Alors que leur retraite était devenue effective, l’Université Thomas SANKARA a bien voulu rendre un hommage mérité aux grands professeurs de droit que sont Ahmed Tidiane BA et Salif YONABA. A cet effet, une journée d’hommage a été organisée le 11 juin 2021 dans la salle 1 de l’UFR/SJP de l’Université Thomas SANKARA. Etudiants, professeurs, juristes et praticiens du droit se sont invités à l’évènement, tous venus saluer l’impact positif de ces professeurs.
La cérémonie a été ponctuée d’allocutions et de réflexions autour de thématiques intéressant ces professeurs. Tout au long de la cérémonie, les intervenants ou participants ont salué le grand impact de ces professeurs. C’est le cas du professeur Abdoulaye SOMA pour qui le professeur BA est la référence en matière de droit administratif au Burkina Faso. ‘’Pour moi quand on dit droit administratif c’est BA » a-t-il laissé entendre.
Les discours d’hommage aux professeur BA et YONABA ont été respectivement rendus par le Dr SANGO et Dr Marius IBRIGA.
Le grand hommage au professeur BA made by Dr SANGO
Ancien étudiant du professeur BA, le Dr SANGO a indiqué avoir intitulé son discours d’hommage « Pr BA, une vie au service de l’université ». Dans son discours, le Dr est largement revenu sur le parcours du professeur BA ,de ses études secondaires à ses études doctorales. Le professeur BA est promotionnaire de l’actuelle première dame du Burkina Faso. La brillante carrière universitaire du Pr admis à la retraite a été longuement exposée. C’est en tant que spécialiste du droit administratif que le Professeur prend sa retraite.
Le discours d’hommage au professeur YONABA a été brillamment exposé par le contrôleur d’Etat, le Dr LUC Marius IBRIGA. Le professeur Salif YONABA est le premier agrégé de l’université de Ouagadougou et partant du Burkina Faso a laissé entendre d’emblée le Dr. Il a ensuite soutenu que Salif YONABA est l’universitaire au sens propre du terme. Car sa vie professionnelle qui aura duré près 37 ans de novembre 1981 à décembre 2018 a été toute entière consacrée à l’Université.
Pour sa part, le Vice-président de l’Université a félicité et remercié les professeurs admis à la retraite pour les services rendus à l’Université. « A l’occasion de la présente cérémonie, nous exprimons aux élus du jour, la reconnaissance de l’Université Thomas Sankara pour leur inestimable contribution à la formation des étudiants et pour leurs apports au progrès des sciences juridiques et politiques dans notre pays » a-t-il ajouté .
Après ses allocutions place aux panels de réflexion sur des thématiques intéressant les professeur admis à la retraite.
Le premier panel avait comme animateur, le professeur Pr Abdoulaye SOMA en qualité de modérateur, le Professeur ILLY Ousseni, le Dr Jean Paul KABORE, le Dr Claver MILLOGO et Monsieur Germain DABIRE.
Le professeur ILLY dans le cadre de cette journée d’hommage a livré son analyse sur le thème : « les principes démocratiques devant la Cour africaine des droits de l’homme ». Par principes démocratiques, il faut entendre les règles qui sont au cœur de la démocratie libérale, notamment l’organisation, à des intervalles réguliers, d’élections libres et transparentes, le suffrage universel, la liberté de réunion et d’expression. Ce qui justifie son thème, c’est que tous les principes démocratiques ne sont pas des droits de l’homme.
Le professeur a d’emblée indiqué que sa communication répond à l’interrogation principale suivante : comment le juge africain des droits de l’homme réceptionne les principes démocratiques ?
Cette question s’explique par le fait que selon le professeur le juge qui était un juge des droits de l’homme tend à devenir un juge de la démocratie. Toute chose qui soulève les interrogations suivantes : est-ce sa mission?, est-ce qu’il doit se contenter de sanctionner la violation des droits de l’homme ou juger le fonctionnement de la démocratie? Pour le professeur l’attitude du juge pose problème dans la mesure où si le juge ne prend pas des précautions, il pourrait se transformer en un juge de la démocratie ou en un juge constitutionnel ou en un juge électoral, ce qui n’est pas sa mission. Le risque potentiel avec cette attitude selon le Professeur demeure les représailles des Etats à son égard.
