LES MUTATIONS NORMATIVES DES COMITÉS VILLAGEOISES DE DÉVELOPPEMENT AU BURKINA FASO

La décentralisation est, « en matière d’organisation administrative et de gestion du territoire, (le) transfert d’un certain nombre de compétences administratives, financières et de gestion, à des collectivités publiques territoriales distinctes de l’Etat et disposant de la personnalité morale, de l’autonomie financière, et d’instances élues »1. Le processus de décentralisation a été enclenché au Burkina Faso avec l’adoption de la Constitution du 2 juin 1991 qui, en son article 143, dispose : «Le Burkina Faso est organisé en collectivités territoriales»2. Par la suite, on procèdera à l’adoption des textes d’orientations de la décentralisation3 (TOD) qui, comme leur nom l’indique, étaient destinés à imprimer une direction au processus de décentralisation. Dans le même élan, en 2004, la loi n°055-2004/AN du 21 décembre 2004 adopte le code général des collectivités territoriales (CGCT) qui se veut un recueil de l’ensemble des dispositions relatives à la décentralisation et qui, en son article 07, en reprenant à la lettre l’article 143 de la Constitution, dispose :« le Burkina Faso est organisé en collectivités territoriales ».

Présenté par :
Monsieur OUEDRAOGO Lassané

Sommaire Sommaire
Introduction

Section 1 : Une décentralisation plus poussée

Section 2 : Un corpus normatif à fignoler

Conclusion

Introduction

La décentralisation est, « en matière d’organisation administrative et de gestion du territoire, (le) transfert d’un certain nombre de compétences administratives, financières et de gestion, à des collectivités publiques territoriales distinctes de l’Etat et disposant de la personnalité morale, de l’autonomie financière, et d’instances élues »1. Le processus de décentralisation a été enclenché au Burkina Faso avec l’adoption de la Constitution du 2 juin 1991 qui, en son article 143, dispose : «Le Burkina Faso est organisé en collectivités territoriales»2. Par la suite, on procèdera à l’adoption des textes d’orientations de la décentralisation3 (TOD) qui, comme leur nom l’indique, étaient destinés à imprimer une direction au processus de décentralisation. Dans le même élan, en 2004, la loi n°055-2004/AN du 21 décembre 2004 adopte le code général des collectivités territoriales (CGCT) qui se veut un recueil de l’ensemble des dispositions relatives à la décentralisation et qui, en son article 07, en reprenant à la lettre l’article 143 de la Constitution, dispose :« le Burkina Faso est organisé en collectivités territoriales ». Il rajoute :« La collectivité territoriale est une subdivision du territoire dotée de la personnalité juridique et de l’autonomie financière. Elle constitue une entité d’organisation et de coordination du développement. Les collectivités territoriales sont : la région et la commune»4. Plus loin, il affirme que la commune est la collectivité territoriale de base5. Le code général des collectivités territoriales, en ses dispositions relatives à la collectivité territoriale de base qui est la commune dispose, notamment en ses articles 222 et suivants : « Dans les villages des communes rurales et dans les villages rattachés aux communes urbaines, il est institué un conseil villageois de développement (CVD) ». «[…] L’organisation, la composition et le fonctionnement des conseils villageois de développement sont fixés par décret pris en conseil des ministres ». Ainsi, en 2007, ledit décret est adopté. Il s’agit du décret n°2007-032/PRES/PM/MATD du 22 janvier 2007 portant organisation, composition et fonctionnement des conseils villageois de développement (CVD). Ce dernier définit le conseil villageois de développement comme « le regroupement de l’ensemble des forces vives du village»6. Cet organe, aujourd’hui sous la tutelle de la commune7, a une panoplie de missions8. Il convient cependant de préciser que les CVD ne sont pas les premiers nés du genre. Ils ont succédé aux commissions villageoises de gestions des terroirs (CVGT) instituées par l’arrêté n° 0010/2000/ AGRI/MEE/MEF/MATS/MRA. C’est cette évolution juridique qu’il convient d’analyser. En effet, notre étude porte sur « les mutations normatives des CVD au Burkina Faso ». La mutation est une « variation, (une) modification dans un groupe, un processus »9. Couplée à la notion de norme, on peut dire que la mutation normative est un changement de règlementation. Notre étude va consister à analyser l’évolution du corpus normatif des CVD. De façon pratique, il s’agira de répondre au questionnement suivant : Quelles sont les innovations apportées par le décret de 2007 portant CVD ? En d’autres termes, quel est l’apport de cette mutation normative au processus la décentralisation au Burkina Faso ? Es ce que ce renouveau permet d’atteindre réellement l’un des objectifs visés par la décentralisation qui est de permettre une participation populaire à la gestion des affaires locales ? Si non, comment améliorer cette règlementation ? L’analyse d’une telle problématique est d’un double intérêt. Sur le plan théorique, elle permet d’analyser l’évolution du processus de décentralisation, d’en apprécier l’avancée et d’en déceler les limites. D’un point de vue pratique, cette analyse permettrait, éventuellement, de réviser le régime juridique des CVD dans le dessein de faire progresser la décentralisation en l’adaptant à la réalité des villages. Ce sujet est d’actualité brûlante au regard de la situation nationale dans laquelle il existe constamment des problèmes par rapport à la gestion du foncier local. Or, gérer le domaine foncier des collectivités territoriales est l’une des missions clés des CVD. Dans la suite de notre analyse, il s’agira tout d’abord de constater que l’avènement du décret portant CVD est salutaire pour le processus de décentralisation. Puis, nous terminerons par une critique du décret qui laissera entrevoir qu’il est perfectible. Pour ce faire, notre première partie (section I) est intitulée « une décentralisation plus poussée » et la seconde partie (section II) « un corpus normatif à fignoler ».

