Sommaire
Section I. Les garanties d’indépendance de l’ARCOP
I.Une indépendance organique consacrée
II.Une autonomie fonctionnelle en renfort
Section II Les limites à l’indépendance de l’ARCOP
I.Une indépendance organique compromise
II.Des Obstacles à l’autonomie fonctionnelle regrettables
INTRODUCTION
L’utilisation rationnelle et efficace des ressources affectées au développement et à la lutte contre la corruption constitue des préoccupations des pays développés et des pays en voie de développement en particulier. Le Burkina Faso à l’instar des autres Etats membres de la communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA) a adopté une série de textes de lois pour encadrer les commandes publiques. Ainsi, sous l’impulsion des directives de l’UEMOA notamment les directives[1] n°04/CM/UEMOA et n°05/CM/UEMOA portant respectivement contrôle et régulation de la commande publique, le Burkina Faso s’est doté d’un cadre juridique et institutionnel réformant le droit des marchés publics. Conformément aux objectifs de ces directives, une multitude de textes juridiques régissant la commande publique se sont succédés dont le dernier en vigueur est la loi N°039-2016/AN du 02 Décembre 2016 portant règlementation générale de la commande publique et l’ensemble de ses décrets d’application [2]notamment le décret N°2017-50/PRES/PM/MINEFID du 01 février 2017 portant attribution, organisation et fonctionnement de l’autorité de régulation de la commande publique(ARCOP). L’ARCOP est l’institution chargée de réguler la commande publique au Burkina Faso. A ce titre, elle est chargée de la définition des politiques, la formation et l’information, le maintien du système d’information et la conduite des audits et l’évaluation du système. Elle est aussi chargée du règlement non juridictionnel des différends relatifs à la passation et à l’exécution des marchés publics et des délégations de services publics.
Il est important de préciser qu’à côté de la régulation de la commande publique, le législateur a institué une direction chargée de contrôler les marchés publics et les engagements financiers de l’Etat. A la faveur des directives communautaires, la mission de régulation est désormais distincte de celle de contrôle d’où des organes de régulation et de contrôle distincts.[3] Notre réflexion portera exclusivement sur l’autorité de régulation de la commande publique.
Etant donné que tout projet de recherche qui se veut rationnel et scientifique doit au préalable définir son objet, il importe donc de clarifier les concepts : indépendance, autorité, régulation, commande publique.
La commande publique peut être définie comme l’ensemble des contrats passés par les personnes publiques pour satisfaire leurs besoins. Il s’agit d’une notion très large qui englobe les marchés publics, les délégations de service publics (DSP) et les contrats de partenariat publics privé (PPP). Le terme régulation a un sens polysémique. En effet, il peut être appréhender sous l’angle économique, scientifique, social et juridique. Mais dans le cadre de cette réflexion nous nous intéresserons au sens juridique du mot. Ainsi, la régulation signifie l’action de veiller au respect de la réglementation d’un domaine, d’une activité ou des comportements de certains acteurs.
Une mission de régulation crédible et efficace implique l’indépendance du régulateur. On entend par indépendance, l’absence de contrainte, l’état de non dépendance ou le fait de jouir d’une entière autonomie vis-à-vis des autres.
Quant-au mot ‘’autorité’’, il renvoie au pouvoir de commander, le pouvoir d’imposer l’obéissance. Il signifie aussi que la personne ou l’organe investie d’une mission dispose d’un pouvoir de décision.
Afin de permettre à cette autorité d’exercer avec efficacité et impartialité sa mission, le décret N°2017-50/PRES/PM/MINEFID du 01 Février 2017 portant attribution, organisation et fonctionnement de l’ARCOP dispose que l’ARCOP est une entité administrative indépendante (EAI), doté de la personnalité juridique et de l’autonomie financière et de gestion. Cependant, force est de constater à travers la loi n°039-2016 et ses décrets d’application qu’en dépit du fait que l’indépendance de l’ARCOP est formellement consacrée [4],elle reste sous la tutelle politique, administrative et financière du pouvoir exécutif à plusieurs égards.
Ce paradoxe soulève des questions sur l’effectivité de son indépendance. De ce fait, on pourrait se demander si l’ARCOP en tant qu’autorité en charge de la régulation de la commande publique jouit d’une véritable indépendance. Autrement dit, L’indépendance de l’ARCOP ne souffre-t-elle pas de limites ?
Il s’agit là d’une interrogation assez pertinente étant donné que la crédibilité et l’efficacité de l’ARCOP en dépendent. En effet la crédibilité de cette institution dépend de sa capacité à exercer ses fonctions de régulation en toute indépendance, c’est-à-dire en dehors de toute influence extérieure aussi bien vis-à-vis des pouvoirs politiques que des acteurs régulés.
