LE DROIT INTERNATIONAL ET DECOLONINSATION INACHEVEE : LE PROFESSEUR MAURICE KAMTO S’EXPRIME

La colonisation a touché la totalité du continent, et la totalité du continent n’est pas décolonisée.
En amorçant son propos le Professeur KAMTO a précisé que la notion de jus cogens est un sujet encore en discussion devant la commission de droit international. Il a déclaré que l’on ne connait finalement pas le régime de cette catégorie de norme du droit international.
Il a fait le constat selon lequel l’acuité de la décolonisation n’est pas le même que celui des années 1960 .Pour autant la question de la décolonisation demeure.
Pour le professeur, il y a lieu de parler de décolonisation inachevée parce que la totalité du contient n’est pas décolonisée. « On n’a pensé que le conseil de tutelle des Nations Unies était devenue une institution obsolète, que le comité de décolonisation même n’avait plus sa raison d’être, qu’après l’indépendance les pays comme l’Angola, la Namibie en particulier après une rude bataille des États africains contre l’Afrique du Sud avec les États de la ligne de front, l’OUA pouvait se reposer de lutte acharnée de plusieurs décennies pour décoloniser l’Afrique ». Il n’en est rien .Il n’en est rien parce que la colonisation a touché la totalité du continent et nous pouvons bien constater aujourd’hui que la totalité du continent n’est pas décolonisée .Je vais dire on ne peut pas parler de décolonisation sans parler d’abord de la colonisation ou de la colonie. Je ne vais pas décrire le processus politique et historique de la colonisation, vous le connaissez .Mais la colonie c’est quoi ? C’est un territoire placé à un moment donné sous la souveraineté internationale d’un autre État . Donc il s’établit entre ce territoire et les populations qui l’habitent des liens de dépendance par rapport à la puissance administrante. Les régimes ont changé en fonction des parcelles de territoires concernées. Je parle de territoires placés sous la dépendance ou la domination d’une puissance étrangère à la suite d’une conquête territoriale .C’est important de souligner la notion de conquête du territoire parce qu’on peut être placé sous la dépendance d’une puissance extérieure à la suite de négociation ,d’un traité qui vous place sous la dépendance ,dans ce cas là on va parler de protectorat ,c’est-à-dire que vous cédez vos affaires internationales ,la conduite de vos affaires internationales à une autre puissance. Dans le cadre d’un pays comme le mien, le Cameroun, on a été effectivement placé sous la domination de puissance étrangère mais sans être une colonie parce qu’en 1884 les Allemands signent un traité avec les chefs indigènes, en fait, les rois côtiers et le 12 juillet 1884 le traité qui marque la présence coloniale allemande sur le camerounais est signé entre des firmes commerciales et les chefs camerounais .Mais comment est-ce que cet accord commercial devient un traité international ? C’est parce que le représentant de l’empereur allemand qui était en Afrique du Nord fait le voyage à Douala pour transformer, par sa présence , un acte de droit privé entre la firme internationale et les chefs indigènes en un traité international. Mais comment cet accord devient un traité international ? Bien entendu plus tard un certain nombre d’internationalistes occidentaux gênés aux entournures par le déséquilibre de puissance qu’il y avait entre les territoires et les chefs locaux et les États européens déjà développés vont introduire une nuance dans le régime de protectorat en distinguant le protectorat du droit interne du protectorat du droit international et on va dire que le traité entre les chefs indigènes et l’Allemagne était un protectorat de droit interne. Autrement dit le Cameroun était placé sous le régime de droit interne allemand, ce n’était pas un traité international, mais c’est une fumisterie . Il ne peut y avoir deux régimes de traités. Si vous dites que c’est un traité conclu entre des souverains, peu importe la taille du souverain, peu importe sa puissance, ce n’est pas un problème de puissance, c’est un problème d’entités juridiques. Les chefs locaux douala n’étaient pas sous la domination d’une autre puissance. Ils l’ont signé en tant que traité avec la puissance allemande .C’est pourquoi il s’agit d’un authentique traité de droit international comme il s’en est signé des milliers sur la côte occidentale africaine. Il y a en eu 3000 de la sorte. Donc je voudrais insister sur ce phénomène de distinction entre le protectorat et le régime de la colonisation parce que lorsque vous avez un territoire sous le régime de la colonisation les règles qui s’appliquent ne sont pas tout à fait les mêmes .Le territoire colonisé est entièrement placé sous l’empire juridique de la puissance coloniale. C’est la puissance coloniale qui édicte toutes les règles alors que le territoire sous protectorat, et en ce qui concerne le Cameroun lorsque le régime international va s’installer avec le mandat et la tutelle, le mandat sous la Société des Nation(SDN), la tutelle sous l’Organisation des Nation Unies (ONU) ce seront les règles prises par la puissance coloniale mais sous le contrôle de la SDN qui a duré brièvement, de l’ONU pour ce qui est de la tutelle. C’est important de dire cela, pourquoi ? Voila la colonisation, pourquoi ? Parce que la colonie va évoluer, généralement vers un régime de souveraineté internationale de l’entité coloniale soit sous la poussée des populations coloniale soit la contrainte ou l’évolution du contexte et du droit international et donc va intervenir ce que l’on appelle la décolonisation .
