Débuté en fin 2019 précisément à Wuhan en chine et qui fait des ravages, le coronavirus ou covid-19 pour son nom scientifique s’est vite propagé dans le monde entier. On estime à l’heure où nous écrivons ces lignes que 160 pays sont touchés par cette pandémie. Très désastreux, le covid19 a tué plus de 13 000 sujets dans le monde avec des milliers de cas en traitement. Le Burkina Faso n’est pas en reste. En effet, selon les données officielles à la date du 31 mars, le pays des Hommes intègresa enregistré 261 cas confirmés,32 guérisons et 14 décès (communiqué de presse Pr Martial OUEDRAOGO).
Si ces conséquences sont exécrables au regard du nombre important de décès, la pandémie covid-19 affecte aussi le quotidien des hommes. Le problème est que la pandémie n’a pas que des conséquences sanitaires. Elle présente tout aussi bien d’autres impacts négatifs, en l’occurrence des problèmes économiques et bien évidemment juridiques. En effet, le covid-19 impacte d’une manière ou d’une autre les relations de travail, plus précisément le contrat de travail. Le droit du travail fait partie d’un ensemble plus vaste recouvrant le droit social, qui peut être définie comme le droit de la protection sociale de tout individu contre les risques sociaux. Selon l’article 29 de la loi n° 028-2008 /AN du 13 mai 2008 portant code du travail au Burkina Faso, le contrat de travail est «toute convention écrite ou verbale par laquelle une personne appelée travailleur, s’engage à mettre son activité professionnelle, moyennant rémunération, sous la direction et l’autorité d’une autre personne physique ou morale, publique ou privée appelée employeur. ». Ainsi défini, il convient de noter que ce contrat ne vise pas toutes les relations de subordination. Il faut donc exclure de ce contrat, toute relation de travail avec les entités publiques telles que l’Etat et les collectivités territoriales dès lors que ces relations sont régies par des règles exorbitantes de droit commun. Il est donc important pour nous de préciser que notre analyse portera sur des contrats tels que définis plus haut à savoir des contrats de droit privé.
La réflexion sur l’impact de l’épidémie à corona virus sur les relations de travail et plus particulièrement sur le contrat de travail soulève une question majeure. C’est celle de savoir si parallèlement aux mesures de confinement prises par l’État, l’épidémie lié au covid-19 peut exonérer les salariés de leurs obligations contractuelles.Autrement dit un travailleur peut-il se prévaloir du covid-19 pour ne pas se présenter à son lieu de travail et prétendre à une rémunération ?
A sens contraire, n’est-il pas une raison sérieuse pour l’employeurde mettre fin à la relation de travail avec son employé sans risque de voir sa responsabilité contractuelle mise en cause ?Ces questions sont d’une grande pertinence et d’une actualité brulante vu que l’on entend par ci et par là des cas de suspension de contrat de travail.
La santé avant tout dit-on, mais en droit de travail la contrepartie de la rémunération est le travail fourni. Cela pour dire que sans travail l’employé ne peut percevoir de salaire. Toutefois ce principe présente des exceptions. En effet, sous certaines conditions, l’employé peut sans fournir la contrepartie nécessaire, percevoir son salaire. Cela est possible dans le cadre de la suspension du contrat de travail qui se définit comme l’interruption provisoire de l’exécution du contrat de travail. Toutefois, comme précédemment annoncé, cette suspension doit respecter les conditions prévues par la loi. Les causes de suspension du contrat de travailsont limitativement énumérées à l’article 93 du code de travail. A la lecture dudit article, seule la force majeure pourrait retenir notre attention. La force majeure, selon toujours le même article est tout évènement imprévisible, irrésistible et insurmontable qui a pour effet d’empêcher l’employé de fournir le travail pendant une durée déterminée. Il y va de soit donc que nous nous demandions si l’épidémie liée au covid-19 peut être considéré comme un cas de force majeure pouvant justifier la suspension du contrat de travail.