La réflexion sur ce sujet présente un double intérêt. D’abord, elle permettra de compléter et d’enrichir les précédentes études en rapport avec les marchés publics plus précisément à l’indépendance de l’organe qui a en charge la régulation des marchés publics au Burkina Faso. Aussi ,contribuera-t-elle à mettre à nu les insuffisances des textes juridiques qui régissent les marchés publics notamment la loi n°039-2016/AN portant règlementation générale de la commande publique et le décret N°2017-50/PRES/PM/MINEFID portant attribution, organisation et fonctionnement de l’autorité de régulation de la commande publique.
La question de l’indépendance de l’autorité de régulation de la commande publique sera abordée en deux temps.
Dans un premier temps, il s’agira d’évoquer les garanties fondamentales de l’indépendance de l’ARCOP (section I) c’est-à-dire montrer les aspects institutionnels et fonctionnels qui permettent d’affirmer l’indépendance de l’ARCOP, et dans un deuxième temps, d’aborder les limites de l’autonomie de l’ARCOP, c’est-à-dire montrer qu’elle ne bénéficie pas d’une véritable indépendance (section II).
SECTION I LES GARANTIES FONDAMENTALES DE L’INDEPENDANCE DE L’ARCOP
Avant d’aborder les garanties de l’indépendance sous l’angle du fonctionnement de l’ARCOP (II) il est judicieux de présenter les aspects de l’indépendance organique de l’autorité de régulation de la commande publique (I).
I. UNE INDEPENDANCE ORGANIQUE CONSACREE
L’indépendance est devenue l’une des valeurs centrales dans la confiance que portent les citoyens aux institutions. Elle a pour effet de contrer le soupçon et la défiance qui frappent les autorités. Elle s’entend sur un double plan. D’abord l’indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif car la gestion de certains secteurs d’activités est incompatible avec une ingérence du gouvernement (A). Ensuite elle s’apprécie à l’égard des acteurs régulés. Cela vise à éviter le phénomène de capture du régulateur afin de maintenir l’impartialité de « l’arbitre » dans sa mission de régulation (B).
A.UNE AUTONOMIE A L’EGARD DU POUVOIR EXECUTIF
L’indépendance d’une autorité est la condition préalable pour sa neutralité réelle. Au Burkina Faso, la régulation des marchés publics incombe à l’autorité de régulation de la commande publique. A cet effet, elle est chargée de la définition des politiques en matière de commande publique, la formation et l’information dans le domaine de la commande publique, de la conduite des audits et de l’évaluation du système. Elle est aussi chargée de la discipline et le règlement non juridictionnel des différends en matière de marchés publics, de délégation de service public et des Partenariats publics privés.
Le souci de permettre à l’ARCOP d’exécuter avec efficacité et impartialité ses missions a fait que la loi O39-2016/AN portant réglementation générale de la commande publique lui a consacré son indépendance[5].
En effet, l’article 10 de la loi dispose que : « Il est créé une autorité administrative indépendante chargée de la régulation de la commande publique(…)Elle agit en toute impartialité et en toute indépendance. Dans le cadre de sa mission, elle ne reçoit d’instruction d’aucune autorité. Ses actes sont soumis au contrôle de légalité du juge administratif ». Ainsi, l’ARCOP est une autorité à part entière située hors de l’administration publique et autonome vis-à-vis des pouvoirs politiques , notamment le parlement et le pouvoir exécutif. Elle ne reçoit donc pas d’ordre du gouvernement encore moins du parlement qui ne dispose pas d’un pouvoir de contrôle à son égard. L’ARCOP est exclusivement soumis au contrôle du juge administratif qui à cet effet dispose d’un pouvoir de contrôle de légalité sur ses actes et décisions. Elle est indépendante du gouvernement même si elle est rattachée[6] au cabinet du premier ministère. En effet ce lien institutionnel n’empiète pas pour autant sur son autonomie, puisque ce lien ne la place pas sous le contrôle hiérarchique du pouvoir central. Le contrôle hiérarchique implique que les actes de l’organe subordonné soient susceptibles d’être remis en cause par l’organe hiérarchiquement supérieur mais aussi que le subordonné reçoit expressément des ordres ou directives de l’organe supérieur. Or cela n’est pas le cas de l’ARCOP puisque la loi prévoit expressément qu’elle ne reçoit pas d’instruction d’aucune autorité et cela sans exception.