La Cour pénale internationale : une juridiction controversée ? S’interroge le Docteur Claver MILLOGO
C’est le thème développé par le Dr Claver MILLOGO. Après avoir rappelé brièvement la genèse et les caractères de la CPI, le Dr a indiqué que la CPI fait l’objet d’une méfiance de la part des pays africains. Cela parce que « parmi les pays qui ont fait l’objet d’une procédure devant la CPI, la plupart est située en Afrique ». Il s’agit du Soudan (Darfour), l’Ouganda, la République démocratique du Congo, la République centrafricaine, le Kenya, la Libye, la Côte d’Ivoire et le Mali. Pour le communicateur « cette liste explique à elle seule les attaques répétées de l’Union africaine contre la Cour depuis plusieurs années : alors que la CPI est censée être universelle, elle ne poursuit de fait que des Africains ; alors qu’elle est censée être internationale, elle serait en réalité une « Cour pénale africaine ». Cette méfiance explique le fait que la cour subit depuis 2005 des propagandes négatives. Les diverses critiques formulées à l’encontre de la juridiction de la Cour mettent en cause la partialité de celle-ci.
La communication de Docteur MILLOGO visait à répondre à la question de savoir s’il s’agit réellement d’une juridiction partiale ?
Traitant de cette question, le communicateur a indiqué que bien que certains faits laissent penser que la Cour est très active lorsqu’il s’agit des faits commis en Afrique qu’ailleurs, un regard objectif invite à relativiser. En effet, plusieurs arguments montrent que les africains ou du moins l’Afrique y sont pour quelque chose. Autrement dit, ce ne serait pas véritablement la faute de la Cour si la plupart des dossiers que la cour a instruit concernent l’Afrique.
Cela pour les raisons suivantes :
« En premier lieu, il importe de souligner que les États africains constituent aujourd’hui près d’un tiers des États parties au statut de Rome, reconnaissant et acceptant ainsi la compétence de la CPI sur leur territoire ou contre leurs ressortissants (le Sénégal a été le premier État à ratifier le statut, en 1999) ».
« En second lieu, c’est parce qu’ils avaient ratifié le statut de la CPI et donc accepté sa juridiction que trois des quatre États actuellement devant la Cour ont eux-mêmes saisi la Cour et demandé au procureur d’ouvrir une enquête sur les crimes perpétrés sur leur territoire, reconnaissant par là même leur absence de capacité à mener à bien des enquêtes et poursuites sur ces crimes. Concernant la situation au Darfour, l’intervention du Conseil de sécurité des Nations unies s’est justifiée par la situation très grave dans cette région soudanaise depuis 2003, avec plus de deux millions de déplacés et des centaines de milliers de victimes de crimes internationaux, menaçant la paix et la sécurité au sein de la région ».
« Enfin, la gravité des crimes est un critère déterminant pour l’ouverture des enquêtes au niveau de la CPI. De nombreux rapports internationaux permettent d’affirmer que des crimes parmi les plus graves ont été perpétrés de manière systématique dans ces quatre pays ».
Pour le communicateur « c’est la saisine par ces États, la gravité des crimes commis et l’incapacité avérée des juridictions nationales à rendre justice qui ont motivé l’ouverture de ces enquêtes ». Sur le sujet, le bureau du procureur avait indiqué que « l’équilibre régional ne figure pas parmi les critères de sélection d’une affaire dans le statut. »
Il a par ailleurs relevé que si certains chefs d’États et représentants d’organisations régionales ont attaqué la CPI parce qu’elle se concentrerait uniquement sur l’Afrique, le fait est que se sont « les victimes, dans l’ensemble des situations traitées, réclament, de leur côté, l’action de la Cour, qui constitue pour elles le seul recours possible et utile ».
Toutefois, le communicateur a indiqué que bien que le bureau du procureur analyse la situation de pays situés sur d’autres continents, il n’en reste pas moins qu’on puisse penser que la CPI représente l’instrument d’une justice internationale à deux vitesses, privilégiant les pays les plus puissants et asservissant les pays faibles militairement et politiquement. Le fait est que lorsqu’il s’agit de crimes commis par des ressortissants des pays puissants comme les USA, le bureau du procureur passe sous silence. Par exemple, les crimes commis par les Américains en Irak ont été passés sous silence.
La seconde partie de son exposé a porté sur les critiques du « deux-poids, deux mesures » et de la « chasse raciale. Sur ce point il a relevé que sur les dix affaires actuellement instruites par la Cour en 2019, neuf concernent l’Afrique. Ce qui témoigne du « deux-poids, deux mesures » d’une cour « néocolonialiste » dénoncé par les dirigeants africains. Mais sur la question de savoir s’il faut « désafricaniser » la Cour, le communicateur estime que ce n’est pas la solution car souligne-t-il « ce n’est pas ‟l’Afrique” qui est contre la CPI, ce n’est pas la population, mais certains chefs d’État qui, à travers le porte-voix de l’Union africaine, ont exprimé leur solidarité avec el-Béchir, Gbagbo et, aujourd’hui, Kenyatta et Ruto »
La politisation de l’administration au Burkina Faso faut-il s’en inquiété?