La décolonisation est un processus mais qui en droit international apparaît comme un moment précis, fixe. Un processus pourquoi ?parce que généralement les populations vont pousser la puissance coloniale à leur rétrocéder leur souveraineté internationale ou à partir pour leur permettre de s’occuper de leurs propres affaires. Du point de vue du droit international la décolonisation renvoie en quelque sorte à un instantané juridique. La décolonisation commence le jour de l’application de l’accord de décolonisation qui fixe une date. C’est pour cela que vous allez voir dans chaque pays entièrement colonisé il va y avoir une date de l’indépendance .Ce n’est pas banal. Le Cameroun est indépendant le 01 janvier 1960.C’est à compter de cette date que le Cameroun devient un État souverain au sens du droit international. C’est l’instantané juridique basé sur ce que l’on appelle l’utis possédetis juris, cela veut dire que ce que vous possédez au moment où l’on annonce l’indépendance, c’est cela qui est votre territoire et c’est cela qui fait de vous un souverain en droit international. C’est la photographie de la situation telle qu’elle se présente à la date critique, la date critique est la date de l’indépendance. Vous me direz que c’est une fiction et en effet c’est une fiction et le droit international vit de fiction. Par exemple comme fiction on va faire comme si les États étaient égaux, mais tout le monde sait parfaitement que les États ne sont pas égaux. Mais en disant qu’ils sont égaux cela a nous simplifie la tâche, cela nous simplifie la vie .On dit qu’un petit État a les mêmes droits qu’un grand État mais on sait parfaitement que le grand État peut exercer sa puissance, sa pression ou d’autres formes de contraintes sur l’État moins puissant pour obtenir ce qu’il veut. Mais cela arrange le juriste de faire comme si tout le monde était égaux. De la même façon on va faire comme si à la date d’indépendance c’est ce jour là que tout commence ,comme par miracle la personne qui hier était Premier ministre d’un territoire colonial devient le lendemain Président d’un État indépendant .Mais qu’est-ce qui se passe ici ?C’est là que cela devient intéressant la même personne qui la veille n’était pas un chef d’un État le lendemain devient le chef d’un État et peut donc signer des traités et accords pour le compte de cet État .Des traités et accords qui engagent cet État sur le plan international comme si c’était un souverain qui était là depuis longtemps. Vous voyez donc dés le départ j’allais dire il y a un vice originel, parce que pourquoi pensez-vous que, puisque les traités, l’un des principes fondamentaux en matière de droit des traités c’est l’égalité entre les parties, la souveraineté entre les parties et la réciprocité. Cela suppose que vous soyez à armes égales pour signer le traité. Comment vous voulez que moi colonisé d’hier, 24h avant j’étais une colonie, le lendemain je suis devenu un État indépendant et souverain, je signe un traité avec la même liberté ,avec la même connaissance ,avec la souveraineté que l’État qui est là, la puissance qui m’a administré 30 ans ,50 ans voir un siècle. Voilà le problème de la décolonisation. C’est cette fiction qui fait qu’à un moment donné on croit que la décolonisation a tout réglé alors qu’elle n’a rien réglé. Vous avez un drapeau, vous avez un hymne national c’est parfait. On vous désigne d’ailleurs une capitale Mais on ne va pas bien au delà de cela .Vous avez les attributs apparents de la souveraineté mais il vous manque la susbtantification de la souveraineté. Et donc tout le problème du droit de la décolonisation par rapport au droit international vient de là . Et n’oubliez pas que le droit international et la pensée juridique