Section 1 : Une décentralisation plus poussée

L’avènement du décret portant CVD permet d’obtenir une gouvernance locale améliorée (paragraphe 1) et une autonomie des collectivités territoriales boostée (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Une gouvernance locale améliorée

Il existe une panoplie de définitions de la notion de gouvernance10. De cette multiplicité de définition, nous retiendrons celle donnée par le PNUD en 1997, selon laquelle, la gouvernance est « l’exercice de pouvoirs économiques, politiques et administratifs pour gérer les affaires d’un pays à tous les niveaux […]. La somme des mécanismes, processus et institutions à travers lesquels les citoyens et les collectivités défendent leurs intérêts, leurs droits légaux, remplissent leurs obligations et règlent leurs différends»11. Un élément essentiel est commun à toutes ces définitions. C’est le jeu interactif des acteurs. Ainsi, logiquement une meilleure interaction est un indication fiable d’une gouvernance locale améliorée. A cet effet, le décret portant CVD se distingue de l’arrêté portant CVGT en ce qu’il permet une plus grande interaction des acteurs et partant, une meilleure gouvernance locale. De façon pratique, cela se constate à trois niveaux essentiellement.
D’abord, nous constatons une plus large composition du bureau du conseil villageois de développement. Cette augmentation concerne non seulement le nombre de membres mais aussi la typologie des membres. En effet, selon l’article 3 du décret n°2007032/PRES/PM/MATD du 22 janvier 2007 portant organisation, composition et fonctionnement des conseils villageois de développement (CVD), le bureau du CVD est composé d’« un président, un vice-président, un secrétaire, un secrétaire adjoint, un trésorier, un trésorier adjoint, deux responsables chargés de la promotion féminine, deux responsables chargés de la promotion paysanne, deux responsables chargés de la promotion de la jeunesse ». Ce qui fait un total de douze (12) membres. Or, suivant les dispositions de l’article 17 de l’arrêté n° 0010/2000/ AGRI/MEE/MEF/MATS/MRA portant CVGT, le bureau de la commission villageoise de gestion des terroirs est composé d’« un président, un viceprésident, un secrétaire, un secrétaire adjoint, un trésorier, un trésorier adjoint, un représentant de chaque commission spécialisée, un représentant des organisations des femmes, un représentant des organisations des jeunes », pour un total de neuf (09) membres. On constate alors une augmentation de trois membres du bureau. Cette augmentation peut sembler insignifiante, mal à l’échelle d’un village, elle est fort remarquable et permet une plus grande participation populaire à la gestion du village. En ce qui concerne l’autre volet de l’augmentation qui est relatif à la typologie des membres du bureau, on constate une augmentation dans la représentation, notamment des représentants de la population paysanne. Cette augmentation traduit certainement une volonté de représenter toutes les couches sociales présentes dans village au sein du bureau du CVD. Par une meilleure représentation des différentes couches sociales, on obtient une plus grande prise en compte des intérêts individuels et collectifs des villageois, ce qui permet au final d’améliorer la gouvernance locale. C’est en cela que cette mutation normative est salutaire pour la gouvernance locale.
