« La condamnation de Guillaume SORO par la justice ivoirienne est un acte internationalement illicite »,Germain DABIRE

Dans le but de permettre à plus d’un de comprendre davantage l’affaire Guillaume Soro et autres c la République de Côte d’ivoire et les implications juridiques et judiciaires de certaines question que soulève cette affaire, la Rédaction de la Revue est allé à la rencontre de Monsieur Germain DABIRE , doctorant en droit international à l’Université de Genève.

La rédaction :déjà, pouvez-vous vous présenter au public ?

M.DABIRE: je m’appelle DABIRE T. Germain. Je suis doctorant en droit à l’Université de Genève.

La rédaction : nous rentrons dans le vif du sujet. Que fait la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples ?

M . DABIRE : la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples est la juridiction régionale du système africain de protection des droits de l’homme et des peuples. Elle a été créée par le Protocole de Ouagadougou de 1998. Sa mission principale est d’assurer une protection judiciaire des droits de l’homme à l’occasion d’une affaire portée devant elle et pour laquelle elle a compétence. Plus clairement, la Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, du Protocole la créant, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les Etats concernés. La Cour est doublement compétente, non seulement pour rendre des décisions obligatoires et exécutoires (ordonnances et arrêts) au titre de sa compétence contentieuse, mais aussi pour rendre des avis consultatifs au titre de sa compétence non contentieuse. Il faut noter qu’à côté des trois autres systèmes de protection des droits de l’homme (système européen, système américain, système arabe), la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a une compétence matérielle plus vaste et donc plus apte à fournir une protection plus étendue des droits de l’homme.

La rédaction : quelle appréciation faites-vous de l’ordonnance de la Cour au sujet du sursis à exécution du mandat d’arrêt émis par la Cour ?

M.DABIRE : avant de répondre à cette question de manière précise, permettez-moi de resituer le contexte dans lequel cette ordonnance a été prise.
L’ordonnance rendue le 22 avril 2020 par la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples fait suite à sa saisine par Guillaume Soro et autres contre l’Etat de Côte d’Ivoire. Si normalement, le prétoire de la Cour est accessible aux Etats parties à la Charte et au Protocole, l’individu peut exceptionnellement saisir cette Cour lorsque l’Etat contre lequel est dirigée son action a fait la déclaration d’acceptation de la compétence obligatoire de la Cour au titre de l’article 34 (6) du Protocole de Ouagadougou. La saisine de la Cour par Guillaume Soro et autres se justifie donc par le fait que la Côte d’Ivoire est partie à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples le 31 mars 1992, au Protocole le 25 janvier 2004 et a fait la déclaration d’acceptation de la compétence obligatoire de la Cour le 23 juillet 2013. En saisissant la Cour, les requérants avaient sollicité des mesures provisoires. En effet, ces derniers estiment qu’il existe une urgence et que la situation présente une extrême gravité qui pourrait justifier que la Cour indique des mesures provisoires pour éviter que les droits dont la violation ou la potentielle violation est alléguée ne leur cause des préjudices irréparables. La Cour après une appréciation de l’article 27 (2) du Protocole qui subordonne l’indication des mesures provisoires aux conditions d’urgence, d’extrême gravité et du risque de préjudice irréparable, a accédé à la demande des requérants et a décidé d’ordonner les mesures provisoires à l’encontre de la Côte d’Ivoire. Dans le contenu de l’ordonnance, trois mesures sont indiquées : le sursis à exécution du mandat d’arrêt lancé contre Guillaume Soro, la libération des personnes incarcérées et l’obligation pour l’Etat de Côte d’Ivoire de faire un rapport à la Cour dans un délai de 30 jours sur l’application de l’ordonnance.
Revenant plus précisément à la mesure provisoire sur le sursis d’exécution du mandat d’arrêt contre Guillaume Soro, il faut préciser que la mesure comporte une double conséquence. La première conséquence est juridique. En effet, le mandat d’arrêt, étant un acte de procédure pénale, son sursis à exécution entraine normalement une suspension de toute mesure de poursuite pénale contre Guillaume Soro au plan interne jusqu’à ce que la Cour rende sa décision au fond. Autrement, la Côte d’Ivoire ne pourra pas techniquement suspendre l’application du mandat d’arrêt contre Guillaume Soro tout en maintenant des poursuites pénales au plan interne contre ce dernier. La deuxième conséquence est politique. Le sursis à exécution du mandat d’arrêt contre Guillaume Soro permet à Guillaume Soro de continuer à jouir de la plénitude de ses droits civils et politiques et de pouvoir se porter candidat aux élections présidentielles d’octobre 2020 en Côte d’Ivoire. Cependant, la mesure étant provisoire et donc temporaire, il faudra espérer que la Cour ne lève cette mesure pour des raisons qu’elle estimera légitimes ou qu’elle ne se prononce sur le fond de l’affaire en défaveur de Guillaume Soro avant la date des élections présidentielles. Mais en attendant, cette ordonnance est obligatoire et exécutoire, c’est-à-dire qu’elle s’impose à l’Etat de Côte d’Ivoire qui doit l’exécuter de bonne foi. Elle est aussi définitive, car elle n’est susceptible d’aucun recours.