L’enseignant chercheur, Dr Jean Paul KABORE s’inquiète de la politisation de l’administration publique au Burkina Faso. Il a commencé son analyse en définissant la politisation et l’administration. La politisation est selon le communicateur le fait des faits politiques, de l’influence politique dans la gestion de l’administration au Burkina Faso. L’administration au sens large renvoie à cette organisation fait de services, d’agents, de procédures pour service l’intérêt général. Elle renvoie à l’Etat au Burkina Faso a t-il precisé. Au fond il a indiqué que la politisation est un phénomène dénégateur de l’éthique administrative. Cela parce que la politisation contribue à faire extorsion des règles et procédure fondamentales. « Le mérite a foutu le camp » du fait de l’influence d’avoir un parent ou un ami politique » a-t-il déploré.
Il a souligné que ce phénomène est alimenté par une pratique faite de diversité et d’acteurs. Cette diversité s’explique par le fait qu’il n’y a pas de pratiques communes à tous les services. La politisation se manifestant diversement dans les services.
Il a déclaré par ailleurs que le phénomène est entretenu par le fait que les victimes de la politisation restent passifs. En effet, « les gens sont victimes de mauvaises affectations(…) mais personne ne parle» a-t-il souligné.
Pour le Dr la politisation est donc une gangrène qui impacte négativement le fonctionnement de l’administration. Conséquence, l’administration serait peu efficace et les administrés et agents voient leurs droits mis à rude épreuve . Le salut de l’administration passera par sa dépolitisation.
A la suite de la communication du Dr Jean Paul KABORE, ce fut le tour de Monsieur Germain Tiérowé DABIRE, doctorant en droit à l’Université de Genève, d’exposer sur « la nature des rapports entre droit interne et droit international sous le prisme Kelsénien ».
Parlant du monisme juridique, le communicateur commence par observer que « l ’argument central de la logique du monisme juridique kelsénien est celui de l’unité des ordres juridiques interne et international construite autour de la technique de réception du droit international par le droit interne et maintenue, en cas de risque de rupture de la continuité, par les clauses notamment constitutionnelles de primauté ». Cette thèse n’est pas partagée par le communicant qui invite à considérer, à la lumière de la pratique judiciaire, une progressive transformation du monisme en dualisme juridique et cela, à travers deux raisons principales. .
La première dérive de la confusion entretenue entre « la norme juridique » et « l’ordre juridique » d’une part et le « système juridique » et « l’ordre juridique » d’autre part. En effet, lorsque la doctrine moniste indique que l’insertion d’une norme de droit international dans l’ordre juridique interne balaie par ce fait même le caractère international de la norme et lui imprime un caractère de norme de droit interne, et que de ce fait, il n’existerait qu’un seul ordre, elle semble laisser de côté la différence de nature des éléments pris en compte dans le raisonnement : l’ordre juridique, le système juridique et la norme juridique. Or, il existe une différence entre l’ordre juridique et le système juridique. L’ordre juridique est formé à partir d’une agrégation ordonnée et cohérente de normes. Cet ensemble normatif ordonné vit et se développe dans un univers à la fois juridictionnel et non juridictionnel qu’est le système juridique. En d’autres termes, la norme juridique tire sa dynamique fonctionnelle de l’ordre juridique alors que l’ordre juridique, lui, tire sa dynamique du système juridique. La cohérence de l’ordre juridique est donc assurée par celle des normes alors que la cohérence du système juridique est assurée par celle des ordres juridiques ; le système pouvant être simple et unique ou mixte ou complexe. La norme internationale, une fois reçue en droit interne se déploie dans l’unique système de droit interne mais reste tributaire de son ordre juridique originel. Or, le rapport évalué d’où dérive cette solution de l’unité de l’ordre juridique est un rapport entre un élément étranger à l’ordre (norme de droit international) et l’ordre lui-même (le droit interne). Cette confusion incite au doute sur l’idée de la fusion des deux ordres juridiques.