Ensuite, il y a l’alternance par une limitation du nombre de mandats en tant que membre du bureau du CVD. L’une des innovations majeures apportées par le décret portant CVD est la limitation du nombre de mandats en tant que membre du bureau du CVD à deux (02). En effet, le nombre de mandats n’était pas limité dans l’arrêté portant CVGT. Ce qui pouvait conduire à une confiscation du pouvoir local par certaines personnes qui se feraient réélire indéfiniment. L’article quatre (04) du décret portant CVD a résolu ce risque de confiscation du pouvoir en disposant : « Le mandat du bureau du CVD est de trois (3) ans renouvelable deux (2) fois ». Par l’adoption d’une pareille disposition, le décret portant CVD oblige l’alternance12 qui est un des critères fondamentaux13 de distinction d’une bonne gouvernance. De façon pratique, aucun individu ne peut désormais effectuer plus de trois (03) mandats consécutifs au sein du bureau du CVD. Ainsi, en exigeant l’alternance en son article quatre, le décret promeut la démocratie et améliore la gouvernance locale.
Enfin, l’institution d’un régime de sanction et de démission. L’une des implications de la bonne gouvernance démocratique est la prérogative reconnue à la population d’exercer un contrôle sur la gestion du pouvoir par les autorités élues. Ce contrôle permet au peuple de s’assurer que le pouvoir qu’il a confié à l’élu est géré de façon convenable et efficace. En cas de constatation d’une mauvaise gouvernance, le peuple peut réagir en demandant la démission de l’autorité défaillante. Cette prérogative est désormais reconnue aux villageois. C’est en cela que le décret apporte sa touche d’amélioration à la gouvernance locale. En effet, tout un chapitre, notamment le chapitre VI, composé de quatre (04) articles, est consacré à la sanction et à la démission des membres du bureau du CVD. Le premier14 et le deuxième15 article déterminent l’autorité auprès de laquelle s’exerce la démission, en l’occurrence le Maire. Le troisième16 article énumère limitativement les fautes faisant l’objet de révocation. Ce sont des fautes graves17. Le quatrième et dernier article consacré au régime de démission et de sanction est relatif à la conduite à tenir par le Maire en cas de révocation de démission ou d’absence prolongée d’un membre du bureau18. Nulle part, dans l’arrêté portant CVGT il n’était fait mention d’un régime de sanction et de démission. Or, comme le dit le dicton, « pas de peine sans loi ». On pourrait donc penser que le bureau des CVGT était totalement libre de « tout faire » du fait de l’inexistence d’un régime de répression. L’institution d’un tel régime renforce la gouvernance locale en ce qu’il joue à la fois un rôle de dissuasion et de répression. En effet, l’élite locale sera moins tentée de commettre des fautes du fait de l’existence d’un régime de sanction. Par ailleurs, si éventuellement elle commettait des fautes, elle serait réprimée. Tout cela concourt à encadrer l’exercice les pouvoirs au sein des villages et, ce faisant, améliore la gouvernance locale. C’est en cela que la mutation normative contribue à améliorer la gouvernance locale. L’amélioration de la gouvernance locale contribue au renforcement de la décentralisation de concert l’augmentation de l’autonomisation des collectivités.