La rédaction :quelle appréciation faites-vous de la décision du gouvernement ivoirien de ne pas exécuter le mandat, chose d’ailleurs faite puisque la justice ivoirienne a même jugé et condamné monsieur SORO à une peine d’emprisonnement de 20 ans et une amende de 4,5 milliards de francs CFA.

M. DABIRE : après l’ordonnance de la Cour, la Côte d’Ivoire a annoncé une première fois, par un communiqué, que les procédures pénales internes engagées contre Guillaume Soro et ses camarades suivent toujours leur cours. Quelques jours plus tard, le gouvernement ivoirien a annoncé le procès de Guillaume Soro. C’est à l’issue de ce procès que Monsieur Guillaume Soro a été condamné à 20 ans de prison et à une amende de 4,5 milliards de francs CFA. Si l’on pouvait penser à de simples et vaines spéculations à travers les différentes sorties du gouvernement ivoirien, la décision de condamnation de Guillaume Soro le 28 avril 2020 constitue l’acte matériel et officiel du refus de la Côte d’Ivoire d’exécuter l’ordonnance de la Cour. Politiquement, l’attitude de la Côte d’Ivoire n’est pas surprenante si l’on essaie de la connecter au climat politique du pays et aux tensions intermittentes qui existent ces derniers temps entre le président de la République et monsieur Guillaume Soro. Juridiquement, le refus de la Côte d’Ivoire d’exécuter l’ordonnance de la Cour, refus matérialisé par la décision de condamnation de Guillaume Soro, constitue en lui-même, une violation non seulement de son obligation de respecter les décision de la Cour mais aussi une violation du but et de l’objet de la Charte africaine des droits de l’homme dont la Cour, en tant que mécanisme judiciaire, est appelée à en assurer la protection et la promotion et dont les décisions doivent être respectées de bonne foi par les Etats.

La rédaction : étant donné que la justice ivoirienne a, en dépit de l’ordonnance de la Cour, condamné le Sieur SORO, quelle est la valeur juridique de l’acte judiciaire ivoirien ?

M. DABIRE : il faut rappeler que la décision de condamnation de Guillaume Soro a une double nature qui affecte l’analyse de sa valeur juridique. Au plan interne, l’acte judiciaire ivoirien est une décision de justice qui intègre l’ordre juridique ivoirien. De ce fait, elle a une valeur obligatoire, car le droit ivoirien précise que les décisions rendues par les cours et tribunaux ont un effet relatif et sont obligatoires pour les parties. Cependant, Guillaume Soro ayant été jugé par contumace, la décision n’est pas définitive, car elle est susceptible d’un pourvoi en cassation selon l’article 359 du code de procédure pénale ivoirienne. En cas de pourvoi en cassation, celui-ci produit un effet suspensif, ce qui veut dire qu’il suspend l’exécution du jugement. En tout état de cause, c’est après épuisement des voies de recours internes disponibles que cette décision sera exécutoire en droit ivoirien. Techniquement, si les recours sont exercés conformément au droit ivoirien, cette décision peut être cassée ou rejetée en cassation. Bien qu’obligatoire, la décision n’est pas encore exécutoire et si l’on se réfère aux principes d’indépendance et d’impartialité de la justice ivoirienne, rien n’est encore gagné ni pour Guillaume Soro ni pour l’Etat de la Côte d’Ivoire, en ce qui concerne le sort définitif de cette décision.
Au plan international, cette décision constitue un acte internationalement illicite, car elle viole une obligation internationale à la charge de la Côte d’Ivoire, l’obligation née de l’ordonnance du 22 avril 2020 consistant à exécuter de bonne foi les mesures ordonnées. De ce fait, la décision de condamnation ne produit aucun effet juridique au plan international. En conséquence, l’Etat de la Côte d’Ivoire ne peut prétexter de cette décision, acte interne, pour se dérober de son obligation d’exécuter l’ordonnance de la Cour.
Schématiquement, si Guillaume Soro arrivait à exercer les voies de recours internes disponibles et qu’il est acquitté en cassation, l’Etat de la Côte d’Ivoire devra en principe, malgré sa volonté de ne pas exécuter l’ordonnance de la Cour, exécuter néanmoins la décision de ses propres juridictions. L’exécution d’une telle décision interne par l’Etat de la Côte d’Ivoire produira un effet similaire à celui voulu par la Cour d’Arusha. Cependant, à la différence de la mesure ordonnée par la Cour qui est une mesure provisoire susceptible de varier avec son arrêt au fond, une potentielle décision finale des juridictions ivoiriennes en faveur de Guillaume, provoquera un effet définitif, en ce sens que même si la Cour d’Arusha au fond, venait à déclarer la requête de Guillaume Soro irrecevable ou mal fondée, l’Etat ivoirien ne pourra plus exciper de la décision de la Cour africaine pour ne pas exécuter ses propres décisions internes.