internationale, notamment occidentale qui est une pensée provinciale, c’est une région du monde qui projette sur le reste du monde sa propre vision du monde .C’est cela ,les principes, la souveraineté de l’État. Tout ce que vous imaginez c’est Grotius ,un hollandais,16e siècle qui dit parce que son pays étant une puissance de navigation, un tout petit pays, mais a des problèmes commerciaux , prône le principe de la liberté des mers. Il dit cela pour régler un problème de la Hollande son pays .Il ne dit pas cela par générosité, parce que le principe que les mers soient libres est bon pour tout le monde .C’est pour régler un problème commercial néerlandais. Y a des principes pleins comme cela. Et ce sont ces principes qu’ils projettent sur le reste du monde pour dire c’est le droit international. Donc il faut bien être conscient de la dépendance que nous avons vis-à-vis de la pensée occidentale par rapport au droit international. Si nous ne développons pas une vraie pensée critique par rapport à cela on ne comprendra pas .Il faut questionner les principes du droit international, d’où viennent-ils ? Pourquoi ? Est-ce qu’ils sont encore pertinents et opérationnels aujourd’hui. Donc de la même façon la colonisation va développer le principe de la terra nullius , principe de la terre vacante ,sans maître, terre n’appartenant à personne, et vous allez arriver sur les côtes occidentales africaines ou orientales peu importe et les gens sont dans leurs villages. Mais ils n’ont pas posté des armées pour voir les sujets qui empiètent sur leurs territoires, Et vous dites que je n’ai rencontré personne, bien-sur que vous n’avez rencontré personne parce que ce n’était pas leur soucis .Ils vaquent à leurs occupations quotidiennes. Mais c’est bien leurs territoires. Mais vous décrétez que c’est terra nullius, c’est une terre vacante ,sans maître donc j’en prends possession. Voila la colonisation .Donc le seul titre juridique que j’ai sur ce territoire c’est la conquête, le fait que j’ai pris possession un jour en déclarant que c’est un territoire sans maître .Et fort de ce principe que je me suis forgé, qui est un terme, une expression du droit romain. D’ailleurs le droit international comme vous voyez , le droit international est un droit qui doit beaucoup à Rome, à l’empire Romain. Tout ce qu’on a ,à 90% c’est du droit romain interne, pour régler les problèmes internes romain qu’on a transposé par adaptation au droit international .Parce que finalement la notion de terra nullius vient de quoi ? Le titre que vous allez obtenir du fait de ce principe c’est ce qu’on appelle aujourd’hui l’usucapion , c’est-à-dire la prescription acquisitive, le fait que je me sois installé sur un territoire qui n’appartient à personne devient ma propriété du fait de l’occupation. Mais je dis dans le cas de l’Afrique les territoires n’étaient pas sans maîtres. C’est simplement que si moi je suis dans la forêt du sud, je mène ma chasse, je ne suis pas obligé de planter un drapeau ou de mettre une borne frontière comme chez vous. Donc vous ne devez pas en conclure que c’est un territoire sans maître. A l’indépendance on va prononcer cela et on va dire la puissance coloniale a occupé un territoire qui n’appartenait à personne, on va évoluer , il va vous concéder l’indépendance .Mais il va s’organiser pour que cette indépendance ne signifie pas la fin du contrôle sur ce territoire .Et vous allez voir que même l’aspect que l’on croyait acquis ,c’est-à-dire la décolonisation territoriale n’est pas terminée, à plus forte raison, le maintien des liens de dépendance qui fait que dans la post-colonie la colonisation continue encore .C’est autour de ces deux grandes idées que je voudrais faire mon exposé très rapidement .