Paragraphe 2 : Une autonomie des collectivités territoriales boostée

L’autonomie des collectivités territoriales est un principe19 du droit de la décentralisation. Cependant, de l’exploration des divers textes juridiques qui l’instituent, il ne ressort aucune définition susceptible d’être retenue. Les auteurs qui l’évoquent abondamment dans leurs écrits n’en donnent pas de définition claire et se limitent très souvent à en décrire les manifestations20. Nous pensons que l’autonomie peut être sommairement définie comme étant la capacité d’une collectivité territoriale à gérer seule des affaires propres sans recours à l’autorité de tutelle. Elle se subdivise traditionnellement en autonomie financière et en autonomie administrative. L’adoption du décret portant CVD a institué de nouvelles règles qui ont pour corollaire ou pour finalité d’accroître l’autonomie des collectivités territoriales.
D’abord, les ressources des CVD. La nouvelle règlementation augmente les voies et moyens par lesquels les collectivités territoriales peuvent obtenir les ressources nécessaires à leur fonctionnement. En effet, suivant l’article vingt-deux du décret portant CVD, « les ressources du Conseil Villageois de Développement sont constituées par : la dotation du budget communal, les recettes issues des activités entreprises, les subventions à la promotion du développement local, les dons et legs ». Or, selon l’article vingt-neuf (29) de l’arrêté « les ressources de la CVGT sont les cotisations de ses membres, les recettes venant des activités entreprises, les dons, legs (dons par testament) et subventions faits à la CVGT ». On constate clairement que les CVD ont plus de ressources que les CVGT parce qu’elles reçoivent des dotations du budget communal. Ces dotations constituent l’essentiel des ressources des CVD et leur permettent de mieux s’autonomiser financièrement.
Ensuite, les prérogatives des CVD augmentent. Les CVD ont plus de compétences que les CVGT. Cet élargissement du champ de compétence fait qu’ils sont moins dépendants de l’autorité de tutelle. Ainsi leur domaine d’action grandi. En effet, « Les CVGT sont des organisations locales qui disent en quel sens développer le village et elles coordonnent (organisent) les actions de développement. Les CVGT font ce travail avec l’aide des services techniques de l’Etat (agriculture, élevage, eaux et forêts etc., ) et les autres organisations pour le développement (partenaire ) »21. Et, « dans les villages, les CVGT sont chargées d’attribuer, évaluer et retirer les terres du domaine foncier national (terres qui appartiennent à l’Etat), de faire les programmes de gestion et de développement de tout ce qui existe dans le village et autour, de gérer infrastructures communautaires (routes, puits, écoles, dispensaires etc.) les forets villageoises, les pâturages la faune (les animaux de la brousse) et en général tout ce que les terres produisent d’une manière naturelle»22. Or, selon le décret portant CVD, « Le Conseil Villageois de Développement est chargé sous l’autorité du président du Conseil Municipal de contribuer à l’élaboration et à la mise en œuvre des plans communaux de développement, contribuer à la promotion du développement local dans le village, participer à l’animation des différentes commissions spécifiques mises en place par le conseil municipal pour la gestion et la promotion du développement local»23. Aussi, « Dans l’exécution de ses missions, il est chargé particulièrement d’élaborer des programmes annuels d’investissement du village qui sont soumis à l’approbation du conseil municipal sur la base des orientations du plan communal de développement, contribuer à la mobilisation des ressources humaines et financières nécessaires à la mise en œuvre des actions retenues dans les programmes annuels d’investissement, participer à la recherche des solutions aux problèmes fonciers et de gestion de l’espace villageois, contribuer à la mise en place de mécanismes permettant la participation la plus large de toutes les couches de la population villageoise au développement local, créer toutes les conditions nécessaires à la gestion, l’entretien et la valorisation des infrastructures et des ressources naturelles»24. Qui plus est, « Le Conseil Villageois de Développement assure la gestion quotidienne des activités du village. A ce titre, il examine et émet des avis écrits et motivés sur les projets et programmes de développement concernant le village, il peut se saisir d’initiative de toutes questions touchant au développement du village et émettre des recommandations circonstanciées, notamment dans les domaines suivants : la préservation de la paix sociale dans le village, la mobilisation des populations autour des actions socioéconomiques du village, la protection de l’environnement. »25. Nous pensons que cet accroissement des prérogatives rendu possible par le décret portant CVD n’est pas anodin. En permettant aux CVD d’accomplir librement plus de taches pour le développement local, le décret réduit le domaine de compétence de l’Etat en la matière, ce qui, par voie de causalité, augmente l’autonomie des collectivités territoriales. Ainsi les collectivités territoriales ont une plus vaste étendue de prérogatives pour gérer la vie locale.
En outre, un régime juridique plus précis. De façon générale, on constate une nette amélioration dans la règlementation des CVD. Des textes plus clairs ont pour conséquence immédiate une réduction des demandes d’interprétation des textes, une réduction de la violation de règlementation, une meilleure mise en œuvre des compétences des CVD. L’autonomie est une capacité à s’autogérer. Nous pensons que cette capacité peut se mesurer par le recours à l’autorité de tutelle. Des recours fréquents à l’autorité de tutelle pourraient être interprétés comme une négation ou tout au moins une limite à l’autonomie. A contrario, des recours relativement limités pourraient laisser penser que cette autonomie des collectivités territoriales est plus poussée. Ainsi un régime juridique plus claire pourrait réduire sensiblement le nombre de recours car comme le dit le dicton, « interpretatio cessat in claris ». On peut citer, comme exemple, de façon non exhaustive, les dispositions relatives au mandat, à la désignation des membres du bureau, ou aux modalités de contrôle.
Enfin, il y a le changement d’autorité de tutelle. Sous l’ancien régime juridique les CVGT relevaient du préfet et du haut-commissaire26. C’est autorités sont toutes des autorités déconcentrées. Dorénavant, les CVD relèvent de la commune qui est une entité décentralisée27. Ainsi, les pouvoirs des collectivités territoriales augmentent ce qui renforcent leur autonomie tant administrative que financière car les CVD sont eux aussi à mesure de créer des ressources financières. En dépit des multiples avancées, le régime juridique des CVD demeure perfectible.

