LE LYNCHAGE : Une expression de justice privée très inquiétante

Les principes de la justice et de la citoyenneté semblent être abandonnés de plus en plus au profit de l’hystérie collective des logiques de masse.

Sujet dont le sérieux n’est plus à démontrer et vu les conséquences négatives du fléau, on pourrait digresser de manière hilarante en empruntant les propos d’un célèbre présentateur d’émission (les enquêtes impossibles), Pierre Bellemare, en disant que : « l’histoire que je vais vous raconter maintenant bafoue toutes règles morales et nous renvoie aux origines les plus sombres de l’humanité ». Mais croyez-moi, il n’y a vraiment pas à tomber dans l’euphorie des termes de cette citation lorsqu’on le rattache à ce phénomène qu’est le lynchage.

De prime abord, le lynchage se défini selon le dictionnaire comme l’action de lyncher. Il s’agit d’exécuter quelqu’un, de le mettre à mort, sans jugement régulier au préalable et par une décision collective. Selon le sociologue haïtien Lewis Clormeus, le lynchage est la mise à mort violente d’une personne, sans jugement régulier, par une foule ou un groupe quelconque. Le terme lynchage est préféré de façon générale aux notions de justice populaire et de vindicte populaire. Ces pratiques criminelles, loin d’être identifiées à un seul Etat, sont un phénomène d’envergure mondiale.

L’histoire nous apprend qu’il s’agissait d’une pratique qui avait cours en Amérique, dénommée « loi de lynch », à partir de laquelle un tribunal irrégulier était constitué dans les territoires sans instances judiciaires ou insuffisamment représentées sous prétexte de rendre la justice, aboutissant à des exécutions de présumés coupables. Cette pratique est instaurée par Charles Lynch (1736-1796), figure éminente de la cause patriote contre l’empire britannique, qui rendait des jugements contre ceux qui étaient reconnus coupables de loyalisme à l’empire britannique. Ses décisions se sont vues justifiées par l’Assemblée générale américaine (futur Congrès des Etats-Unis) par le caractère d’urgence de la situation, l’essentiel étant juste d’obtenir une décision. Un caractère d’urgence reconnu au mépris des règles des droits humains.

De nos jours, le mot lynchage et le verbe lyncher sont employés pour qualifier un passage à tabac (même si celui-ci n’a pas provoqué la mort de la victime), des exécutions sommaires et par extension, certaines qualifications pour le moins abusives.

Dans notre contexte, au Burkina Faso en particulier et en Afrique de façon générale, le lynchage résulte la plupart du temps d’effet de foule, de personnes en colère faisant subir des violences physiques à une ou plusieurs personnes se soldant à des morts tragiques. Des drames de ce genre, on en enregistre beaucoup et on pourrait se hasarder à dire qu’il n’y a pas un jour où ce genre de drame ne se produit pas aux Pays des hommes intègres et partout dans le monde, tellement le recours à cette forme de justice est répandu.

Le phénomène du lynchage résulte de plusieurs considérations. L’argument principal, toujours brandi, reste le dysfonctionnement du système judiciaire qui expliquerait un manque de confiance aux forces de sécurité et en la justice. Même si ce sentiment lié aux manquements des autorités compétentes de poursuivre et punir les crimes et délits prédomine, le lynchage reflète aussi un phénomène social largement toléré selon un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme sur le cas de Haïti (Janvier 2017). La défaillance des autorités renforce l’ampleur du phénomène et laisse penser que ceci est une pratique implicitement acceptée, connu de tous. Il n’est pas rare d’entendre que des auteurs de situations accidentelles ont fui juste après la réalisation d’une quelconque imprudence, notamment les accidents de la route. Eviter le pire dans ces situations dépendrait de l’immédiateté que pourrait mettre les forces de défense pour arriver sur les lieux. Malheureusement, même en la présence de ceux-ci on remarque toujours des tentatives de lynchage. La plupart des cas que nous observons sont donc assimilés à de la vengeance. L’imprudence ou la faute commise commanderait donc de réparer le tort subi.

Les modes de lynchage sont divers. La mise à mort peut résulter de coups de bâtons, de machettes, de lapidation, de décapitation et d’immolation par le feu, le tout se faisant en public.

L’actualité de ce fléau n’est plus à démontrer. Une des plus récentes, qui a provoqué beaucoup d’émoi, a été le lynchage des trois agents de la CCVA, en date du 27 Août 2021, dans le Sud-Ouest du Burkina précisément dans le village de Banlo, suite à un accident de la circulation qui aurait provoqué la mort d’un enfant de dix (10) ans. Ces trois agents auraient été poursuivis puis lynchés à mort. Ces cas malheureux sont innombrables au Burkina et partout dans le monde. Des plus emblématiques, on se souvient également de la mort de l’officier ghanéen en date du 29 Mai 2017 qui fut lynché par une foule en furie dans la région de Denkyira Obuasi, dans l’Est du pays, battu à mort avant d’être brûlé. Une situation qui a résulté d’une grande confusion malheureuse ; la victime, un officier militaire, qui, portant une arme pendant son jogging, a été qualifié de présumé voleur. Sur les réseaux sociaux, l’affaire a eu un écho retentissant.