Si pour le ministre français des finances, Bruno le Maire, le coronavirus était un cas de force majeure pour les entreprises en particulier dans les marchés publics de l’Etat, pour le juriste l’aboutissement à une telle conclusion nécessite une analyse approfondie. Dèslors, voyons si les conditions sont remplies pour parler de cas de force majeure. La force majeure juridiquement pour être admise comme cause exonératoire de responsabilité obéit à trois critères cumulatifs. En effet,elle doit résulter d’un événement :
⮚ Imprévisible
Ce critère implique que l’évènement concerné ne doit, par aucun moyen, pouvoir être anticipé ou prévu. Mais tout dépend des circonstances, par exemple une intempérie serait prévisible, mais non sa violence. Si un tel évènement survenait sans pouvoir être anticipé avec les moyens existants, alors il serait sans doute considéré comme un cas de force majeure. Mais vu que l’Etat Burkinabè et l’OMS ont déclaré l’existence de cette épidémie, cette dernière devient un évènement qui entre dans le champ d’un possible cas de force majeure. Il ne sera sans doute pas discuté le caractère imprévisible de cette épidémie,le covid-19 étant un nouveau virus. La jurisprudence a explicité que par exemple, l’épidémie de dengue de Martinique en 2007 n’a pas été considéré comme un cas de force majeure par la Cour d’appel de Nancy car cette épidémie n’était pas imprévisible en raison du caractère endémo-épidémique (maladie spéciale a une contrée ou y régnant de façon continue)de cette maladie dans cette région et n’était pas irrésistible compte tenu de l’existence de moyens de préventions (CA Nancy, 22 novembre2010,RG n°09/00003).On pourrait faire un comparatif avec la situation actuelle inédite. Le coronavirus n’a pas de caractère endémo-pandémique dans certaines régions du fait de la rapidité de sa propagation à travers le monde, d’où son imprévisibilité qui pourrait être retenue par les juridictions.
⮚ Irrésistible ou insurmontable
L’irrésistibilité ou l’insurmontabilité de l’événement comme condition de la force majeur signifie qu’il doit être impossible de résister à l’événement. En d’autres termes, on ne peut l’éviter ou à tout le moins faire face à ses effets. C’est-à-dire que malgré toutes les précautions, les conséquences sont inévitables. A contrario, le juge ne retiendra sans doute pas « s’il se trouve qu’au moment de l’évènement ou tel que l’évènement se présentait des mesures appropriées permettaient d’éviter le dommage malgré l’imprévisibilité de l’évènement. Il en est de même si la manifestation de l’événement n’excluait pas des mesures d’adaptation dans l’exécution des obligations contractuelles »1.
L’irrésistibilité est l’impossibilité d’exécuter et non pas simplement une plus grande difficulté, laquelle ne suffit pas (à comparer avec l’imprévision). A la question de l’irrésistibilité : est-il possible pour les salariés de se prémunir contre les conséquences de ce virus ? en l’absence de traitement préventif (vaccin……) et curatif (pour l’heure), le covid-19 constitue a priori un évènement irrésistible pour les salariés.
Notons qu’« En France, l’irrésistibilité tendait à devenir le critère principal de la force majeur en ce sens que la jurisprudence avait tendance à retenir, au titre de la force majeure des situations qui, bien que prévisibles, ne pouvaient être empêchées. Autrement dit, il peut y avoir force majeur même si le critère de l’imprévisibilité n’est pas réuni ».2
L’évolution rapide de la pandémie pousse les autorités nationales et les organisations internationales à la plus grande prudence. A ce propos, des mesures sans précédent ont été prises par les pouvoirs publics au Burkina Faso et la vitesse d’enchainement des textes réglementaires démontre le caractère inédit et dramatique de la situation. Ces décisions des pouvoirs publics qualifiées en droit de « fait du prince » en ce qu’elles limitent et interdisent les rassemblements et déplacements des personnes, sont également des circonstances de force majeure constituant un obstacle insurmontable à l’exécution des obligations des salariés.
Ainsi,on peut raisonnablement soutenir que les cas de force majeure liés au covid-19 lui-même et aux mesures restrictives prises par les pouvoirs publics se rejoignent.
