L’actualité de ce semestre de l’année est fortement dominée par la progression planétaire du covid19 qui a entraîné la mort de plusieurs milliers de personnes dans le monde. Cette crise a rapidement fait penser à une pandémie que l’Organisation Mondiale de la Santé a confirmé le 11 mars 2020 en définissant la pandémie comme une propagation mondiale d’une nouvelle maladie. La gestion de cette crise sanitaire comme toute pandémie devient la priorité de chaque pays surtout la France qui est obligée de prendre des mesures qui auront des incidences sur l’économie. De ce fait, on ne peut ignorer les conséquences économiques d’une pandémie. En effet, cette situation montre que les pandémies mettent à mal la disposition de l’ancien article 1134 du code civil qui portait sur la force obligatoire du contrat désormais traité depuis l’ordonnance du 10 février 2016 aux articles1103:«Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits » et 1104: «Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi…». Il s’agit là d’une règle qui pose la nécessité pour chaque partie à un contrat de respecter sa parole. À l’opposé, il y avait un concept privatiste médiéval qui clamait que« clausula rebus sic stantibus» signifiant que les dispositions d’un contrat ne restent applicables que pour autant que les circonstances essentielles qui ont justifié la conclusion de ces actes demeurent en l’état et que leur changement n’altère pas radicalement les obligations initialement acceptées. Ce dernier principe est exactement le terreau de la théorie de l’imprévision qui a d’abord été rejetée par l’ordre judiciaire français. La cour de cassation française, depuis l’arrêt du 6 mars 1876 dit ‘’canal de craponne avait posé l’impossibilité d’une révision judiciaire du contrat pour imprévision contrairement en droit administratif où le Conseil d’État a jugé le 30mars 1916 dans l’arrêt Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux que l’imprévision était admise. Il a fallu attendre doucement les années 2000 avec l’avant-projet Catala jusqu’à concrètement l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations en passant par la jurisprudence Soffimat du 29 juin 2010 pour que l’impossibilité pour le juge civil de modifier les conventions soit abandonnée. Ce qui n’est pas le cas pour les États qui continuent d’appliquer le code civil de 1804 tel que le Burkina Faso dans lequel l’arrêt Canal de Craponne a toujours autorité. À partir de là donc le législateur prévoit en droit civil la possibilité d’appliquer la théorie de l’imprévision en cas de pandémie et autre changement de circonstances imprévisible. Ainsi,la jonction des notions d’« Imprévision » et de « pandémie » sous-entend un rapport de cause à effet entre la pandémie et l’imprévision qui ne fait guère de doute. Maintenant, la question que l’on se pose est la suivante : L’avènement d’une pandémie implique-t-il la mise en œuvre de la théorie de l’imprévision ? Cette question appelle une réponse nuancée en ce sens que la théorie de l’imprévision est un instrument juridique au service des difficultés contractuelles causées par les pandémies mais son application n’est pas systématique. Cette théorie de l’imprévision est applicable autant en droit civil qu’en droit administratif mais nous ne nous intéresserons qu’aux contrats de droit civil régis par l’ordonnance du 10 février 2016 et entrée en vigueur au 1er octobre 2016.
Alors, si la réussite de la mise en œuvre de la théorie de l’imprévision est un instrument juridique face aux difficultés causées par les pandémies (I), il n’en demeure pas moins que son influence reste tout de même limitée (II).
I.La mise en œuvre de la théorie de l’imprévision en cas de pandémie
Traitée à l’article 1195 de l’ordonnance du 10 février 2016 prévoyant que «Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent demander d’un commun accord au Juge de procéder à l’adaptation du contrat. À défaut, une partie peut demander au Juge d’y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe», la théorie de l’imprévision est applicable en cas de pandémie. Mais cette application nécessite la réunion de certaines conditions dont la survenance d’évènements imprévisibles rendant l’exécution des contrats excessivement onéreuse (A). A cela s’ajoute la condition de non-renonciation à l’imprévision ouvrant la procédure de renégociation (B).
