« LA CLAUSE DE NON-CONCURRENCE DANS LES CESSIONS DE DROITS SOCIAUX »

Le Samedi 17 Juin 2023, à l’Université Privée de Ouagadougou, s’est tenue la soutenance de Monsieur ZOMA en vue de l’obtention du diplôme de Master Recherche en Droit des Affaires et Fiscalité. Le travail présenté au jury portait sur le thème suivant : La clause de non-concurrence dans les cessions de droits sociaux.

Dans ses propos introductifs, l’impétrant rappelle la citation de David DE ROCKFELLER qui est la suivante : « Seul un concurrent mort n’est pas dangereux ». Cette citation explique la réalité de la concurrence dans le monde des affaires. Il reconnait ainsi que la concurrence exerce une forte empreinte dans le milieu des affaires.

Puis, rappelant la complexité dans la mise en place des sociétés commerciales avec la nécessité de la préservation des intérêts de celles-ci, il souligne qu’à l’instar des garanties et règles légales encadrant les différentes opérations juridiques, les acteurs du monde économique vont développer des garanties conventionnelles afin de se protéger contre les risques concurrentiels.

La clause de non-concurrence (CNC), définie comme « la clause d’un contrat par laquelle l’une des parties s’interdit, dans certaines limites de temps et de lieu, d’exercer une activité professionnelle déterminée susceptible de faire concurrence à l’autre partie », trouve son cadre primitif dans la matière sociale (droit du travail) avant de gagner les autres domaines. C’est ainsi qu’en matière de sociétés, les acteurs vont commencer à l’y employer. Lors d’une opération de cession de droits sociaux, il pourrait être prévu une clause de non-concurrence quoiqu’on reconnaisse la possibilité pour l’associé de concurrencer la société à laquelle il appartient à condition que celui-ci ne pose pas des actes de nature déloyale. Les droits sociaux, ici, sont assimilés aux titres sociaux c’est-à-dire les parts sociales ou actions détenues par l’associé.

Par ailleurs, il rappelle que la clause de non-concurrence est méconnue des législations nationale et communautaire. Il est donc revenu à la jurisprudence de poser les règles encadrant la clause. De la matière sociale en passant par les autres domaines, il y aura des adaptations des règles encadrant la clause. Conséquence, la clause s’apprécie de manière casuistique, c’est-à-dire au cas par cas. Également, son application à l’égard des associés dans le cadre de leur opération de cession de droits sociaux est controversée et appelle à plusieurs considérations. C’est fort de ce constat qu’il a jugé nécessaire de porter sa réflexion sur ce sujet.

L’intérêt d’une telle thématique se justifie par le fait que la clause semble conquérir les habitudes des acteurs du monde des affaires. Aussi, le droit des affaires étant très dynamique, les praticiens emploient cette clause dans leurs différentes conventions malgré le silence des textes. Le droit OHADA est également muet sur la question. Il y a donc intérêt à cerner les contours de la clause afin de s’assurer l’utilisation d’une clause efficace et efficiente.

Ainsi, au regard du silence des textes concernant la clause, une prudence est observée dans l’utilisation de celle-ci laquelle est restrictive de la liberté de commerce et d’industrie en la matière. Les juges étant regardants dans le respect des libertés fondamentales, il faut s’assurer de conclure une clause valable. Ainsi, il est important de se poser la question suivante : quel est le régime juridique de la clause de non-concurrence en matière de cession de droits sociaux ?

Pour répondre à cette interrogation, deux axes de réflexions ont été dégagés. Le premier axe sur l’admission de la clause de non-concurrence en matière de cession de droits sociaux et le second sur la mise en œuvre de la clause.

En ce qui concerne l’admission de la clause, l’impétrant rappelle que la clause n’a pas fait l’objet d’encadrement dans nos législations internes et communautaires. Si l’OHADA, à travers l’Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (AUDSCGIE), encadre l’opération de cession de droits sociaux, la clause, elle, n’a pas fait l’objet d’évocation dans aucun Acte uniforme. Née de la pratique, développée en matière sociale et encadrée au fur et à mesure par les différentes décisions jurisprudentielles, le fondement d’une telle clause continue de faire l’objet de débats en matière de cession de droits sociaux. Cette clause peut tirer son fondement, au regard des différentes positions doctrinales, des obligations à la charge du vendeur à l’égard de l’acheteur (garantie contre l’éviction) telles que prévue par le Code civil ou des obligations de bonne foi, de loyauté de l’associé à l’égard de la société. Néanmoins, ces positions comportent des limites et on ne peut tirer qu’une certaine obligation implicite. En l’absence donc d’une obligation de non-concurrence légale, et pour plus de sécurité et par prudence, il faut prévoir une clause de non-concurrence. Les parties, dans l’aménagement de leur convention, ont la liberté de stipuler une telle clause tout en respectant les conditions nécessaires pour sa validité.

Cette stipulation de la clause se justifie par une certaine nécessité. Relativement à cette nécessité, il faut reconnaitre que la jurisprudence se refusait de mettre à la charge d’un associé une obligation de non-concurrence et qu’il lui était reconnu la possibilité de concurrencer sa société (Cass. com., 15 novembre 2011, n° 10-15.049). Principe bien affirmé dans les sociétés de capitaux, il semble être relativisé dans les sociétés de personnes qui sont empreintes d’un fort intuitu personae et où l’affectio societatis trouverait tout son sens. Également, en rapport avec la qualité de l’associé dans la société, que celui-ci soit simple associé, ne participant pas aux activités au quotidien ou qu’il occupe en plus de cette qualité la fonction de dirigeant ou de salarié, il est prudent qu’à sa sortie de l’actionnariat, on lui impose une telle clause. En analysant aussi la consistance des parts cédés, on se rend compte que lorsqu’il y a une cession massive des droits sociaux, c’est-à-dire plus de la majorité des parts de la société, il s’agirait d’une cession de contrôle de la société, ce qui permet d’évaluer l’impact qu’exerçait l’associé cédant dans la société, d’où la nécessité de prévoir une telle clause à sa charge. De même, lorsqu’il s’agirait d’une cession minoritaire de droits sociaux, il faudrait être prudent quant au rôle que jouait l’associé dans la société. Par ailleurs, en analysant les garanties entourant l’opération de cession elle-même, on s’aperçoit que ces garanties, à savoir essentiellement la garantie d’éviction et la garantie des vices cachés, s’avèrent insuffisantes voire inopérantes pour protéger le cessionnaire contre un éventuel risque concurrentiel du cédant.