⮚ Extérieur
Ce caractère s’apprécie généralement par rapport à une personne. La personne concernée n’est en rien responsable de la survenance de l’évènement. L’évènement est totalement indépendant de ce qu’il souhaite, de sa volonté ; l’évènement ne doit en rien pouvoir être imputé à la personne. Toutefois, « en matière contractuelle, la condition d’extériorité n’est plus exigée si bien que des circonstances interne à l’individu peuvent constituer un cas de force majeure. C’est dans ce sens la cour de cassation admet qu’il y a force majeure lorsque le débiteur a été empêché d’exécuter son obligation par la maladie »3
Ainsi on pourrait admettre que l’épidémie liée au covid-19 est indépendante de la volonté du salarié car étant un fait de la nature. Dans l’hypothèse où le travailleur aurait été testé positif au covid-19 la conclusion de la force majeurepar le juge serait plus aisée.Ainsi il reviendra donc au salarié qui entend invoquer la force majeure pour etre exonéré de ses obligations contractuelles (prestation de travail) de démontrer que le covid-19 a entrainé une incapacité totale de travailler et qu’il existe un lien de causalité entre le covid-19 et l’impossibilité absolue d’exécuter ses obligations.
Au regard des conditions ci-dessus, il semble possible de qualifier l’épidémie lié au covid-19 de force majeure. La jurisprudence pourrait nous édifier dans cette posture. La jurisprudence burkinabé est muette sur cette question d’épidémie, cela pourrait être liée au fait que notre pays n’a connu trop d’épidémie à la rigueur du covid-19. Deux décisions issues de la jurisprudence française méritent notre attention. La première, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence s’est fondée sur l’existence d’un cas de force majeure pour écarter la responsabilité d’un hôtelier et d’une agence de voyage à qui l’on reprochait la fermeture du baby club et l’infection de deux clients par la gastro-entérite ,car ils ne pouvaient pas prévoir l’ampleur qu’allait prendre cette épidémie dans la région alors même que la gastro-entérite est habituellement une infection banale(CA Aix-en-Provence,3 mai 2006,jurisData n°2006-306944).Dans cette décision, les juges se sont fondés sur la virulence inattendue de l’épidémie pour considérer qu’elle constituait un cas de force majeure. Un tel motif pourrait parfaitement être transposé à l’épidémie actuelle de covid-19 dont la gravité a surpris le monde entier.
Le second arrêt qui doit être mentionné porte sur le coronavirus.En effet, très récemment, la Cour d’appel de Colmar a estimé en matière de droit des étrangers que l’absence du demandeur d’asile à l’audience était justifiée « en raison des circonstances exceptionnelles et insurmontables, revêtant le caractère de la force majeure, liées à l’épidémie en cours » puisqu’il était établie que le demandeur d’asile en question avait été en contact avec une personne infectée par ce virus. (CA Colmar ,12 mars 2020, RG n°20/01098).
Il faut noter aussi avec intérêt la lettre d’information adressée au ministère des transports de la mobilité urbaine et de la sécurité routière par la fédération des acteurs du transport routier (FENAT) du Burkina Faso en date du 26 mars 2020. En effet, par cette note, la Fédération entend informer le ministère que ces membres procèderont à la suspension des contrats de travail de leurs employés, à compter du 1er avril 2020 pendant la période d’inactivité, conformément aux dispositions de l’article 93 point 16 du code du travail (N/réf : N°05/KB/FENAT/2020).
Aussi intéressantes que soient ces décisions, elles ne permettent pas de préjuger de la solution qu’adopteront les tribunaux saisis d’un litige lié à l’épidémie de covid-19.Les juges n’étant pas en principe liés par ces jurisprudences qui conservent néanmoins un grand intérêt pratique. D’autant plus que l’une des caractéristiques de cette épidémie est d’être associée à une obligation de confinement qui rend encore plus difficile l’exécution des contrats.
