Par requête en date du 15 avril 2O2O, des magistrats ayant constaté une coupure sur leurs salaires saisissaient le Président du tribunal administratif de Koudougou. Dans cette requête ils formulaient les prétentions suivantes :
– L’obtention de la prise de mesures utiles ordonnant la cessation des coupures positionnées sur leurs salaires du mois d’avril 2O2O en cours ou tout autre mois à venir.
-Et cela assortit d’une astreinte de dix millions (10 000 000) FCFA par jour de retard à compter de la décision à la charge personnelle et solidaire des responsables des Ministères et Directions ainsi que des structures intervenant directement dans la décision et opérationnalisation des retenues, notamment, le Ministre de la justice, le Ministre de l’Économie, des Finances et du Développement, le Secrétaire Général du Ministère de la justice, le Secrétaire Général du Ministère de l’économie, des Finances et du Développement, le Directeur des Ressources Humaines du Ministère de la justice, le Directeur Général du Budget, le Directeur de la Solde, le Directeur Général du Trésor et 1e Payeur Général.
Ils soutenaient leur requête recevable au motif que les conditions exigées à ce sujet par l’article 52 de la loi 011-2016/AN du 26 avril 2016 portant création, composition, attributions, fonctionnement des tribunaux administratifs étaient réunies, notamment l’urgence, l’utilité de la mesure, la non obstacle à l’exécution d’une décision administrative.
Sur l’urgence, ils ont soutenu que « le caractère alimentaire du salaire et la protection particulière qui lui est vouée établissent à suffisance cet état des faits » témoignent du caractère urgent des mesures souhaitées.
Sur la nécessité et l’utilité des mesures demandées, les requérants ont avancé « la précarité insoutenable à laquelle les coupures substantielles les exposent, combinées aux retenues sur fond des engagements bancaires dont les uns et les autres sont tenus ». Estimant que cela pourrait exposer leur dignité.
Examinant cette requête à la lumière des faits, moyens et prétentions des parties, le juge a conclu à la recevabilité de la requête. Cela parce qu’il a jugé que les conditions énoncées à l’article 52 de la loi susmentionnée étaient réunies.
Sur l’urgence :
Le juge des référés a estimé que l’urgence s’analyse et s’apprécie en fonction d’une atteinte grave et immédiate qui menace les droits du requérant, en l’espèce, il s’agit bien des intérêts des magistrats requérants, plus particulièrement leur rémunération. A ce sujet il déclare que « Considérant qu’en l’espèce, les requérants soutiennent sans être contredits que le salaire a un caractère alimentaire et à ce titre fait l’objet d’une protection particulière par le législateur ; que les coupures inexpliquées et hors de proportions opérées sur leurs salaires les inscrivent dans une situation de précarité insoutenable; qu’il en résulte une atteinte grave et immédiate ».
Sur l’utilité de la mesure :
Il a estimé qu’étant donné que « des retenues substantielles ont été opérées sur les salaires des requérants et que des mesures du même type sont en cours pour le mois d’avril »; toute chose qui dénote « d’un préjudice évident que subissent les requérants », il y avait lieu de conclure à la nécessité des mesures souhaitées. Cela parce qu’elles permettraient d’assurer la protection du droit à la rémunération des requérants.
Sur la non entrave à l’exécution d’une décision administrative, le juge a estimé simplement ne pas pouvoir juridiquement conclure à l’existence d’une telle décision, et cela en dépit de lettre n°2020-244 du 24 mats 2O2O portant, retenues sur les salaires de certains agents du ministère de la justice pour service non rendu. Cela du fait de l’absence de la liste qui comporte les noms des personnes éligibles aux retenues et à laquelle renvoi est fait.
Eu égards à tout ceci, le juge a estimé qu’il y avait lieu de faire droit aux prétentions des requérants concernant la prise de mesures utiles, en ce qui concerne uniquement les retenues déjà positionnées sur leurs salaires d’avril 2O2O. En effet, ce n’est que partiellement que le juge a accédé à la demande des requérants. Celui-ci ayant jugé mal fondée la demande tendant à obtenir de lui l’ordre que les coupures de salaires sur les mois à avenirs ne soient pas effectuées.
Aussi, il a rejeté la demande tendant à obtenir que les responsables des structures concernées soient astreints à hauteur de dix million(10 000 000) à l’exécution de la décision. Sur ce point il a été on ne peut plus clair quand il a déclaré que « La qualité de justiciable des responsables des structures attraits devant les juridictions administratives et contre qui l’astreinte est requise, ne peut être appréciée indépendamment de leurs attributions les rattachant nécessairement à l’action de l’Etat et ses démembrements ». Or « s’il est admis que la juridiction administrative peut même en l’absence de texte prononcer des astreintes à l’égard des personnes privées, il en va autrement à l’égard des personnes publiques »
En effet, l’Etat ou ses démembrements ne peuvent faire l’objet d’astreintes quoiqu’ils soient débiteurs. Ce faisant il a conclu qu’étant donné que la dissociation, (c’est-à-dire entre l’Etat ou ses démembrements et les personnes physiques qui les représentent) ne peut en l’état prospérer il ne peut qu’étendre le privilège de l’impossibilité d’astreinte de l’Etat ou ses démembrements à leur égards.
Il est important de souligner que la requête de l’Etat tendant à voir le Président se récuser à été rejeté au motif que « la mise en œuvre du droit de récusation du défendeur ne doit nullement contrevenir au droit d’accès à la justice des requérants tout aussi fondamental notamment en matière d’urgence ».Le fait est que le juge ne pouvait se récuser car cela aurait porté atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif des requérant vu qu’en l’état actuel du droit burkinabé, particulièrement de l’organisation judiciaire, seul le Président du tribunal est compétent en la matière et cela peu importe la qualité des requérants ou des parties.
Il a sur ce point invité l’Etat à mieux se pourvoir.
Par ZOROME Noufou
La rédaction
Revue Juridique du Faso