En ce qui concerne la mise en œuvre de la clause, il est rappelé que la jurisprudence a, en l’absence d’encadrement législatif, posé les conditions nécessaires de validité de la clause.

L’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. Soc. 10 juillet 2002 : Moline et a. c/ Société MSAS Cargo International, n°99-43334 et 99-43336 ; Salembier c/ Société La Mondiale SA, n° 00-45135 ; Barbier c/ Société Maine Agri SA, n° 00-45387), devenu un arrêt majeur dans l’appréciation de la clause, pose les conditions de validité de celle-ci en ces termes : « Attendu qu’une clause de non-concurrence n’est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace, qu’elle tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporte l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives ». La chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 8 octobre 2013, n°12-25984) va s’aligner sur cette décision en apportant par ailleurs une petite distinction en ces termes : « Une clause de non-concurrence prévue à l’occasion de la cession de droits sociaux est licite à l’égard des actionnaires qui la souscrivent dès lors qu’elle est limitée dans le temps et dans l’espace et proportionnée aux intérêts légitimes à protéger ; que sa validité n’est subordonnée à l’existence d’une contrepartie financière que dans le cas où ces associés ou actionnaires avaient, à la date de leur engagement, la qualité de salariés de la société qu’ils se sont engagés à ne pas concurrencer ». Ainsi, on peut retenir que pour que la clause soit valide, elle devra répondre aux exigences de limitation temporelle et spatiale et être justifiée quant à sa proportionnalité aux intérêts légitimes à protéger, assortie toutefois d’une contrepartie financière selon les cas.

Par ailleurs, en tant que clause restrictive de concurrence et attentatoire aux libertés fondamentales, il faudrait observer une certaine prudence dans la rédaction de la clause afin de s’assurer de sa validité. Le juge apporte une interprétation stricte à la clause. Cette interprétation pourrait être extensive compte tenu de la spécificité en la matière comme le constate également Yves PICOT. Cette volonté des juges de retrouver une efficacité de la clause à travers l’interprétation extensive expliquerait également la variété des sanctions appliquées en cas de violation de ces clauses, car toute effectivité nécessite une sanction.

L’impétrant rappelle que comme toute convention, la clause doit être soumise aux conditions de validité de droit commun à peine de nullité. Également, le non-respect d’une des conditions de validité de la clause entraine sa nullité de plein droit. Ainsi est sanctionnée l’irrégularité de la clause. Mais le juge pourrait recourir à la réduction qui consiste à rétablir une clause abusive caractérisée par un excès dans la détermination d’un des critères de validité. Cela aura pour conséquence de maintenir la clause.

Par ailleurs, lorsque la clause est valablement formée entre les parties, elle produit des effets à leur égard mais également à l’égard des tiers à travers son opposabilité. Ainsi, son non-respect pourrait entrainer la mise en œuvre d’une responsabilité contractuelle et/ou d’une responsabilité délictuelle. Les deux actions pouvant se cumuler comme le rappelle la Cour de cassation (Cass. com., 17 janv. 2018, n° 16-20.421). La clause de non-concurrence appelant à une obligation de ne pas faire, l’article 1145 du Code civil de 1804 en appelle à une sanction par des dommages et intérêts. Le juge pourrait également faire appliquer la clause pénale si elle est prévue par les parties mais détient toujours un pouvoir d’appréciation sur le montant de cette clause pénale. Pour tenir compte de la spécificité de la matière, une sanction en nature comme la cessation de l’activité prohibée pourrait être prononcée. La responsabilité délictuelle, quant à elle, pourrait être mis en œuvre à l’encontre du tiers qui participerait à la violation de la clause en y apportant son concours ou en employant le débiteur dans l’exercice de l’activité prohibée par la clause.

Finalement, il retient qu’à l’expiration de la clause, le débiteur de l’obligation pourrait voir sa responsabilité engagée sur la base de la concurrence déloyale s’il pose des actes de nature déloyale. L’impétrant invite par ailleurs l’OHADA à prendre en compte cette clause nonobstant le projet avorté d’un Acte uniforme sur la concurrence, dans le cadre de l’assainissement dans le milieu des affaires, afin de permettre aux acteurs du monde des affaires d’employer une clause efficace et sécurisée dans leurs conventions.

Le jury a, à l’unanimité après l’exposé du travail, apprécié l’originalité du thème ainsi que sa pertinence. Il a été reconnu à l’impétrant un effort d’analyse sur un thème assez technique, dont la notion de clause de non-concurrence semble ignorée des Actes uniformes de l’OHADA et du droit burkinabè. Le jury, composé du Pr Judicaël Wendkouni DJIGUEMDE en sa qualité de Président du jury, du Dr Mariame HIEN/ZERBO en sa qualité de rapporteur et du directeur de mémoire en la personne de Dr Gervais MUBERANKIKO, a finalement sanctionné l’impétrant par la note de 16/20.

 

OUEDRAOGO Mireille Stéphanie

revuejuris.net

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