L’inachèvement de la décolonisation territoriale(I) et le maintien des liens de dépendances juridiques dans la période poste-coloniale(II).

L’INACHÈVEMENT DE LA DÉCOLONISATION TERRITORIALE

Je vais juste vous donner quelques exemples pour illustrer cela .Premier exemple la décolonisation débarras, c’est-à-dire la colonie devient un problème, on veut s’en débarrasser. Et on ne se soucie pas trop de comment on va s’en débarrasser. L’exemple typique c’est le Sahara occidental. Territoire anciennement sous la domination de l’Espagne .Lorsqu’en 1974, plus précisément de 1973 à 1974 ,l’Espagne décide de partir ,l’Espagne n’organise pas les conditions de la décolonisation du Sahara occidental, l’Espagne se retire .Il est vrai que l’Espagne avait ses propres problèmes internes ,sévères en ce moment là car le processus démocratique était en train d’émerger en Espagne, et ils étaient beaucoup plus préoccupés de voir comment mettre un terme à cette période de dictature féroce qui avait vu justement les généraux diriger l’Espagne que de voir comment et dans quelles conditions le Sahara occidental allait accéder à l’indépendance. Il en résulte que nous avons là une épine que l’Afrique traîne encore aujourd’hui parce que se retirant de cette façon, il y avait un vide juridique que certains voisins ont vite fait de combler, d’abord la Mauritanie dans un premier temps en même temps que le Maroc puis la Mauritanie s’est retiré en disant c’est un territoire ,c’est pas le mien ,et le Maroc y est resté. L’Assemblée générale des Nations Unies va demander un avis consultatif sur le statut du Sahara occidental qui va donner lieu à ce fameux avis de 1975 de la Cour international de Justice(CIJ) qui justement bat en brèche la notion de terra nullius en disant non le territoire du Sahara occidental n’était pas un territoire sans maître parce que le Maroc soutenait cela en disant nos populations nomades allaient jusqu’au Sahara occidental et les populations du Sahara occidental avaient des liens d’allégeances au souverain marocain et donc le Sahara occidental est territoire marocain .L’avis consultatif de la Cour en a décidé autrement en disant ce n’était pas un territoire sans maître. Il faut donc décoloniser le Sahara occidental, notamment par un referendum d’auto-détermination. On en est là jusqu’aujourd’hui parce que ce referendum n’a jamais été organisé comme vous le savez.(…)
Mais il y a d’autres formes de décolonisation .C’est ce que j’appellerais la décolonisation à reculons .La puissance coloniale décolonise mais sans vouloir partir ou alors en gardant quelque chose, et dans le cas des grands empires coloniaux comme ceux de la Grande-Bretagne et de la France on va essayer de garder quelques confettis de l’empire. Le cas le plus illustratif, toujours en Afrique, notamment dans l’océan indien. Dans l’océan indien vous avez première situation, celle de l’archipel de Chagos . La Grande-Bretagne achète le Chagos à l’île Maurice en 1976 et l’île Maurice n’est pas indépendant en ce moment là .Donc c’est à un territoire encore colonisé, sous administration britannique . La grande Bretagne achète et installe une base militaire ,concède ensuite l’île, notamment l’île principale Diego gracia aux États-Unis pour construire une base militaire. Cet accord devait durer jusqu’en 2016 et en 2016 la Grande Bretagne a renouvelé le traité jusqu’en 2036 et c’est là que l’Ile Maurice dit non ,nous sommes devenus un territoire ,un État indépendant vous ne pouvez donc pas concéder quelque chose qui ne vous appartient pas. Donc là aussi l’AG des Nations-Unies a demandé un avis consultatif sur le statut de Chagos et l’avis consultatif a été très clair ,c’est tombé le 25 février 2019.Il a été très clair en disant que la Grande-Bretagne doit plier bagages, donc doit quitter l’archipel de Chagos le plus rapidement possible parce que c’est sur le territoire de l’île Maurice.