La seconde, conséquence de la première, est justifiée par la pratique judiciaire interne intéressant le droit international en matière de primauté. L’argument de l’unité des ordres juridiques interne et international maintenue par la clause de primauté, débouche sur deux ouvertures possibles : soit la clause elle-même établit une égalité matérielle entre elle et la constitution, ce qui signifierait que le droit international serait par là-même constitutionalisé ; soit la clause assure au droit international une valeur supraconstitutionnelle, ce qui signifierait que même contenue formellement dans la constitution, la clause installerait aux côtés de l’ordre juridique interne, un autre ordre aboutissant à un système juridique unique avec pluralité d’ordres juridiques. La première ouverture ne peut se justifier, car si le droit international se constitutionnalise par ce procédé, alors le schéma normatif pyramidal interne établirait, non pas une primauté du droit international sur le droit interne, mais plutôt une primauté formelle de la constitution sur le droit international, solution qui crampe la démarche du monisme juridique avec primauté du droit international. Si, par contre, on opte pour la deuxième ouverture, ce qui nous parait la plus vraisemblable, alors, on aboutit à une cohérence dans le principe de la primauté mais à une incohérence dans celui du monisme juridique. En effet, la primauté assurée du droit international sur le droit interne par la clause ne serait valable que pour autant qu’on reconnait que le système juridique interne dans cette logique compose avec une pluralité d’ordres juridiques, ce qui, in fine, invaliderait l’idée du monisme juridique au profit d’un pluralisme juridique. En effet, les traités et accord internationaux, même ratifiés, ne changent pas de statut juridique ; ils bénéficient au plan interne de leur pleine et entière normativité internationale. De ce fait, le constituant ne les considère pas comme du droit interne, mais plutôt comme des normes internationales autorisées à cheminer et à produire leur effet au côté du droit interne. Cette volonté peut mieux se comprendre, lorsqu’on essaie d’opérer une différence entre les instruments juridiques internationaux incorporés dans le bloc de constitutionalité et les autres instruments juridiques ratifiés et non incorporés dans ledit bloc de constitutionalité. Les premiers ne font pas seulement partie du bloc de constitutionalité, mais participent, en outre, par leur simple incorporation dans ce bloc, à la formation de l’ordre constitutionnel interne. Les seconds demeurent du droit international appelé à produire des effets dans l’ensemble de l’ordre juridique interne, donc à forcer et à faire parfois plier tout le droit interne y compris la constitution, dans ses dispositions incompatibles et/ou contraires à lui. La nuance inférée à cette distinction participe à la compréhension de la volonté réelle du constituant, en ce sens qu’il aurait accepté d’une part de nationaliser une partie du droit international dont les instruments juridiques internationaux mentionnés dans le bloc de constitutionnalité et d’autre part de traiter les autres instruments juridiques internationaux comme relevant exclusivement du droit international, en ayant comme mécanisme de contrôle, celui de la compatibilité et de la conformité du droit interne à ceux-ci et surtout à ces derniers.
C’est précisément à ce niveau qu’on peut faire appel à la lecture syntaxique des clauses constitutionnelles de primauté. En effet, dans la pratique de la justice constitutionnelle et administrative, le juge constitutionnel ou le juge administratif a souvent analysé et regardé les normes du droit international reçues dans l’ordre juridique interne non pas comme du droit interne mais comme du droit international. C’est d’ailleurs en les regardant comme des normes du droit international que le juge justifie la logique du contrôle de conventionnalité a posteriori des normes internes et vérifie la conformité du contenu des révisions constitutionnelles aux engagements internationaux de l’Etat déjà ratifiés et insérés dans l’ordre juridique interne. Aussi, dans les situations où des actes étatiques internes sont conformes au droit interne et contraires aux engagements internationaux ratifiés et liant l’Etat, lorsque des justiciables invoquent l’illégalité de ces derniers devant le juge étatique, il y a dans l’opération psychologique du juge une distinction intellectuelle dans l’analyse qui tend à considérer ces accords et traités ratifiés et reçus dans l’ordre interne non pas comme du droit interne mais comme du droit international. C’est à ce titre, et suivant la logique de la primauté du droit international que le juge ordonnera l’annulation de ces actes internes non conformes auxdits accords internationaux.
Le communicant conclut en soulignant que la transposition des règles du droit international ne crée pas une « dénaturation » desdites règles mais instaure une cohabitation ou une juxtaposition des deux ordres juridiques (droit international et droit interne) dans une unité « systémique » qui est le système interne. Le droit interne dans son rapport au droit international transposé, génère ainsi en son sein une pluralité d’ordres juridiques dont au moins le dualisme.
Le deuxième panel présidé par le professeur DJIBRIHINA OUEDRAOGO a vu l’intervention du Dr YOUGBARE Robert sur la question du principe d’égalité en droit administratif au prisme des incitations à la performance dans la fonction publique.

Le juge Gnanou KARFO, lui a saisi l’occasion d’interroger la carrière de l’enseignant chercheur dans l’espace CAMES : cas du CTS science juridique et politique.
C’est un double regard projeté sur la carrière de l’enseignant chercheur au Burkina Faso. Le premier regard étant orienté sur le droit national, en l’occurrence le droit de la fonction publique. Le second étant tourné vers le droit transnational, en l’occurrence le droit CAMES.
La journée d’hommage a pris fin à 12h30mn.Le comité d’organisation présidé par le professeur Abdoulaye SOMA himself a précisé que l’ensemble des réflexions sera publié sous forme de mélange en hommage aux illustres professeurs admis à la retraite : professeur YONABA et professeur BA.
Par ZOROME Noufou
Revue Juridique du Faso