L’institution du mariage remonte aux plus vielles coutumes de l’Humanité et demeure l’une des plus anciennes pratiques traditionnelles africaines . Le contact avec le droit civil et son corollaire l’institution du mariage civil a produit plusieurs bouleversements allant de la complémentarité à la confrontation. Au-delà de ces bouleversements, le noyau même du mariage traditionnel est resté une pratique aussi répandue qui anime le quotidien des africains bien que problématique dans notre contexte actuel de modernité : la dot.
Du latin dos, dotis qui signifie don, la notion de dot recouvre plusieurs réalités . Dans l’Ancien Testament, elle remonterait au mariage de Jacob lorsqu’il servit quatorze ans Laban son oncle pour pouvoir épouser sa fille Rachel. Chez les européens, elle est perçue comme les biens que la fiancée apporte à son nouveau foyer. Le droit islamique la définit comme « ce qu’un homme accorde à la femme pour pouvoir l’épouser. Dieu dit : remettez à vos femmes leur dot en toute propriété ». En Afrique Noire, la dot est vue comme la somme d’argent, les animaux, les cadeaux ou toute prestation de service que l’homme offre à la famille de la fiancée pour obtenir le droit de l’épouser . Le Législateur ivoirien la définit comme une pratique consistant dans « le versement au profit de la personne ayant autorité sur la future épouse, par le futur époux ou la personne ayant autorité sur lui, d’avantages matériels conditionnant la réalisation du mariage traditionnel ». La valeur de la dot varie en fonction des communautés mais reste néanmoins un préalable dans la majorité des cas. Les polémiques actuelles et débats sur la dot appellent certaines interrogations: la dot constitue-t-elle une condition et une cause de nullité du mariage au sens de la loi ? L’idée d’une répression pénale cadre-t-elle avec les réalités quotidiennes ? Quelle pourrait être la volonté du Législateur en interdisant ou en autorisant une telle pratique ? Les réponses à de telles interrogations diffèrent selon que l’on se situe dans une approche de droit comparé.
En droit civil burkinabé, la dot est non régulée et déclarée illégale. En effet, l’article 244 du Code des Personnes et de la Famille dispose :
« Le versement d’une dot soit en espèce, soit en nature, soit sous forme de prestations de service est illégal ».
La lecture de cet article montre d’emblée que la dot ne saurait être une condition du mariage. Cependant si la dot est illégale, dès lors qu’elle est versée, elle ne saurait en elle-même être cause de nullité du mariage sauf si elle est reliée à l’une des causes de nullité prévues aux articles 281 et 282. Allant plus loin, le code pénal interdisait et réprimait la dot en ses articles 378 et 379 d’un emprisonnement de trois à six mois et d’une amende de 100.000 à 1.000.000 de francs. Toutefois, la loi N°025-2018/AN portant code pénal adoptée en 2018 est restée muette sur la dot. Le Burkina Faso rejoint ainsi d’autres pays de la sous-région comme la Cote d’Ivoire où le Législateur interdisait la dot et l’assortissait de sanction pénale sévère à l’article 21 de la loi N° 64-381 du 7 octobre 1964 relative au mariage, loi qui fut expressément abrogée par la loi N° 2019-570 du 26 juin 2019 relative au mariage qui est restée muette sur la question. Mais la dot a beau été illégale au Burkina Faso et non avenue en Côte d’Ivoire, elle occupe en revanche une place importante dans certaines législations de la sous-région.
Le cas du Mali et celui du Sénégal sont frappants même si l’un et l’autre régule plus ou moins cette pratique.
L’article 288 du Code des Personnes et de la Famille du Mali dispose :
« La dot est obligatoire et a un caractère symbolique
Elle ne peut en aucun cas excéder la somme de 15.000 francs ».