Comment lutte-t-on contre ce fléau ?

Tout d’abord les organismes de défense des droits humains ne cessent de faire des dénonciations en plus de celles des familles victimes. Les organisations de la société civile ne cessent de soulever ces cas qui restent pour la plupart du temps impuni. Les autorités sont donc interpelées. Au Burkina, le Centre d’Information et de Formation en Droits Humains en Afrique (CIFDHA) recommande de mener des campagnes de sensibilisation sur l’illégalité de la justice expéditive et populaire et sur la responsabilité pénale des auteurs.

Quel est donc le cadre juridique régissant ce phénomène ? quelles sont les responsabilités qui pourraient être engagées ?

Dans un cadre international, il faut dire que l’Etat burkinabè ainsi que beaucoup d’Etats au monde sont parties à des Traités internationaux garantissant le droit à la vie. Au nombre de ces Traités, on a la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) de 1948, et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 (PIDCP). Sur la base du Pacte international en son article 6, 1) il est reconnu le droit à la vie à toute personne en ces termes : « Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie. » Ainsi, la responsabilité internationale de l’Etat est engagée lorsque l’Etat, lui-même à travers l’action de ses agents, prive arbitrairement toute personne de son droit à la vie ou lorsque l’Etat n’a pas pris les mesures nécessaires pour garantir que toute personne ne sera pas privée arbitrairement de son droit à la vie [extrait du Rapport du Haut-Commissariat des Nations-Unies sur la situation en Haïti, 2017]. L’article 3 de la DUDH renvoie à la même interprétation que l’article 2 du Pacte international en ces termes : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ». Il revient donc à l’Etat d’assurer la sécurité à ses citoyens et par extension leur garantir le droit à la vie.

Au regard du droit national, il faut noter que le terme lynchage n’est pas expressément prévu dans le Code pénal de 2018. Mais cela n’empêche pas de qualifier les actions des participants à un lynchage en des infractions pénales. L’intention étant très déterminante dans la qualification comme pour la plupart des infractions pénales, il faudrait toujours faire preuve d’une certaine attention. Tout dépendra de l’intention et du résultat obtenu. Alors, si les participants avaient l’intention de causer la mort et que celle-ci résulte, il constitue un meurtre. S’il est commis avec préméditation ou guet-apens, la qualification serait l’assassinat. Par contre, si les participants n’avaient pas l’intention de causer la mort mais que celle-ci résulte, cela pourrait constituer des coups et blessures ayant causé la mort. Par ailleurs, pourrait constituer une tentative de meurtre ou d’assassinat un lynchage qui ne cause pas la mort de la victime alors que les participants avaient l’intention de la causer. De même, si l’intention de causer la mort est absente et qu’il n’y a pas eu de mort, il s’agirait donc de coups et blessures. Cependant, on pourrait toujours relever d’autres éléments caractérisant tout autre type de violence et voies de faits. En ce qui concerne les sanctions, il faut noter tout d’abord que le complice encourt la même peine que les auteurs. Est complice toute personne qui aura fourni tout moyen ayant servi à l’action. Selon la qualification, la peine peut être criminelle ou correctionnelle. Des peines en matière criminelle, il pourrait s’agir de l’emprisonnement à vie ou à temps qui va à plus de dix (10) ans en plus des autres condamnations complémentaires possibles comme par exemple la dégradation civique. Les peines en matière correctionnelle sont : l’emprisonnement à temps, l’amende, le travail d’intérêt général, l’interdiction à temps et l’interdiction définitive sans préjudice des peines complémentaires légalement prévues.

A titre illustratif, suite à un lynchage à Kantchari dans la région de l’Est du Burkina le 05 Septembre 2021 causant la mort d’un jeune berger dont le troupeau avait causé des dégâts au champ d’un agriculteur, les participants ont été mis en examen pour des faits d’assassinat, complicité d’assassinat, tentative d’assassinat, de rébellion et d’assistance aux criminels sur la base des articles 122-1, 122-2, 122-4, 131-4, 131-5, 362-1, 362-2, 362-4, 363-1, 363-2, 363-3, 512-11, 512-15 du Code pénal.

C’est l’occasion donc de rappeler aux populations que le lynchage est une pratique punie par la loi. C’est aussi l’occasion de rappeler aux autorités leur rôle préventif afin de garantir le droit à la vie des citoyens. Toutes les mesures utiles doivent être prises afin de prévenir de tels drames, allant de la sensibilisation à la coercition en passant par les mesures préventives.

Michel ZOMA

Revuejuris.net

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