La rédaction :que pensez-vous du retrait par la Cote d’ivoire de sa déclaration au protocole de compétence de la Cour dans ce contexte ? Ne faut-il pas penser que les Etats ne sont pas prêts à se soumettre à la Cour et donc là une raison de craindre pour les droits des citoyens ?

M. DABIRE :de prime abord, il faut souligner que la Côte d’Ivoire n’a pas encore retiré sa déclaration d’acceptation de la compétence obligatoire de la Cour. La Côte d’Ivoire a juste manifesté son désir de retirer ladite déclaration. De ce fait, jusqu’à présent, la déclaration d’acceptation de la compétence obligatoire de la cour par la Côte d’Ivoire reste toujours en vigueur et produit ses pleins effets. Ceci dit, le futur et certainement imminent retrait de la déclaration d’acceptation de la compétence obligatoire de la Cour aura indéniablement un effet sur les droits des citoyens, dans la mesure où la déclaration d’acceptation en avait créés. Avec le retrait, le citoyen n’aura plus un accès direct au juge africain des droits de l’homme, ce qui constitue une atteinte à un de ses droits fondamentaux, à savoir le droit d’accès au juge. La décision de la Côte d’Ivoire de retirer sa déclaration d’acceptation de la compétence obligatoire de la Cour, tout comme le Rwanda et la Tanzanie, fait suite au refus d’exécuter une décision de la Cour, à savoir, l’ordonnance en indication de mesures provisoires du 22 avril 2020. De ce fait, il y a une tendance des Etats, à ne pas se soumettre aux décisions de la Cour dans lesquelles leurs intérêts sont menacés. C’est un problème général auquel les juridictions internationales sont confrontées. Même la Cour internationale de Justice, où l’individu n’a pas un locus standi, c’est-à-dire un droit de saisine, est confrontée au problème de retrait de la déclaration facultative d’acceptation de sa compétence (le cas des USA, de l’Allemagne, la Slovaquie, la Roumanie…). Le système de la justice internationale étant calquée sur le consentement des Etats, il faut donc espérer des Etats un sursaut de volonté politique.

La rédaction :quel est l’impact du retrait par un Etat de sa déclaration de compétence au protocole de la Cour ? Cela n’affecte-t-elle pas la compétence de la cour ?

