Traditionnellement les actes qui étaient à même d’engager la responsabilité de l’Etat étaient relatifs aux arrestations et détentions arbitraires, le non respect des engagements internationaux consacrant des droits et libertés, la méconnaissance des droits tel le droit de propriété.A cela il faut ajouter la possibilité d’engager la responsabilité de l’Etat du faut de l’inconstitutionnalité des lois préjudiciables aux droits et libertés des citoyens. En effet, désormais en France, l’Etat peut voir sa responsabilité engagée dès lors que par sa production législative , il méconnait les droits et libertés garantis par la Constitution. C’est une limitation très accentuée de la souveraineté du parlement. C’est ce qui a été décidé par le CE français dans son arrêt de principe du 24 décembre 2019.En effet, le CE a déclaré que la responsabilité de l’Etat peut être engagée du fait des lois en raison non seulement du principe de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, mais aussi « des exigences inhérentes à la hiérarchie des normes ».Elle a auparavant ,notamment en 2007 jugé que la responsabilité de l’Etat peut être engagée dès lors qu’une loi méconnait un engagement international1. Les citoyens pouvant dès lors demander et obtenir réparation du fait de la violation par la loi de leurs droits et libertés consacrés par les engagements internationaux .
Sur le premier fondement, les conseillers ont jugé que la responsabilité de l’Etat du fait des lois se justifie par le souci d’une réparation des préjudices nés de l’adoption d’une loi. Toutefois, cela ne vaut que si la loi contestée n’a pas exclu toute indemnisation et surtout que le préjudice dont il est demandé réparation et revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse pas être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés.
Sur le second fondement, ils ont estimé que ce sont les exigences du principe de la hiérarchie des normes qui justifient que la responsabilité de l’Etat soit mise en mouvement du fait des lois. En rappel, ce principe tel que théorisé par Hans Kelsen implique que les actes de portée inférieures soient conformes aux actes de portée supérieures. Dans cette logique, la loi se doit d’être conforme à la fois aux engagements internationaux et à la Constitution. Toutefois, cette responsabilité ne peut être engagée qu’à certaines conditions. Tout d’abord, il faudrait que l’inconstitutionnalité de la loi ait été prononcée par le juge constitutionnel, laquelle peut résulter du contrôle de celle-ci dans le cadre du mécanisme de la QPC. L’inconstitutionnalité de la loi peut aussi résulter de l’appréciation abstraite « des dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine ».
Ensuite, il faudrait que la décision du Conseil constitutionnel « qui détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produit soit susceptible d’être remis en cause ,qu’elle ne s’y oppose pas, soit qu’elle l’exclue expressément, soit qu’elle laisse subsister tout ou partie des effets pécuniaires produits par la loi qu’une action indemnitaire équivaudrait à remettre en cause ».
Si ces deux conditions sont réunies, il ne reste à la victime qu’à démontrer la réalité de son préjudice et l’existence d’un lien direct de causalité entre l’inconstitutionnalité de la loi et ce préjudice. Encore faut-il que le délai de prescription des dettes publiques ne soit pas expiré. Ce délai est de 4 ans et commence à courir « dès lors que le préjudice qui résulte de l’application de la loi à sa situation peut être connu dans sa réalité et son étendue par la victime ».
A l’origine de cet arrêt de principe, une personne morale de droit privée, la société hôtelière Paris Eiffel Suffren avait demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l’Etat français à lui verser la somme de 2 025 068,53 euros, augmentée des intérêts de retard, en réparation des préjudices qu’elle a estimé avoir subi du fait de l’application du premier alinéa de l’article 15 de l’ordonnance du 21 octobre 1986, lequel était devenu par la suite l’article L. 442-9 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi du 30 décembre 2004 de finances pour 2005. Toutefois, le TA a par son jugement n° 1505740 du 7 février 2017, rejeté sa demande. Mécontent, elle avait interjeté appel devant la Cour administrative d’appel de Paris contre le jugement du tribunal administratif de Paris. Elle sera encore déboutée de ses prétentions; la cour d’appel ayant par son un arrêt n° 17PA01188 du 5 octobre 2018, rejeté son appel. C’est ainsi qu’elle forma un pourvoi devant le CE dans l’espoir que celui-ci non seulement annule l’arrêt de la Cour d’appel, mais aussi lui reconnaisse ses droits résultant de l’inconstitutionnalité de la loi.
Le Conseil d’Etat quoiqu’il ait admis la responsabilité sous condition de l’Etat du fait de l’application de lois inconstitutionnelles ,a rejeté le pourvoi du la société demanderesse au motif que non seulement il « N’existait pas de lien de causalité direct entre la méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence et le préjudice dont la société requérante faisait état »,mais aussi parce que le préjudice dont elle prétend avoir subis ne peuvent au regard des circonstances de l’espèce « être regardé,(…) comme résultant de l’incertitude dans laquelle elle se serait trouvée quant à sa soumission à l’obligation de participation des salariés aux résultats de l’entreprise. Cela parce que ce préjudice ne serait pas en lien direct avec la méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence. L’inconstitutionnalité de la loi en question a été prononcée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 1er août 2013.
Elle a ainsi donc vu son pourvoi rejeté.
Par:ZOROME Noufou
La redaction
1 Décision du CE du 08 février 2008,n°279522.