Deuxième exemple dans l’océan indien : c’est Mayotte .L’île de Mayotte fait partie des Comores , l’archipel de Comores .En 1974 ,la France organise le referendum d’auto-détermination dans les Comores. C’est un archipel composé de quarte île :la grande Comores, Mohéli, Anjouan et Mayotte .Les populations des Comores votent, dans les trois îles (Grande Comores, Mohéli et Mayotte) elles votent à 99% pour l’indépendance .Sur l’île de Mayotte les populations votent à 63% pour le maintien de la République française . Mais je dis bien il s’agit bien d’un archipel ,d’un seul État donc normalement on devait additionner les voix des quatre îles pour déterminer si les populations des Comores ont décidé d’être indépendantes ou de rester avec la République française. Mais là pour le coup on a fait du saucissonnage ,on a dit, on reconnaît l’indépendance de trois îles qui ont votés à 99% pour cent pour l’indépendance mais la quatrième île qui a voté à 63% on l’enlève et elle devient partie du territoire français comme vous le savez on a départementalisé Mayotte ,donc Mayotte est devenu le 101e département de la France et 5e département d’Outre-mer. Mais je dois dire que dés 1974, de façon plus précise en 1975 l’AG de l’ONU par une résolution 33/85 de 1975 a dit clairement que la puissance coloniale devait respecter l’unité et l’intégrité territoriale des Comores et donc avait décidé de ne pas reconnaître le détachement de Mayotte par rapport aux Comores.
L’Organisation de l’Unité africaine a voté dans le même sens une résolution et en 2011 d’ailleurs lorsque la départementalisation a eu lieu il y a eu une nouvelle résolution de l’AG et surtout de prises de position de l’Union Africaine qui ont condamné très clairement justement la souveraineté française sur Mayotte et la départementalisation. Vous voyez donc que par ce comportement les puissances quelle soit britannique hier jusqu’à l’avis consultatif ou dans le cas de Mayotte nous sommes dans une situation où le principe de l’auto-détermination ,le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est battu en brèche ,donc il y a une rébellion de la puissance contre les règles du droit international quand cela les arrange .Je rappelle que ce principe d’auto-détermination ,le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qui avait été formulé et surtout expérimenté pour la première fois dans les années 1900, notamment avec la création de la Turquie et avec les Etats de la région a été adopté sous forme d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations-Unies en 1960.La plupart des internationalistes disent que c’est un principe qui fait partie du droit international coutumier . Qui dit droit international coutumier dit règle opposable à tous les États, d’ailleurs qu’il soit partie à un traité ou pas ,et donc on voit bien que dans le cas d’espèce il n’y a pas de respect d’une règle de droit international dès lors qu’une puissance estime que ses intérêts vont à l’encontre. Et donc du coup pour faire un rapprochement avec l’actualité vous voyez combien peut être inextricable la situation de la Crimée .Si vous dites vous condamnez un État parce qu’il a envahit la Crimée ,il a étendu sa souveraineté là-dessus , alors que vous-même vous devez être mal à l’aise parce que vous avez également par le biais du passé, dans le cas de la Crimée le pays qui a envahit la Crimée organisé un referendum formellement ,il va vous opposer que les populations de là ont décidé qu’elles veulent bien être rattachées à la Russie, je ne vois au nom de quoi vous devez vous en offusquer et du coup comme chacun a un cadavre dans le placard on va dire bon vaut mieux se taire .Il faut bien voir comment effectivement la puissance peut être à la fois une source de protection et de défense du droit international mais aussi une source de désordre juridique international.