Mais pour nous, il est possible d’invoquer la force majeure comme motif valable rendant impossible l’exécution d’un contrat de travail. Toutefois, il y a lieu de nuancer carsi l’imprévisibilité et l’extériorité peuvent être vues comme étant au rendez-vous de la manière la plus évidente, il en est autrement de l’irrésistibilité. Cela parce que comme indiqué plus haut, pour certaines prestations de travail, l’adaptation pourrait exclure le caractère insurmontable de l’événement. Parlant d’adaptation nous pensons aux prestations qui n’exigent pas forcement la présence physique du travailleur.C’est l’hypothèse des prestations intellectuelles. En France, les travailleurs de la Radio France de télévision internationale(RFI) malgré le confinement continuent d’honorer leurs obligations contractuelles en travaillant à domicile grâce à ce que l’on appelle «Télétravail ».Pour ce type de travail,le juge pourra tout simplement constater bien entendu si l’employeur le soulève que le travailleur pouvait continuer d’honorer ses obligations contractuelles malgré le confinement ou la mesure interdisant les rassemblements.
Dans l’hypothèse ou la force majeur serait retenue, quel est son impact sur le contrat de travail ?
En droit du travail la force majeure justifie la rupture immédiate du contrat, sans indemnités au profit du salarié, sauf celle de congés payés. Néanmoins, ayant à l’esprit qu’en droit Burkinabé, la force majeure n’est pas une cause de rupture du contrat de travail que dans le cadre du contrat à durée déterminée,en témoigne l’article 60 alinéa1 du code du travail. En effet, cet article dispose que« il ne peut être mis fin avant terme à un contrat à durée déterminée qu’en cas d’accord des parties constaté par écrit,force majeure ou de faute lourde… ». Ainsi pour dire que les salariés qui ont signé un contrat de travail à durée déterminée peuvent voir leur contrat prendre fin par l’effet du covid-19.Mais cela ne concerne que les contrats signés avant les mesures prises par les pouvoirs publics voire celui du début du covid-19.
Concernant les contrats à durée indéterminée, le législateur Burkinabé n’a pas prévu la rupture en raison de cas de force majeure pour ce type de contrat. En effet la survenance d’un cas de force majeure permet seulement la suspension d’un contrat de travail et cela dans la limite de 5 mois renouvelable une fois, et l’employeur peut résilier les contrats de travail avec paiement des droits légaux si à l’expiration du renouvellement de la suspension la force majeure persiste (Article 93 alinéa16 du code du travail). Pour les salariés qui sont sous ce type de contrat, ils ont une forte chance de voir leur relation de travail se poursuivre avec leur employeur une fois que le covid-19 prendra fin. Mais l’employeur souffrira de la suspension de la prestation du travail dû par le salarié puisque la force majeure justifie cette suspension. Qu’en est-il du salaire ? pour faire simple, s’il n’y a pas de production de travail, il n’y a pas de salaire. Toutefois, le salaire sera impacté proportionnellement à l’absence du salarié ou son retard dans son lieu de travail.
Attention à ce que prévoient vos contrats, le contrat peut écarter la force majeure comme cause d’exonération. Car même si l’on considère que le phénomène covid-19 et/ou les décisions des autorités constituent des cas de force majeure, leurs effets (la possibilité de ne pas exécuter) peuvent être écartés dans le contrat. En application du principe général de liberté contractuelle, les parties peuvent parfaitement décider, même dans l’hypothèse de la survenance d’un cas de force majeure que les stipulations contractuelles doivent s’appliquer. Or il est fréquent que les exclusions prévues au titre de la force majeure intègrent le risque sanitaire ou les décisions prises par les autorités publiques. Il est donc très important, avant d’agir, de bien se référer aux clauses du contrat en cause et aux éventuelles conditions générales du contrat du travail.
Sources :
– Code civil du Burkina Faso
– Lettre Loi n°028-2008/AN portant code du travail au Burkina Faso
-Lettre de la FENAT(N/réf :N°05/KB/2020
-Cours de droit de travail de Paul Kiemdé
– Cours de TGO du Professeur Dominique Kabré
-CA Nancy,22 novembre 2010, RG n°09/00003
-CA Colmar, 12mars 2020, RG n°20/01098
– CA Aixe-en-provence,3 mai 2006, jurisData n°2006-306944
-Site internet : L-EXPERT-COMPTABLE.com
Village-juriste.com
DALLOZ. Actualité
mapassiondudroit.home
Par:ZAN Daouda
La rédaction
Revue Juridique du Faso
1. ZOROME Noufou, « la force majeur en droit de la responsabilité civile »,blog :
mapassiondudroit.home, (Article en ligne)
2.Ibid
3.Ibid