M. DABIRE :il faut souligner que le Protocole de Ouagadougou, contrairement à la convention américaine des droits de l’homme (article 62, al.2), à la convention européenne des droits de l’homme avant l’entrée en vigueur du protocole n°11 (article 46), à la future cour arabe des droits de l’homme (articles 16 à19), est silencieux sur les conditions du retrait de la déclaration d’acceptation de la compétence obligatoire de la Cour. Le protocole ne mentionne ni les conditions de validité ni les modalités d’un tel retrait. La seule indication est que l’acte par lequel l’Etat souhaite retirer sa déclaration doit être déposé au Secrétariat de l’OUA (article 34(7)). Cependant, ce n’est pas la première fois dans le système africain de protection des droits de l’homme qu’un Etat retire sa déclaration d’acceptation de la compétence obligatoire de la Cour. Le Rwanda l’avait fait dans le cadre de l’affaire Ingabire Victoire c. Rwanda et la Cour d’Arusha avait, à l’occasion, rendu un arrêt interprétatif sur les effets du retrait le 03 juin 2016. La Cour, s’inspirant de l’affaire Nicaragua, (arrêt sur la compétence et la recevabilité de 1984, § 61) avait reconnu que, tout comme l’acceptation de la compétence de la cour, le retrait, acte unilatéral, était un droit inhérent à la souveraineté de l’Etat. De ce fait, l’Etat ayant accepté la compétence de la cour au titre de l’article 34 (6) peut en principe, décider souverainement de la retirer.
Cependant, le retrait doit se faire de bonne foi. L’exigence d’un retrait de bonne foi vise à préserver la sécurité juridique et tient compte du fait que l’acceptation de la compétence a eu des effets sur les droits des tiers, celle-ci ayant créé des droits pour les individus qu’on pourrait considérer à l’extrême comme des « droits acquis ». Pour ce faire, la cour apprécie souverainement ces conditions pour conclure à la validité ou non du retrait.
Une fois la validité du retrait admise, la cour va s’intéresser au délai du retrait, autrement dit, à la période à l’issue de laquelle, le retrait pourra produire ses effets. Il faut d’emblée préciser que le délai de retrait ne se pose pas si l’Etat dans sa déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour avait émis une clause relative à son étendue en cas de retrait. De ce fait, si dans la déclaration d’acceptation de la compétence de la cour, l’Etat a émis une clause qu’en cas de retrait, celui-ci produira ses effets immédiatement, alors la Cour sera liée par une telle clause. C’est en l’absence d’une telle clause relative à la période de retrait que la Cour apprécie.
Dans son arrêt du 03 juin 2016, la cour pour déterminer la période de retrait, a eu recours à la pratique de la jurisprudence américaine dans l’affaire Bronstein c. Pérou du 24 septembre 1999 et à la convention de Vienne sur le droit des traités notamment l’article 56 (2) de cette convention. Tout d’abord, le recours de la Cour à l’affaire Bronstein paraissait inapproprié, car dans l’arrêt Bronstein, le juge américain avait déclaré l’inadmissibilité du retrait du Pérou en le subordonnant à la dénonciation de la convention américaine des droits de l’homme. Par ailleurs, la Cour en recourant à l’article 56(2) de la convention de Vienne avait, dans la même posture que la cour internationale de justice dans l’affaire Nicaragua de 1984, retenu un délai de 12 mois comme délai de retrait. Si ce délai de 12 mois n’est pas en soi critiquable, c’est le droit utilisé par la Cour pour y parvenir qui est problématique, à savoir le droit conventionnel dans le cadre d’un acte unilatéral. En effet, le principe est qu’en l’absence de conditions précises sur le retrait dans de telles circonstances, la Cour doit se référer au droit coutumier. Le caractère coutumier de l’article 56(2) n’étant pas établi en droit international, son utilisation par la cour était donc inappropriée. Dans ce cas d’espèce du silence du protocole, la référence de la Cour au droit international coutumier était la méthode la plus juste et la plus appropriée. En effet, le droit coutumier, au lieu d’un délai de 12 mois, prévoit plutôt un délai raisonnable de préavis (affaire Nicaragua, compétence et recevabilité, § 63). La notion de délai raisonnable permet à la Cour d’adapter la période de retrait en fonction des circonstances de chaque espèce, ce qui pourrait l’amener à déterminer des périodes plus courtes ou plus longues que celle de 12 mois. Une fois le retrait définitif, celui-ci produira deux effets sur la compétence de la Cour. La première est procédurale et concerne les affaires pendantes devant la Cour. Pour ces affaires, la Cour reste compétente et ne peut donc s’en dessaisir. La deuxième est temporelle. La Cour ne pourra plus être compétente pour recevoir des requêtes individuelles concernant des violations survenues à partir de la date où le retrait est devenu définitif. Cependant, la cour reste compétente pour toute requête individuelle concernant des violations de droits de l’homme qui ont lieu dans la période où la déclaration était en vigueur, que ces violations soient spontanées ou continues. Pour être plus pragmatique, les individus peuvent toujours saisir la Cour africaine contre la Côte d’Ivoire en 2021, 2022, 2030, 200X… si les violations alléguées ont eu lieu entre la date d’acceptation de la compétence obligatoire de la cour et celle de retrait ou si lesdites violations sont des violations continues commises depuis la déclaration d’acceptation de la compétence obligatoire de la Cour. La compétence de la cour pour les violations continues a été affirmée depuis l’affaire Norbert Zongo c. Burkina Faso.
En définitive, oui, si le retrait de la Côte d’Ivoire est jugé valide et admissible par la cour, il affectera la compétence de la Cour pour les requêtes individuelles qui sont quasiment les seules qui occupent le tableau de bord de la Cour. Ce retrait constituera en lui-même une atteinte à un droit fondamental des individus, le droit d’accès au juge. Cependant, la Cour peut toujours être saisie par la Commission africaine des droits de l’homme ou par les Etats eux-mêmes. Etant donné que la Cour n’a pas encore connu d’une requête interétatique, il appartient à la Commission d’être plus audacieuse et active pour pallier cette insuffisance institutionnelle. Mais avant tout, il appartient aux Etats de faire preuve d’une bonne volonté politique en acceptant de se soumettre aux décisions de la Cour, car la pratique en matière de retrait dans le contexte africain, révèle que celui-ci est toujours consécutif au refus d’exécution des décisions de la Cour.