Ça c’est la décolonisation territoriale. Mais il y a une conséquence importante de la décolonisation territoriale inachevée : Ce sont les problèmes frontaliers auxquels donne lieu la décolonisation. L’Organisation de l’Unité africaine a essayé d’y répondre grâce à la résolution de 1964 dite résolution adoptant le principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation . Au fond c’est la doctrine qui a progressivement parlé de l’intangibilité et la CIJ dans son arrêt de 1986 dans l’affaire du différend frontalier entre le Burkina Faso et le Mali a consacré cela comme principe de l’intangibilité des frontières .Mais à l’origine c’était le principe de l’immuabilité ,c’est-à-dire les frontières héritées de la colonisation doivent être immuables. Intangible veut dire une fois pour toute, ne variera jamais. Il faut bien comprendre qu’on ne peut pas interpréter cela comme étant des frontières qui ne peuvent pas bouger puisque deux états souverains peuvent à tout moment décider de modifier leurs frontières .C’est dans ce sens qu’il faut désormais entendre le principe de l’intangibilité des frontières .Nous avons de nombreux conflits ou différends frontaliers aujourd’hui comme conséquence d’une décolonisation qui effectivement ne s’est pas occupé de l’assiette territoriale du territoire nouveau(…)A L’heure où je vous parle il y a l’affaire l’huile de Mbanié et cocotier entre la Guinée équatoriale et le Gabon justement parce que la décolonisation ne s’est pas penchée sur les limites et les frontières entre les deux pays. Il y a une grosse dispute, un grand différend, d’ailleurs ils ont déjà signé le compromis de saisine pour saisir la CIJ(…) Il y a un différend potentiel entre le Bénin et le Burkina Faso toujours à propos de la délimitation des frontières et de nombreuses autres(…).
Permettez-moi d’aborder la deuxième partie de mon exposé qui porte sur le droit international au service de la dépendance post-coloniale.

Le droit international au service de la dépendance post-coloniale

On peut l’observer pour l’illustrer très rapidement à travers deux phénomènes
.D’abord la dépendance militaire. Les accords de coopérations militaires concluent généralement à la veille ou immédiatement après l’indépendance effectivement crée de tels rapports. Et même lorsque ces accords en matière de défenses ont été renouvelés un peu récemment notamment un certain nombre de pays africains qui ont renouvelé leurs accords en matière de défense avec la France en 2009.Vous vous rendez compte qu’il y a toujours un certain nombre de clauses particulières qui montrent que la souveraineté de ces pays ou en tout cas la décolonisation n’est pas tout à fait achevée. Je me garde même de parler des bases militaires. Prenons même dans mon pays l’accord de 2009 qui a remplacé les anciens accords de défenses prévoient par exemple que la base logistique française à Douala est inviolable, donc les autorités camerounaises ne peuvent pas y pénétrer, de la même façon qu’il y a une exonération des taxes douanières et fiscales pour tout le matériel de l’équipement.
Les accords des années 1959 à 1960 étaient encore j’allais dire allés bien plus loin pour installer vraiment des relations de dépendance. Ce sont des accords qui permettaient à la puissance anciennement administrante d’intervenir pour maintenir au pouvoir tout gouvernement qui était signataire d’un tel accord et qui estimerait qu’il pouvait être mis en danger par sa propre population.