La personnalité juridique reconnue à l’ARCOP renforce son indépendance vis-à-vis du gouvernement. En effet, la personnalité juridique définie comme étant la capacité d’une personne à être titulaire de droits et d’obligations permet à l’autorité d’être distinct de l’Etat et d’avoir un patrimoine distinct de celui de l’Etat dans la mesure où elle lui permet de gérer ses propres affaires sans interférence quelconque. Aussi, l’indépendance de l’ARCOP se perçoit à travers l’autonomie de son personnel. En effet, elle dispose d’un personnel distinct de celui de la fonction publique. Ce personnel est recruté et gérer par le conseil de régulation et le secrétaire permanent de l’ARCOP. Elle est renforcée par l’autonomie des membres et personnels de l’institution. En effet le décret N°2017-050 /PRES/PM/MINEFID portant attribution, organisation et fonctionnement de l’ARCOP consacre l’autonomie du personnel à travers des garanties qui entourent le mandat des membres du conseil de régulation et de l’organe de règlements des différends. A ce titre l’article 10 et 21 prescrivent que les membres du conseil de régulation et de l’organe de règlement des différends sont nommés pour une période de trois 3 ans renouvelable une seule fois pour les premiers et non renouvelable pour les seconds. Le mandat prend fin à l’expiration normale de sa durée, par décès ou par démission. Il prend également fin à la suite de la perte de la qualité ayant motivé la nomination, ou encore par révocation à la suite d’une faute lourde ou d’incompatibilité avec la fonction de membres de conseil de régulation. L’indépendance des membres de l’organe de règlement des différends est plus renforcée dans la mesure où le mandat est non renouvelable [7]ce qui évite toute collusion ou déviation dans le sens d’obtenir un second mandat. L’inamovibilité permet aux membres d’exercer librement leurs fonctions en toute indépendance donc à l’abri des pressions du gouvernement, de l’administration ou des acteurs privés.
Les marchés publics mettent en relation deux parties notamment l’administration en tant qu’autorités contractante et les acteurs privés ce qui suppose nécessairement que l’autorité de régulation soit indépendante vis-à-vis d’eux(B)
B.UNE INDEPENDANCE INSTITUTIONNELLE A L’EGARD DES ACTEURS REGULES
L’indépendance consacrée par l’article 10 de la loi N°039/AN du portant réglementation générale de la commande publique et le décret d’application n°2017-050/PRES/PM/MINEFID portant attribution, organisation et fonctionnement de l’ARCOP est aussi valable à l’égards des acteurs des marchés publics et des DSP. En effet, dans l’exercice de ses missions, l’ARCOP ne reçoit pas d’instruction de l’administration publique même si elle est représentée encore moins des acteurs privés.
La collégialité [8]comme modalité de prise de décision au sein des instances de l’ARCOP, prévue aux articles 15 et 18 du décret constitue une garantie d’indépendance des membres de l’ARCOP, partant de l’institution. En effet, suivant l’article 15 le conseil de régulation ne peut valablement délibérer que si les deux tiers au moins des membres sont présents et représentés. Chaque membre dispose d’une voix et les décisions sont prises à la majorité des membres présents et représentés. L’article 18 prescrit que l’organe de règlement des différends est composé de manière tripartite et paritaire de représentants de l’administration publique, du secteur privé et de la société civile. Il comprend à chaque session trois membres représentants respectivement l’administration publique, le secteur privé et la société civile. Les trois composantes participent à la prise de décision de l’organe. Cette collégialité permet d’éviter le captage des membres de l’ARCOP , particulièrement les membres de l’organe de règlement des différends. Ainsi les éventuelles instructions données aux membres représentants l’administration dans le conseil de régulation ou de l’organe de règlement des différends seront inefficaces.
Il convient d’aborder à la suite des garanties de l’indépendance organique de l’ARCOP d’envisager l’autonomie financière et décisionnelle comme garanties de l’indépendance fonctionnelle de l’ARCOP (II)
II.UNE AUTONOMIE FONCTIONNELLE EN RENFORT
S’agissant de l’autonomie fonctionnelle de l’ARCOP, il sera évoqué dans un premier temps l’autonomie financière de l’ARCOP en tant que garantie fondamentale de l’indépendance (A) et dans un second temps son autonomie décisionnelle(B).
A.UNE AUTONOMIE FINANCIERE ET DE GESTION INDISPENSABLE
L’indépendance d’une autorité implique aussi sa capacité à ne pas dépendre financièrement d’une autre entité. Cette autonomie financière a une double implication. En effet, elle suppose une autonomie de décision sur son budget et une libre gestion de ce budget. S’agissant de l’autonomie de décision ,elle s’entend de la capacité d’une institution à définir librement son budget en ressources et charges. Mais cette autonomie n’implique pas nécessairement une indépendance totale qui suppose un financement par des ressources propres tirées par exemple des revenus d’un domaine privé ,d’une tarification de service ,voire d’une fiscalité propre .Elle s’accommode parfaitement avec des ressources allouées par l’Etat dans la mesure où il lui est laissé la possibilité de déterminer ses besoins et de participer à la prise de décision.