Section 2 : Un corpus normatif à fignoler

Dans cette partie nous allons d’abord constater que les compétences des CVD sont à l’épreuve de la réalité (paragraphe 1) avant d’analyser en quel sens leur régime juridique peut être revisité (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Un ensemble de compétences à l’épreuve de la réalité

Les CVD, principaux outils de la participation de la population locale à la gestion du village, ont été institués en vue de l’amélioration de la gouvernance à l’échelle du village afin de parvenir à l’effectivité de la décentralisation à la base. Ils se heurtent aux chefs traditionnels dans l’exercice des compétences qui leur sont légalement reconnues et dans la résolution des conflits28. Qui plus est, la représentation de toutes les couches sociales que le décret portant CVD semble avoir améliorée demeure mythique.
D’abord, dans l’exercice des compétences. « (…) Les chefs traditionnels du Burkina Faso revendiquent de plus en plus ouvertement un statut légal de nature à mettre fin à l’hypocrisie politique dont ils s’estiment être victimes de la part des autorités publiques : courtisés en période électorale, sollicités pour régler les conflits fonciers locaux, les chefs coutumiers ne sont pas pour autant censés exister au regard de la loi, et encore moins exercer des responsabilités officielles de gestion du foncier et des ressources naturelles »29. Cette assertion résume clairement toute la difficulté qui réside dans le cadre des rapports entre les CVD et les chefs traditionnels. En effet, la chefferie traditionnelle est fortement ancrée dans le système institutionnel burkinabè30. Les chefs traditionnels sont chargés de s’occuper des questions relatives au foncier, d’un point de vue coutumier. Quant aux CVD, ils ont pour mission, entre autres, en vertu du décret les instituant, de « participer à la recherche des solutions aux problèmes fonciers et de gestion de l’espace villageois » et de « créer toutes les conditions nécessaires à la gestion, l’entretien et la valorisation des infrastructures et des ressources naturelles »31. Ainsi naît une rivalité entre les chefs traditionnels et les CVD car la pratique confère aux chefs traditionnels des compétences que la loi reconnait aux CVD.
Ensuite, dans la résolution des conflits. Les relations humaines sont par essence conflictuelles32. Les villages ne dérogent pas à ce postulat vieux de plusieurs siècles. Il survient de temps à autres des conflits. Dès lors qu’un conflit nait, il semble logique et indispensable de le solutionner. Ainsi, deux systèmes de résolution des conflits se côtoient et s’opposent. Le système traditionnel usité par les chefs villageois et le règlement juridictionnel prôné par les CVD. Dans la majeure partie des cas, la solution à l’amiable est la première alternative qui se présente, et favorise l’intervention de la tradition qui est l’apanage des chefs traditionnels33. Cette solution peut être justifiée par l’ignorance des procédures juridictionnelles, le difficile accès à la justice, et le coût de la procédure judiciaire. Toutes choses qui favorisent la prévalence des modes traditionnels de règlement des litiges et même l’émergence de la loi de la jungle et de celle du talion. Concernant les modes traditionnels de règlement des différends, l’accent est généralement mis sur la médiation et la conciliation34. Dans le cas où les populations décident de ne pas se faire justice elles-mêmes, elles ont recours aux chefs traditionnels. Or, ces derniers ne sont pas habilités à rendre la justice selon l’ordre juridique burkinabè35. Ils deviennent, de ce fait, des concurrents des CVD en matière de règlements des différends. L’on assiste ainsi à une occultation des CVD dans le règlement des conflits au profit des chefs traditionnels qui, légalement, ne sont pas habilités à résoudre des conflits. Ce qui est de nature à remettre en cause les compétences des Conseils Villageois de Développement eu égard au contexte où les populations demeurent très attachées à la personne du chef et réticentes au changement. Toute chose qui fait perdre aux CVD une partie de leur légitimité.
Enfin, dans la représentation populaire. Le mode légalement prévu pour la désignation des membres des CVD est le vote36. Les populations locales élisent leurs représentants. Une distinction entre autochtones et migrants se dessine lors de la désignation des candidats et de l’élection. A cet égard, « il est intéressant de souligner le repli identitaire qui se manifeste par le choix porté suivant l’ethnie du candidat ou son origine. Certes, la loi proclame les conditions d’éligibilité et l’égalité tant des citoyens que des candidats, mais dans les faits, il est difficile, voire impossible pour les ressortissants d’une autre localité de se faire élire »37. D’où une faible participation à l’action locale dans la mesure où les migrants ne se sentiront pas concernés par les activités de la localité. Les quelques-uns qui, en dépit de tout, voudraient participer seraient eux aussi probablement peu écoutés car minoritaires. Or, il semble indispensable, pour une meilleure gestion participative, d’impliquer, d’une manière ou d’une autre, l’ensemble de la population à la base. Ainsi, le décret flanche dans l’atteinte d’un de ses objectifs qui est la représentation de toutes les couches sociales. Mais, nous pensons que son régime juridique est perfectible.