Le deuxième point illustratif c’est dans le domaine économique .Et là nous pouvons commencer par ce que l’on appelle des accords de coopération économique, notamment en matière commerciale entre les pays africains et en particuliers les pays européens. Les accords de Yaoundé 1,Yaoundé 2,Lomé 1 ,Lomé 2 et l’accord de Cotonou de 2000. Et il vous aura pas échappé qu’aucun de ces accords n’ a permis le développement de l’Afrique .Mais comment voulez-vous signer dès les années 1960,l’accord de Yaoundé 2 je crois que c’est entre 1962 à 1963 accord commercial alors que le Cameroun en ce moment ne produit encore rien sur le plan industriel et quelque produits agricoles .Ce que l’on a appelé les produits de rente ,c’est-à-dire le Café ,le Cacao, le Thé ,le coton. Et on vous dit c’est un accord d’échange commercial, sauf que vous recevez tout et vous n’échangez rien. Du coup le caractère pernicieux de ces accords vient de ce que cela vous spécialise, parce que vous dites j’ai un marché pour le cacao alors il faut que je produise davantage le cacao, parce que je vais bénéficier du marché qui m’ouvre les perspectives douanières et non tarifaires .Vous allez donc produire toujours sans transformation, ce n’est pas des produits industriels. Vous devez produire et renvoyez brut. Vous allez produire davantage du cacao, du coton, du café dont vous ne déterminez même pas le prix . C’est cela et donc après on vous a chanté tout au long des années 1970 :la détérioration des termes de l’échange. Qui détériore quoi, vous échangez quoi pour que cela se détériore .Donc vous vendez le café, le coton et alors vous ne produisez que cela. Vous ne transformez, l’industrie africaine est nulle parce que il y a eu cette spécialisation par le corsée des accords signés très tôt . Le constat est que quarante ans, cinquante ans, soixante ans d’accords n’ont permis à aucun pays africain de bouger .Maintenant, subitement on vous dit vous êtes devenus grands. Il faut signer des accords de partenariats économiques avec l’Union européenne, c’est encore mieux .On va supprimer toutes les barrières tarifaires ,donc du coup les barrières douanières qui vous permettaient d’avoir des recettes douanières pour alimenter votre budget vont disparaître parce que de toute façon vous n’avez toujours pas d’industries puisque les précédents accords ne vous ont pas permis d’installer les industries. Mais simplement vous allez être des déversoirs des produits européens qui dans certains cas vont concurrencer la petite industrie locale qui commençait à naître. Voilà le problème parce qu’il faut que l’on se dise les vérités sur les scènes internationales .Vous ne pouvez pas dans le même temps déplorer l’immigration massive , y compris illégale des africains qui ne trouvent pas de perspectives chez eux, pas de travail chez-eux et en même temps les inonder de façon à ce que le développement soit impossible chez eux. Ils sont consommateurs en bout d’échelle , donc il n’y a pas de valeur ajoutée lorsque vous êtes simplement consommateur. Il vous faut d’ailleurs trouver de l’argent pour continuer à consommer .Ces accords pour moi solidifient les liens de dépendances coloniales .Mais il y a aussi dans le domaine monétaire, notamment en ce qui concerne les pays de la zone franc ,des accords qui ont effectivement maintenu les pays africains dans ces relations de dépendances en leur enlevant le levier qui permet à tout État souverain de maintenir sa propre politique monétaire. Ce n’est pas seulement fantaisiste , ce n’est même pas idéologique comme j’entends beaucoup le dire, c’est vraiment technique et économique. Bien-sur la décision est éminemment politique .La souveraineté monétaire est quelque chose de politique .Mais au final c’est qu’on vous enlève un des leviers qui vous permet d’organiser votre propre développement. On vous dit vous avez la stabilité monétaire .Mais qu’est-ce que vous faite avec la stabilité monétaire grâce à une parité fixe ?Les experts nous disent cette stabilité vous permettait seulement d’assurer aux entreprises de la puissance dominatrice de venir s’installer en sachant que l’argent qu’il investit chez vous il ne perdra pas un centime dessus puisqu’il a eu une parité fixe. Alors que par le jeu de la politique monétaire, par le jeu de la dévaluation vous pouvez justement avoir une marge qui vous permet de pouvoir modifier les rapports. Donc c’est stable, c’est fixe, il investit dix franc et il sait que je retirerai 15 francs et il est sûr qu’il retirera les 15 francs parce que la parité fixe de la monnaie vis-à-vis de la devise métropolitaine hier, vis-à-vis de la devise européenne aujourd’hui lui garantit cela.