Elle suppose aussi une stratégie d’action et une capacité d’évaluation des besoins qui sont les siens. L’autonomie de gestion consiste à transférer à l’autorité la gestion de son budget. Elle nécessite l’utilisation d’outils adaptés du management privé notamment la comptabilité privée.
L’article 10, paragraphe 2 de la loi N°039-2016/AN du 2 février 2016 portant règlementation générale de la commande publique consacre cette autonomie financière[9] et de gestion de l’ARCOP. Elle est précisée par le décret N°2017-050/PRES/MINEEFID portant organisation, attribution et fonctionnement de l’ARCOP. En effet, s’agissant de la décision du budget, l’article 5 dudit décret dispose que le conseil de régulation adopte le règlement financier et comptable, le manuel des procédures financières sur proposition du secrétaire permanent de l’ARCOP. De ce fait le conseil de régulation détient la compétence exclusive dans l’adoption du budget de l’ARCOP. Le conseil autorise des réceptions de dons, de legs et de subventions au profit de l’autorité de régulation de la commande publique.
Aussi, suivant l’article 43, le secrétaire permanent de l’ARCOP est l’ordonnateur du budget de l’ARCOP. Il l’exécute conformément aux règlements financiers et comptables régissant la gestion de l’ARCOP.
Par ailleurs, l’assiette du budget de l’ARCOP permet d’affirmer son autonomie financière. En effet, le budget de l’ARCOP comprend des ressources propres notamment la redevance de régulation, les frais administratifs et droit d’ouverture de dossier, des produits et sanctions pécuniaires prononcés par l’ORD ainsi que les dons, legs ou contributions et de tout autre contribution affectées par les lois et règlements en vigueur.
L’autonomie de gestion du budget de l’ARCOP s’apprécie à travers la dérogation aux dispositions du règlement général sur la comptabilité publique accordée à celle-ci. En effet, le paragraphe 2 de l’article 47 dispose : « les comptes de l’autorité de régulation de la commande publique sont tenus selon des règles de gestion de la comptabilité privé ». En conséquence, les comptes de l’ARCOP sont contrôlés et certifiés par un commissaire aux comptes au moyen d’un audit et non pas par les structures publiques telle que l’autorité supérieure du contrôle d’Etat et de la lutte contre la corruption(ASCE-LC) ou par les contrôleurs financiers de l’Etat. Cette dérogation à la comptabilité publique renforce l’idée de l’indépendance de l’ARCOP vis-à-vis de l’administration publique.
L’autonomie décisionnelle est le corollaire de l’autonomie institutionnelle et financière de l’ARCOP (B).
B.UNE AUTONOMIE DECISIONNELLE ASSEZ REMARQUABLE
L’autonomie de décision d’une autorité signifie la capacité de prendre des décisions de manière autonome indépendamment de tout organe extérieur. En d’autres termes l’organe doit prendre ses décisions sans aucune ingérence des pouvoirs publics, tel le gouvernement mais aussi des acteurs privés. Par ailleurs, l’autonomie de décision signifie que les décisions de l’organe de régulation doivent être juridiquement contraignantes. En conséquence, les décisions de l’organe ne doivent pas faire l’objet d’une approbation formelle d’une entité publique ou privée. A cet effet, la loi N°039-2016/AN du 2 février 2016 portant règlementation générale de la commande publique et le décret N°2017-050/PRES/MINEEFID portant organisation, attribution et fonctionnement de l’ARCOP consacrent bien cette autonomie de décisions au profit de l’ARCOP. En effet, l’article 11 de la loi consacre un pouvoir règlementaire et de sanctions disciplinaires en matière de régulation. Ce pouvoir permet à l’ARCOP d’adopter ses décisions et actes sans avoir besoin qu’ils soient ratifiés par une autorité extérieure. C’est ainsi que l’organe de règlement des différends (ORD), instance de recours non juridictionnel et à composition tripartite rend des décisions exécutoires [10]dès leurs notifications lorsqu’il statue en matière contentieuse et disciplinaire (article 39). Ces décisions sont non seulement prises par les membres siégeant à l’instance mais qu’elles sont aussi obligatoires et exécutoires sans possibilité de remise en cause par aucune structure extérieure. Cela marque une évolution en faveur de cet organe puisqu’avant cette règlementation les décisions de l’organe de règlement amiable des différends rendaient des projets de décisions qui devaient être ratifiées par le premier ministre ou par le ministre des finances. L’autorité de régulation de la commande publique est chargée de prendre les mesures nécessaires pour assurer l’exécution des décisions et sanctions prononcées par l’organe de règlement des différends (article 39, paragraphe 2).
En dépit de ces garanties institutionnelle et fonctionnelle, force est de constater que l’ARCOP reste à certains égards dépendant du pouvoir politique (section II).