Paragraphe 2 : Un régime juridique à revisiter

Deux principaux soucis ont été révélés de l’analyse du corpus normatif des CVD. Il s’agit notamment des interférences de compétences avec les chefs coutumiers et du mythe de l’atteinte d’une représentation effective de toutes les couches sociales des villages.
D’une part, nous prônons l’introduction des chefs traditionnels dans le bureau des CVD. En effet, nous pensons qu’il faille procéder à une reconnaissance officielle de la chefferie traditionnelle dans la gestion des villages. L’idéal serait de pouvoir les intégrer dans le bureau ou de passer par leur consultation dans la procédure. Cette amélioration permettrait d’éviter les conflits de compétences qui font perdre aux CVD leur légitimité. Ainsi cette innovation en permettant aux CVD d’accomplir pleinement leurs missions, améliorerait la gouvernance locale ce qui constituerait une avancée remarquable vers l’effectivité de la décentralisation au Burkina Faso. Cependant, cet avis ne fait pas unanimité38.
D’autre part, il apparait indispensable de trouver un moyen de parvenir à une plus grande représentation des différentes couches sociales. En effet, comme nous l’avons vu plus haut, la représentation n’est pas totale, ce qui ne permet pas de prendre en compte des aspirations profondes de chacun individu du village et donc pourrait contribuer à porter préjudice aux uns au détriment des autres. Ce préjudice ou cette mise à l’écart peut être un vecteur de repli identitaire avec des conséquences gravissimes. Au-delà des deux principaux éléments ci-dessus énoncés certaines dispositions doivent être améliorées. Elles sont relatives au régime de sanction et de démission.
Le décret portant CVD prévoit un chapitre, notamment le chapitre six (06), organisant la procédure de démission et énumérant les causes de révocation d’un membre du bureau du CVD. Cependant, il manque de préciser s’il existe une possibilité pour la population locale de demander la démission d’un membre du bureau. Es ce qu’il faut interpréter l’absence de cette précision comme une incapacité pour le peuple de réclamer la démission d’un membre du bureau qui lui semble incompétent ? Si oui- ce qui serait logique- es ce qu’on pourrait affirmer dans ce cas que le contrôle populaire de l’action de l’élite est suffisant ? Ce serait priver le peuple de son pouvoir de répression et donc une négation de la souveraineté populaire. Pour cette raison, nous pensons qu’il faille préciser les dispositions du décret portant CVD afin de conférer à la population locale le pouvoir de demander la démission d’une partie ou de la totalité des membres du bureau sous certaines conditions évidemment39.