Nous connaissons tous les autres aspects, le fait que les fonds ont été déposés aux trésors français et non pas à la banque de France. Parce que si c’est la banque de France, la banque de France est une banque donc elle doit rémunérer l’argent déposé, mais quand c’est le trésor français, c’est une administration, l’État. Cela devient même des recettes budgétaires et donc votre propre argent peut vous être prêtés parce que bon c’est un argent que vous avez déposé .A l’origine avant la révision de 1972 c’était 63% des dépôts qu’il fallait faire et après les accords, après la modification de 1972-1973 c’est devenu 50%.Mais c’est toujours beaucoup. Sans compter que lorsque ce panier commun de réserve puisque tous les pays de la zone franc mettent dans le même panier ,la garantie que vous donne le pays ,vous ne l’appelez pas tout le temps parce que les pays qui ont davantage des réserves soutiennent ceux qui n’ont pas assez de réserves. Sans qu’il ait à y intervenir. Donc si la Guinée équatoriale et le Cameroun ont davantage de réserve parce qu’il a vendu plus de pétrole et que la Centrafrique n’a pas assez de réserve il va y a avoir un jeu de compensation .On appellera pas la France en garantie puisque vous pouvez faire cela entre vous et si votre compte d’opération aux trésors français devient déficitaire, normalement c’est là que le garant doit jouer parce qu’il doit approvisionner le compte .Mais il ne le fait pas, en ce moment il vous impose la dévaluation.
Nous sommes là face à ces accords et nous avons suivi là, nous avons vu que les lignes commencer à bouger sur ce terrain là ,c’est bon, c’est déjà bien, ça va dans la bonne direction. Mais je dis il faut voir ce que ça va donner parce que le diable est dans les détails. Donc on est sorti de l’appellation déjà symboliquement on est allé à l’éco .Ce n’est plus le franc CFA ce sera l’éco, où seront déposées les réserves ? Y’aura-il des réserves apparemment non tant mieux, mais il y a quelqu’un de généreux qui se propose de continuer à être garant et tout le problème est là . Bon si vous garantissez ,parce que dans l’accord de 1972 l’article 7 disait que : « La BEAC est une institution multinationale africaine à la gestion et au contrôle duquel participe la France en contrepartie de la garantie de sa monnaie . »Ce sont les termes exacts de l’accord .Donc en vertu de la garantie de sa monnaie qu’elle devait participer à la gestion et au contrôle, mais non elle vous dit c’est bien l’Eco, vous ne déposez même plus chez moi mais je suis garant. Donc la clause en vertu de laquelle elle participait à la gestion et au contrôle de la monnaie demeure. C’est pour cela que j’ai dit le diable est dans les détails. Donc on nous a annoncé un accord entre le ministère des finances et les institutions financières de la zone franc en Afrique : BEAC et BECEAO en Afrique occidentale. Il faudra que nous attendions de voir ce qui sera dans cet accord pour savoir vraiment si on est sorti du franc CFA ou bien si on a seulement changé d’appellation.
Voilà les quelques indications que je voulais avancer pour illustrer mon idée selon laquelle la décolonisation n’est pas achevée.
Je terminerai tout simplement en disant une chose .Afin de permettre au droit international de jouer pleinement son rôle de règles organisant la vie dans la société internationale il faut décoloniser le droit international. Il faut le décoloniser lui-même. C’est à dire que nous devons avoir un regard critique sur les concepts du 19e siècle qui étaient forgés pour asseoir la colonisation .Ce n’était pas forgé abstraitement pour le plaisir intellectuel et spéculatif de créer des normes. C’était pour asseoir les intérêts et la colonisation. Donc nous devons commencer par une vraie critique de ces concepts et de ces principes .Nous devons aussi essayer de regarder au delà de 19e siècle pour voir les origines historiques du droit international .On enseigne de moins en moins l’histoire du droit international dans les facultés(…).Vous apprendrez beaucoup de chose y compris les débats sur le concept de jus cogens, le débat sur la notion du droit naturel et du droit positif ,pourquoi on en est arrivé là. C’est parce que les premiers, ce que l’on appelé les pères fondateurs du droit international venaient en grande partie de l’église aussi. De Victoria, Suarez et tout cela , c’était des moines. Et donc à une époque où le christianisme était dominant en Europe et donc la pensée du droit international se coulait aussi dans la pensée globale de la société .Quelqu’un comme Hugo de Grots toute sa doctrine partait du principe acquis que la théologie chrétienne était la base de ce qu’il devait sous-tendre la réflexion en droit international.

Communication du Professeur Maurice KAMTO à L’UQUA.
Retranscrit par ZOROME Noufou
La rédaction
Revue Juridique du Faso

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