SECTION II DES LIMITES A DEPLORES
Dans cette deuxième partie, nous aborderons d’abord, les aspects institutionnels et organiques qui réduisent l’indépendance de l’ARCOP(I) et ensuite les obstacles à l’autonomie fonctionnelle de celle-ci(II)
I. UNE INDEPENDANCE ORGANIQUE COMPROMISE
Il sera question d’évoquer la séparation institutionnelle imparfaite de l’ARCOP d’avec le pouvoir exécutif(A)et le pouvoir du gouvernement dans la nomination des organes dirigeants de l’ARCOP comme des obstacles à son autonomie (B).
A.UNE TUTELLE ADMINISTRATIVE REGRETTABLE
L’indépendance d’une autorité implique l’absence de toute tutelle ou pouvoir hiérarchique vis-à-vis du pouvoir politique ou administrative. Elle implique qu’elle ne reçoit ni d’ordre ni d’instruction d’aucune autorité. Cette indépendance s’apprécie également par l’absence de relation de coordination avec d’autres entités parce que la coordination pourrait dans certaines situations donner naissance à un rapport de subordination de l’un sur l’autre ou de dépendance.
Le décret N°2017-050/PRES/MINEEFID portant organisation, attribution et fonctionnement de l’ARCOP dispose à son article 1 que : « l’ARCOP est une autorité administrative indépendante dotée de la personnalité juridique ».En d’autres termes que l’ARCOP est une administration qui ne dépend d’aucune autre entité, par conséquent elle ne reçoit d’instruction d’aucun autre pouvoir. Cependant, l’article ajoute qu’elle est rattachée au cabinet du premier ministère. Ce rattachement institutionnel compromet son indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif. En effet, elle se trouve d’une certaine façon placée sous la tutelle du premier ministère. Cette situation laisse craindre une ingérence du pouvoir politique dans l’exercice de régulation des marchés publics quand bien même cela n’est pas formellement prévu par la loi ou par le décret d’application. Du fait de ce rattachement, force est de constater que dans la pratique, l’ARCOP parfois se réfère à l’avis du premier ministre sur certaines questions, chose qui ne saurait consolider son autonomie vis-à-vis du premier ministère.
Mais retenons que même si théoriquement cette tutelle administrative n’affecte pas l’indépendance de l’ARCOP dans la mesure où les textes ne donnent pas expressément compétence au pouvoir exécutif d’intervenir dans les actions et activités de l’ARCOP, il n’en demeure pas moins qu’elle demeure contrôlée par le gouvernement du fait de ce lien institutionnel.
Qu’en est-il du pouvoir de nomination dont dispose le gouvernement à l’égard des membres dirigeants de l’ARCOP ? Au-delà de ce lien institutionnel, il y a cette volonté insistante de l’Etat « d’avoir l’œil » sur cette institution indépendante avec autant de pouvoirs(B).
B.UN POUVOIR DE NOMINATION DU PERSONNEL DIRIGEANT AUX MAINS DU GOUVERNEMENT
L’autonomie d’une institution dépend aussi de sa capacité à s’auto-administrer, c’est-à-dire qu’elle doit être capable de gérer elle-même ses affaires. Cela implique qu’elle dispose de son propre personnel, qu’elle recrute et gère elle-même. Cependant, force est de constater que le personnel dirigeant de l’autorité de régulation de la commande publique est en grande partie nommés par le gouvernement. En effet, suivant le décret portant organisation, attribution et fonctionnement de l’ARCOP, les membres du conseil de régulation et le secrétaire permanent sont nommés par le gouvernement. A ce titre, l’article 9 [11]du décret prévoit que le président du conseil de régulation est nommé par décret pris en conseil de ministre sur rapport du premier ministre, mieux il est le représentant du premier ministère. Par ailleurs le secrétaire permanent de l’ARCOP est recruté par le conseil de régulation suivant une procédure de sélection en raison de son intégrité morale, de ses qualifications et expériences dans les domaines juridiques, techniques, économiques et financiers. Il est ensuite nommé par décret pris en conseil des ministres pour un mandat de quatre (4) ans renouvelable une fois sur proposition du conseil de régulation et sur rapport du premier ministre (article 18).Le gouvernement dispose d’un pouvoir de révocation sur les membres du conseil de régulation et le secrétaire permanent de l’ARCOP .En effet l’article 59 du décret prévoit que le secrétaire permanent de l’ARCOP , les membres du conseil de régulation et les membres de l’organe de règlement des différends sont révocables par décret pris en conseil des ministres après délibération du conseil de régulation et sur rapport du premier ministre en cas de faute lourde .Les pouvoirs dont disposent le gouvernement à l’égard du personnel de l’ARCOP réduit en théorie l’autonomie de cette institution qui en vertu de la consécration de son indépendance devrait s’auto administrer sans ingérence du gouvernement. C’est dire que l’ARCOP, pour être réellement indépendante doit pouvoir recruter son personnel ,le gérer et éventuellement mettre fin aux fonctions de ses membres en toute liberté. Mais telle que prévue par le décret, l’ARCOP n’a pas pouvoir pour recruter son personnel dirigeant sans passer par le gouvernement, aussi la délibération du conseil de régulation portant révocation du président du conseil de régulation ou du secrétaire permanent de l’ARCOP est inefficace sans l’approbation du gouvernement même en cas de faute lourde.