Il en ressort que la dot est une condition du mariage civil malien dont mention doit être faite dans l’acte de mariage selon l’article 306. Le non versement de la dot n’est pas expressément prévu comme une cause de nullité du mariage. Mais étant une condition, nous pourrions penser qu’elle puisse constituer une cause de nullité du mariage déjà célébré selon l’esprit de l’article 314.
Le législateur sénégalais accorde pour sa part la liberté aux futurs époux de décider que la dot sera une condition du mariage à la différence du législateur malien qui l’impose. C’est ce qui est visible à l’article 132 du Code de la Famille sénégalais :
« Les futurs époux peuvent convenir que la fixation d’une somme d’argent, ou la détermination des biens à remettre en partie ou en totalité par le futur époux à la future épouse sera une condition de fond du mariage. Cette dot ne peut dépasser la valeur maximum fixée par la loi ».
Les conventions légalement formées tenant lieu de lois à ceux qui les ont faites, la dot s’imposera en même temps comme condition de fond et cause de nullité du mariage pour les époux qui l’auront choisi. Cette nullité est prévue expresis verbis à l’article 137-3) du Code de la Famille.
Qu’elle soit légale ou illégale, réprimée au pénal ou non réprimée, chaque jour les cérémonies de dot s’organisent et des poursuites judiciaires ne sont guère engagées. C’est ce qui a sûrement poussé le législateur burkinabé à abandonner la répression dans le code pénal adopté en 2018. Une observation laisse apparaitre un hiatus entre ce qui est prescrit par la loi et les habitudes : la dot continue d’être versée dans les pays africains qui l’ont interdite, le montant maximum imposé n’est pas tout à fait respecté dans les pays qui l’ont régularisée.
Chaque Législateur de son côté ne manquerait pas d’arguments pour justifier sa position. L’interdiction de la dot pourrait se baser sur le désir de se conformer surtout au principe d’égalité entre l’homme et la femme cher à la constitution et au Droit International . Sa légalisation a contrario pourrait se baser surtout sur la liberté de conscience aussi chère à la constitution qu’au Droit International .
Une partie des partisans du débat sur la dot y voit un moyen d’asservissement de la femme et une dévalorisation de celle-ci tandis que l’autre voit en la dot une valorisation de la femme dont le montant doit être augmenté. L’on se questionne encore si c’est le droit qui doit conditionner les habitudes ou-bien s’il doit chercher à refléter la réalité de ces habitudes. Réponse qui nous replongera dans le vieux débat doctrinal entre normativistes et factualistes du positivisme juridique .
1.Sosthène BONI, « Le ‘’paradoxe’’ de la dot en Côte d’Ivoire » in Revue Malienne des Sciences Juridiques, Politiques et Economiques de Bamako (REMASJUPE), N°5 – 2018, p.18.
2.Abbé Jean ZOA, La dot dans les territoires d’Afrique, Ed. Effort Camerounais, Yaoundé, 1959, p.4.
3.A. ABKR DJABER AL-DJAZAIRI, Lavoie du Musulman (minhaj-mouslim), traduction RIMA ISMAEL, révision SAID AL-LAHAM, première édition Dar el fikerbeyrouth, Liban, 1992, p.521.
4.O. G. MBIA, « Féminin en Afrique : critique socioculturelle de trois prétendants…un mari », in R.N.A.L.P.,9ème année, nouvelle série-volume, II, refer. Fr., 1984, p.4.
5.Définition donnée par le Législateur ivoirien à l’article 20 de la loi N° 64-381 du 07 octobre 1964 sur le mariage.
6.Article premier de la constitution burkinabé du 02 juin 1991, article premier de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
7.Article 19 de la constitution Sénégalaise de 2001 et article 18 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
8.Courants philosophiques du Droit dont le légalisme ou normativisme procède d’une déduction de la règle à partir de la volonté du législateur et le factualisme d’une induction de la norme à partir du « fait social ».
Par :Constant COULIBALY
La rédaction
Revue Juridique du Faso