toute information complémentaire » dans le cadre du contrôle et de l’évaluation des mesures mises en œuvre ». Pour le Conseil il est bien loisible que le législateur prévoit des dispositions assurant l’information du Parlement afin de lui permettre, conformément à l’article 24 de la Constitution, de contrôler l’action du Gouvernement et d’évaluer les politiques publiques. Mais cela ne doit pas aller jusqu’à une obligation de « transmission immédiate à l’Assemblée nationale et au Sénat d’une copie de chacun des actes pris en application de l’article 11 de la loi déférée ».
Pour le Conseil étant donné le nombre d’actes en cause et la nature des données en jeu, en disposant ainsi le législateur a méconnu le principe de la séparation des pouvoirs et les articles 20 et 21 de la Constitution. Par conséquent, il a déclaré le deuxième alinéa du paragraphe IX de l’article 11 contraire à la Constitution.
Par ailleurs, il a déclaré l’article 13 contraire à la Constitution en ce qu’il méconnait la liberté individuelle en ne précisant pas les obligations pouvant être imposées aux personnes y étant soumises, leur durée maximale, surtout en ne prévoyant pas le contrôle de ces mesures par le juge judiciaire dans l’hypothèse où elles seraient privatives de liberté.

Par :ZOROME Noufou
La rédaction
Revue Juridique du Faso

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