L’indépendance d’un organe ou d’une institution de contrôle ou de régulation rime forcement avec autonomie financière car elles sont deux faces indissociables si bien qu’en l’absence d’une autonomie financière, l’indépendance serait illusoire. La loi N°039-2016/AN du 2 février 2016 portant règlementation générale de la commande publique et le décret N°2017-050/PRES/MINEEFID portant organisation, attribution et fonctionnement de l’ARCOP consacre bien cette autonomie financière et de gestion à l’ARCOP, quoiqu’elle peut être jugée imparfaite (II) .
II.UNE AUTONOMIE FONCTIONNELLE TRES DISCUTABLE
L’autonomie financière de l’ARCOP telle que prévue par le décret N°2017-050/PRES/PM/MINEFID est peu efficace (A) cela réduit la capacité d’action de l’ARCOP par conséquent réduit son autonomie de décision(B).
A.DES LIMITES A L’AUTONOMIE FINANCIERE
L’autorité de régulation de la commande publique bénéficie d’une autonomie financière et de gestion lui permettant de définir librement son budget en terme de ressources et de charges. Cependant cette autonomie n’est qu’illusoire parce que certains actes ou décisions relatifs au budget de cette institution requiert l’intervention du premier ministre soit sous forme d’approbation ou d’autorisation. A ce titre, l’article 50 du décret [12]dispose que : « les allocations du président du conseil de régulation et indemnités mensuelles de session des membres du conseil de régulation sont fixées par le président du conseil de régulation après approbation du premier ministre » .C’est dire que l’ARCOP n’est pas libre de fixer la rémunération du président du conseil de régulation. En fait, elle détermine provisoirement les allocations si bien qu’il revient au premier ministre d’approuver ou pas la décision du président. Il s’agit là d’un pouvoir important que détient le gouvernement à l’égard de l’ARCOP. Cela est en contradiction avec l’autonomie financière et de gestion reconnue à l’ARCOP par la N°039-2016/AN du 2 février 2016 portant règlementation générale de la commande publique.[13]
Aussi, l’assiette du budget de l’ARCOP telle que prévue par les dispositions financières du décret traduit en principe l’autonomie financière de l’ARCOP .En effet selon l’article 46 du décret, les ressources de l’ARCOP sont constituées de la redevance de régulation, les frais administratifs et de droits d’ouverture de dossier devant l’ORD ,les produits de sanctions pécuniaires prononcées par l’ORD ,les produits de réalisations de cautions de recours devant l’ORD ,les subventions et de toutes autres ressources affectées par les lois et règlements .
Cependant, cette autonomie est très limitée car l’article 6 du décret N°2017-0775 du 18 Aout 2017 portant fixation de la taxe de redevance de régulation des services publics et modalités de reversement des ressources prévoit que les ressources de la redevance de régulation sont reversées au budget de l’Etat. Il appartient donc à l’Etat de mettre chaque année à la disposition de l’ARCOP les fonds nécessaires au fonctionnement de ses activités sur la base de son budget dument approuvé par le conseil de régulation de l’ARCIOP et soutenable par le gouvernement. Ainsi, le budget de l’ARCOP est fonction de la volonté du gouvernement puisque non seulement les recettes de la redevance sont reversées au budget de l’Etat , ce qui est contraire à l’autonomie financière d’une entité ayant la personnalité juridique. Aussi ,l’autonomie financière se trouve amenuisée au regard de la formulation de l’article 6 de ce décret. En effet, en disposant que le budget de l’ARCOP doit être jugé « soutenable » [14]par le gouvernement, l’article 6 a eu pour effet de réduire considérablement la portée de l’autonomie financière de l’ARCOP. Dès lors on pourrait déduire que le gouvernement peut ne pas soutenir le budget de l’ARCOP si bien que les recettes de la redevance ne seront pas mis entièrement à la disposition de l’ARCOP. Ce pouvoir conféré au gouvernement traduit la volonté de l’exécutif d’avoir un contrôle sur l’institution. On conclut donc que l’autonomie financière et de gestion de l’ARCOP ne peut être que partielle étant donné que la détermination du budget et sa gestion est partagée entre l’ARCOP et le gouvernement.