La rédaction : d’aucuns disent que la Cour s’immisce dans les affaires politiques et politiciennes, que pensez-vous ? Et dans le cas ivoirien, la Cour pouvait-elle faire autrement étant donné que le citoyen SORO est justiciable devant la Cour et que l’argumentation de la Cour parait être logique ?

M. DABIRE : il faut souligner que, de manière générale, aucune affaire soumise devant une juridiction internationale quelle qu’elle soit ne peut être exempte d’aspects politiques. Cependant, ce n’est pas parce qu’une affaire comporte des aspects politiques que la cour doit se déclarer incompétente pour en connaître. La fonction de la Cour est de dire le droit et rien d’autre. A ce titre, même si une affaire comporte des aspects politiques, la cour ne se prononcera pas sur ces aspects politiques mais uniquement sur les aspects juridiques de l’affaire. De ce fait, il est clair que l’affaire Guillaume Soro et autres c. la Côte d’Ivoire est une affaire qui contient un fond politique : il y a des enjeux électoraux. Cependant, les allégations invoquées par les requérants relatives au risque de violation de leurs droits fondamentaux soulèvent des questions de droit et c’est à ce titre que la Cour s’est déclarée prima facie compétente et a ordonné les mesures provisoires.
En ce qui concerne l’ordonnance de la Cour, la cour pouvait décider autrement mais devrait-elle le faire ? En effet, la cour ordonne les mesures provisoires sur la base du résultat du test des conditions matérielles de l’article 27 (2) du protocole de Ouagadougou. Cette disposition précise les conditions cumulatives nécessaires à l’octroi des mesures provisoires, à savoir l’urgence, l’extrême gravité et le risque de préjudice irréparable. C’est après donc l’examen de ces trois conditions que la Cour a estimé qu’elles étaient remplies et a décidé d’ordonner toutes les mesures provisoires demandées par les requérants. Suivant cette logique, la Cour pouvait décider autrement si elle arrivait à la conclusion que les conditions matérielles fixées à l’article 27 (2) du Protocole n’étaient pas réunies. Ensuite, même si ces conditions étaient réunies, la Cour pouvait encore décider autrement, si elle estimait qu’elles ne pouvaient s’appliquer à tous les requérants au regard de leur situation individuelle. Dans ce dernier cas, la Cour pouvait ordonner des mesures provisoires partielles. Ce qui est relativement intéressant dans cette ordonnance de la Cour, c’est qu’elle a été rendue à l’unanimité, alors que le mode normal et ordinaire de prise de décisions de la cour est la majorité. Ceci reflète qu’il n’y a pas eu de contradictions entre les juges dans l’analyse des conditions matérielles aux fins d’indication de mesures provisoires, puisqu’aucune déclaration, ni d’opinion individuelle ou dissidente n’a été jointe à l’ordonnance en question.

La rédaction :quel avenir pour la Cour au regard du comportement des Etats, ceux-ci ayant tendance à se rebeller contre elle chaque fois qu’elle ne se penche pas en leur faveur ?
M. DABIRE : si l’on considère que les Etats, à qui incombe l’obligation principale et première de protection et de promotion des droits de l’Homme, refusent d’introduire des requêtes interétatiques devant la Cour africaine en cas de violation des droits de l’homme ,il est à craindre que le système africain de protection soit anéanti par les retraits successifs des déclarations d’acceptation de la compétence de la Cour. De ce fait, la Cour court un grand risque de s’endormir devant le silence volontaire des Etats et leur désir manifeste de fermer le prétoire de la Cour aux individus.

Monsieur DABIRE, la rédaction de la Revue vous remercie grandement pour votre disponibilité à tenir cette interview combien importante.
Merci également au Docteur KIENOU Médard, Maitre-assistant à l’Université Nazi Boni de Bobo Dioulasso , par ailleurs Directeur adjoint du Centre Africain pour le Droit international humanitaire et le droit international pénal.

Chargée de l’interview :Catherine DAYO
La rédaction
Revue Juridique du Faso

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