Conclusion

« Le processus de décentralisation […], tantôt hésitant, tantôt chancelant, semble avoir amorcé avec la décentralisation rurale une étape décisive »40. Ladite décentralisation rurale n’aurait guère été possible sans l’institution des Commissions Villageoises de Gestion des Terroirs (CVGT) et plus tard, des Conseils Villageois de développement (CVD). De l’analyse de l’évolution du corpus normatif de ces institutions, il est ressorti que la mutation a porté de nombreux fruits. Elle a permis d’améliorer la gouvernance locale et d’autonomiser un peu plus les collectivités territoriales, le tout concourant à un meilleur ancrage de la décentralisation. Cependant, « en dépit des acquis enregistrés, de nombreuses insuffisances persistent, liées tant aux hommes chargés de l’animation du processus qu’au cadre normatif et règlementaire »41. A cet effet, nous avons constaté que les CVD manquaient parfois de légitimité du fait du décalage qui existe entre leur régime juridique et la réalité des villages. Cet état de fait entrave énormément leur bon fonctionnement. Alors, nous avons pensé qu’il fallait peaufiner le régime juridique des CVD en introduisant les chefs coutumiers dans leur bureau et en faisant en sorte que cette institution soit encore plus représentative des couches sociales qui composent les villages.

Bibliographie

i.Textes législatifs
-Constitution du 02 juin 1991

– Loi n°55-2004/AN du 21 décembre 2004 portant Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT)

– Loi n°040/98/AN portant orientation de la décentralisation au Burkina Faso

-Loi n°041/98/AN portant organisation de l’administration du territoire du Burkina Faso

– Loi n°042/98/AN portant organisation et fonctionnement des collectivités locales

 -Loi n°041/98/AN portant programmation de la mise en œuvre de la décentralisation

– Décret n°2007-032/PRES/PM/MATD du 22 janvier 2007 portant organisation, composition et fonctionnement des Conseils Villageois de Développement (CVD) – Arrêté n°0010/2000/AGRI/MEE/MEF/MATS/MRA portant organisation, composition et fonctionnement des Commissions Villageoises de Gestions des Terroirs (CVGT)

ii.Ouvrages
-BOURLION Nelly, gouvernance locale : Enjeux et méthodes, 2017, 19 p.

– Journal officiel du Burkina Faso, recueil de textes sur la décentralisation au Burkina Faso, 212p.

– KOTE Gaoussou, structures de gestion des terres rurales : perspective pour la reconnaissance juridique et la fonctionnalité de la Commission Villageoise de Gestion de Terroir, 1997, 10 pages

– Laboratoire de citoyenneté, état des lieux de la décentralisation au Burkina Faso, 2007, 62p.
– LADEGAILLERIE Valérie, lexique de termes juridiques, Anaxagora, collection numérique, 2005, 169 p.

-Larousse, le petit Larousse illustré, 2016, 2044p.

– Premier ministère/Commission national de la décentralisation, les grands repères du processus de décentralisation au Burkina Faso, fonds documentaire, octobre 1996, 68p.

– ROCHEGUDE Alain, décentralisation, acteurs locaux et foncier, I.P.C.B, Cotonou, 2000, 107p.

iii.Articles
-COULIBALY Daniel « Note d’information sur l’évolution du cadre juridique et institutionnel de la décentralisation au Burkina Faso », 14p.
-Habib Ahmed DJIGA, « la gouvernance locale à l’épreuve des migrations dues aux changements climatiques : Cas des rapports entre conseils villageois de développement et chefs traditionnels au Burkina Faso dans la gestion des conflits sociaux » vertigO, 2009, 6 p.

-TALLET Bernard « Au Burkina Faso les CVGT ont-elles été des instances locales de gestion foncière ? »
iv.Thèse
– NGONO TSIMI Landry, « l’autonomie administrative et financière des collectivités territoriales décentralisées : l’exemple du Cameroun », 2010, 402p.

v.Autres Documents

– Programme national de gestion des terroirs (PNGT), atelier bilan sur la mise en œuvre des Commissions Villageoises de Gestions des Terroirs CVGT : Rapport de synthèse, atelier tenu à Bobo- Dioulasso les 8, 9 et 10 juillet 1998

– Ministère de l’administration territoriale et de la décentralisation, Direction générale de la décentralisation, direction des affaires foncières et du patrimoine (DAFOP) : Rapport de synthèse de l’atelier sur l’ancrage institutionnel des Conseils de village et des Commissions Villageoises de Gestion des Terroirs (CV et CVGT), tenu à Kombissiri le 8 juillet 2002, 8p.

-Ministère de l’agriculture/ Secrétariat général/ Programme national de gestion des terroirs (PNGT) « Rapport général de l’atelier sur la sécurisation foncière en milieu rural » Ouagadougou du 02 au 05 février 1999 ; 58p.

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