Par ailleurs force est de constater que le budget de l’ARCOP dépend en bonne partie des subventions de l’Etat. De ce fait, l’ARCOP ne peut véritablement assurer efficacement sa mission. L’importance des subventions de l’Etat est de nature à compromettre l’indépendance de l’institution vis-à-vis du gouvernement qui pourrait utiliser cela comme une mesure de blocage. Retenons qu’en 2007 la subvention de l’Etat était de 207 millions de francs CFA mais aujourd’hui elle est de 70 millions de francs CFA. On pourrait apprécier cette baisse comme une méfiance de l’exécutif vis-à-vis de l’ARCOP. La logique serait qu’au regard de l’importance de la régulation de la commande publique que les subventions connaissent une hausse plutôt qu’une réduction.
Qu’en est-il du pouvoir décisionnel de l’ARCOP ? (B)
B.L’ABSENCE D’UN VERITABLE POUVOIR DE DECISIONEL
La qualité d’autorité conférer à un organe suppose que l’organe dispose d’un véritable pouvoir de décision et qu’il dispose des capacités financières et humaines pour exercer son autorité.
Cependant, force est de constater que l’autorité de régulation n’a pas un pouvoir autonome de décision dans certaines situations, notamment en matière de nomination des personnels dirigeants de l’ARCOP, de libre détermination et de gestion du budget. Aussi, même dans les domaines où elle en dispose, ses actions ou ses décisions pourraient être limitées par son incapacité financière. C’est ainsi que les décisions du conseil de régulation sont parfois ineffectives du fait de moyens financières. A titre illustratif, l’ARCOP avait en projet depuis quelques années d’organiser une journée de la commande publique mais n’ayant pas reçu l’aval du gouvernement devant se traduire par une subvention cette importante activité n’a pu se tenir qu’en 2018. En effet, l’ARCOP a enfin pu organiser la première édition des journées de la commande publique (JCP) le 12 au 14 juillet 2018 dans la ville de SYA à Bobo Dioulasso. Même si cette activité a pu se tenir, il n’en reste pas moins que l’on pourrait penser qu’elle l’a été grâce à l’aval du gouvernement. En effet, le thème retenu pour cette journée est très évocatif : « La commande publique, un levier stratégique dans l’atteinte des résultats du Plan national de développement économique et social (PNDES) ».
CONCLUSION
Le Burkina Faso s’est engagé à lutter contre la corruption dans les marchés où les finances publiques sont en jeu. Les récentes réformes du Droit de la commande publique ont contribué à instituer une entité chargée de réguler les procédures de passation des marchés publics en sus du contrôle a priori effectué par la direction générale du contrôle des marchés publics et des engagements financiers de l’Etat. Cette entité, dans l’exercice de ses fonctions dispose d’assez de pouvoirs lui permettant d’exécuter efficacement sa tâche. La loi lui reconnait la personnalité juridique, l’autonomie financière et budgétaire et une autonomie administrative.
Cependant, cette indépendance n’est pas très effective dans la mesure où elle reste financièrement limitée, non seulement dans ses actions, mais aussi par le fait que son budget de fonctionnement dépend en grande partie de la volonté du pouvoir central. Aussi, le gouvernement dispose à l’égard de cette entité certaines prérogatives administratives importantes.
Il faudra donc pour une indépendance effective et réelle de l’ARCOP, renforcée l’autonomie financière de cette entité en lui accordant le pouvoir de fixer le taux de la redevance de régulation qui du reste est sa principale et importante ressource. Mais aussi, une révision du décret N°2017-050/PRES/PM/MINEFID afin de permettre à l’ARCOP de s’auto-administrer librement dans le sens de choisir ses dirigeants et les révoqués suivant des règles et procédures internes.
Bibliographie indicative
- Textes communautaire:
La directive n°04/2005 portant procédure de passation, d’exécution et de règlement des marchés public et des délégations de service publics du 09 décembre 2005 dans l’union économique et monétaire Ouest africaine(UEMOA) ;
La directive n°05/2005 du 09 décembre 2005 portant contrôle et régulation des marchés publics et des DSP.
2.Textes législatifs
Loi N°039-2016/AN du 2 février 2016 portant règlementation générale de la commande publique.
3.Textes règlementaires
Décret N°2017-0049/PRES/PM/MINEFID portant procédure de passation, d’exécution et de règlement de différend des marchés publics et des délégations de services publics ;
Décret N°2017-0050/PRES/PM/MINEFID du 01 février 2017 portant attribution, organisation et fonctionnement de l’autorité de régulation de la commande publique ;
Décret N°2017-0051/PRES/PM/MINEFID portant règlementation générale de la maitrise d’ouvrage déléguée ;
Décret N°2017-0775 du 18 Aout 2017 portant fixation de la taxe de redevance de régulation des services publics et modalités de reversement des ressources ;
Décret N°2015-1260 /PRES-TRANS/PM/MFB du 9 mai 2017 portant code d’éthique et de déontologie.
5.These de doctorat
-AOUN Charbel, l’indépendance de l’autorité de régulation des communications électroniques et des postes, thèse de doctorat en droit public soutenue en 2006 à Cergy-Pontoise ;
6.Articles
-DIECKHOFF Evelyne, les autorités administratives independantes,1991 ;
-HUBERT Jean-Michel, « Le cas de l’autorité des télécommunication », revue française d’administration publique n°2004/1(n°109), page 99 à 107.
-HUBERT Delzangles , « L’indépendance des autorités administratives indépendantes chargées des marchés publics :éléments de droit comparé et européen »,droit de société 2016/2(N°93)page 297 à 316,mis en ligne sur cairn info le 10/08/2016 ;
– Alexandre Piraux, « Les outils publics de la régulation la démocratie sous perfusion de l’expertise dite « indépendante », revue du CERAP Pyramides,2015.
4.Site web
[1] La directive n°04/2005 portant procédure de passation, d’exécution et de règlement des marchés public et des délégations de service publics du 09 décembre 2005 dans l’union économique et monétaire Ouest africaine(UEMOA) ;
La directive n°05/2005 du 09 décembre 2005 portant contrôle et régulation des marchés publics et des DSP.
[2] Décret n°2017-0049/PRES/PM/MINEFID portant procédure de passation, d’exécution et de règlement de différend des marchés publics et des délégations de services publics ;
Décret n°2017-0050/PRES/PM/MINEFID du 01 février 2017 portant attribution, organisation et fonctionnement de l’autorité de régulation de la commande publique.
[3] Article 3 : Du principe de la séparation des fonctions de contrôle et de régulation. Les Etats membres s’engagent à mettre en œuvre des procédures et mécanismes garantissant la séparation et l’indépendance des fonctions de contrôle et de régulation des marchés publics et des délégations de service public.
[4] Article 10, il est créé une autorité administrative indépendante chargée de la régulation de la commande publique.
[5] Article 10 de la loi n°039-2016/AN du 2 février 2016 portant règlementation générale des marchés publics et des délégations de service publics.
[6] Article 1, paragraphe 3 du Décret n°2017-0050/PRES/PM/MINEFID du 01 février 2017 portant attribution, organisation et fonctionnement de l’autorité de régulation de la commande publique.
[7] Article 21, les membres de l’organe de règlement des différends sont nommés par décision du président du conseil de régulation pour un mandat unique de trois (3) ans.
[8] Article 15, le conseil de régulation ne peux valablement délibérer que si les deux tiers au moins des membres sont présents ou représentés.
[9] Article 10, paragraphe 2 de la loi n°039-2016/AN du 2 février 2016 portant règlementation générale des marchés publics et des délégations de service publics
[10] Article 39 du décret n°050 portant organisation, attribution et fonctionnement de l’ARCOP
Les décisions de l’organe de règlement des différends sont exécutoires dès leur notification sauf en cas de retrait dans les quinze (15) jours ouvrables suivant la date de prononcé de celle-ci.
[11] Article 9 du Décret n°2017-0050/PRES/PM/MINEFID du 01 février 2017 portant attribution, organisation et fonctionnement de l’autorité de régulation de la commande publique ;
[12] Article 50 du Décret n°2017-0050/PRES/PM/MINEFID du 01 février 2017 portant attribution, organisation et fonctionnement de l’autorité de régulation de la commande publique
Le Président du Conseil de régulation bénéficie d’une allocation mensuelle.
Les- membres du Conseil de régulation perçoivent, des indemnités de session et, éventuellement, le remboursement des dépenses occasionnées par les sessions du Conseil. Les allocations mensuelles du Président et les indemnités mensuelles de session des membres mentionnées aux alinéas I et 2 ci-dessus sont fixées par décision du Président du Conseil de régulation après approbation du Premier Ministre. |
[13] Article 10, paragraphe 2 de la loi n°039-2016/AN du 2 février 2016 portant règlementation générale des marchés publics et des délégations de service publics consacre l’autonomie financière et de gestion à l’ARCOP
[14]Article 6 du décret n°0775-2017 du 18 Aout 2017 portant fixation de la taxe de redevance de régulation des services publics et modalités de reversement des ressources
Les ressources de la redevance de régulation sont reversées au budget de l’Etat.
L’Etat met chaque année à la disposition de l’autorité de régulation de la commande publique les fonds nécessaires au financement de ses activités, sur la base de son budget dument approuvé par le conseil de régulation de l’autorité de régulation de la commande publique et soutenable pour le gouvernement. Cette disposition laisse penser que le gouvernement juge de la soutenabilité du budget de l’ARCOP en fonction du budget de l’Etat.