A- La survenance d’évènements imprévisibles rendant l’exécution excessivement onéreuse
Cette condition est double. Elle renferme non seulement la condition de survenance d’évènements imprévisibles mais aussi que ces évènements survenus rendent l’exécution du contrat excessivement onéreuse. Concernant l’évènement imprévisible, le professeur Bruno Oppetit dit que ce serait celui que l’on ne pouvait raisonnablement demander aux parties de prendre en compte au moment où elles ont conclu leur contrat. Cette définition fait penser à celle retenue par les juridictions civiles concernant la force majeure, dont l’imprévisibilité est l’une des conditions. D’ailleurs, pour mieux appréhender la notion d’imprévisibilité il est loisible de prendre en compte l’article 1218 de l’ordonnance du 10 février 2016 qui évoque explicitement un événement « qui ne pouvait être raisonnablement prévu ». L’imprévisibilité de l’événement est depuis longtemps appréciée par le juge de manière relative. En effet, pour apprécier le caractère imprévisible d’un évènement, le juge devra mener une analyse in abstracto par référence à ce qu’un professionnel « raisonnablement prudent » placé dans la même situation aurait pu prévoir lors de la conclusion du contrat. L’emploi de la formule « raisonnablement prévu » suggère que l’imprévisibilité de l’évènement puisse n’être que relative, en ce sens qu’il n’est pas nécessaire que l’évènement soit absolument imprévisible. C’est ce qui se dégage de la jurisprudence qui se contentait, dans les arrêts de la 2è chambre civile du 6 juillet 1960 et du 27 octobre 1965 de la cour de cassation, d’évènement simplement imprévisible. Il est effectivement constant en jurisprudence que, l’évènement est jugé imprévisible en fonction du temps et du lieu où il se produit et des circonstances qui l’accompagnent. Il s’apprécie par référence à un homme prudent , mais aussi par rapport à l’absence de faute du débiteur qui ne pouvait pas prévoir l’évènement. Ainsi, le fait que des crises sanitaires d’une ampleur ou d’une nature proche aient déjà existé dans le passé n’est sans doute pas de nature à exclure le caractère d’imprévisibilité. Plusieurs indices pourraient ici tendre à la qualification d’événement imprévisible : il s’agit d’une maladie nouvelle, inconnue chez l’homme et pour laquelle il n’existe aucun vaccin. Les pandémies sont par conséquent qualifiables d’évènements imprévisibles.
Quant à la condition de l’onérosité de l’exécution, force est de reconnaître que la situation d’une exécution devenue excessivement onéreuse n’est pas toujours facile à percevoir. N’étant pas très clair, l’article 1195 du code civil ne permet pas au juge d’avoir un guide pour trancher. Mais on peut soutenir tout de même que l’exécution onéreuse est celle qui serait préjudiciable pour le débiteur, une perte financière en l’occurrence. En tout état de cause, le critère « excessivement onéreux » est subjectif. Il y a donc fort à craindre que la frontière de « excessivement onéreux » soit source d’insécurité préjudiciable aux parties. C’est ce qu’il s’est passé dans un arrêt en date du 12 février 2015 dans lequel la Cour de cassation a considéré qu’une société n’avait pas apporté la preuve d’une situation ayant altéré « fondamentalement » l’équilibre des prestations et justifiant l’activation d’une clause de hardship, quand bien même ladite société avait produit des lettres de ses fournisseurs annonçant des hausses de prix de 4% à 16%, entraînant une diminution de 58% de sa marge brute. Le résultat fut donc sévère pour cette société. L’appréciation du juge est donc souveraine dans la détermination du caractère excessivement onéreux de l’exécution du contrat. En plus de ces deux conditions, une troisième existe pour rendre l’imprévision applicable.
B- La non-rénonciation à l’application de l’article 1195 du code civil ouvrant la procédure de renégociation
La non-rénonciation à l’application de l’article1195du code civil est la troisième condition associée aux deux précédentes pour qu’on puisse ouvrir une éventuelle procédure de renégociation sous l’empire de l’article 1195 du code civil. Cette condition tient à la non-acceptation du risque d’un changement imprévisible des circonstances par la partie qui demande la renégociation du contrat. Ce 3ème critère est intéressant car il soutient l’idée que ce texte est supplétif de volonté puisqu’il réserve l’hypothèse qu’une partie ait accepté le risque. Les parties n’auraient qu’à inclure ce qu’on l’on pourrait nommer une « clause d’acceptation du risque d’imprévision » pour écarter purement et simplement son application. Pour les contrats qui ont opté pour cette solution, l’application de l’article 1195 pour faire face aux conséquences de l’épidémie de covid-19 par exemple sera exclue, sauf à prouver que la clause, figurant dans un contrat d’adhésion, était non négociable et créait un déséquilibre significatif entre les parties et donc systématiquement qualifiée d’abusive parce que la partie faible accepte d’assumer une exécution excessivement onéreuse du contrat. A contrario, la condition de non-rénonciation ne suppose pas que les parties ne peuvent pas s’accorder sur une toute autre clause. L’article 1195 du code civil n’étant pas d’ordre public, les parties peuvent parfaitement prévoir une clause de hardship. Si toutes ces conditions sont remplies, l’invocation de l’article est envisageable pour permettre une renégociation du contrat. En effet, une fois les conditions d’application de l’article 1195 réunies s’ouvre une procédure de renégociation, se déroulant en trois phases distinctes. D’abord, la demande de renégociation du contrat. A cette phase la victime du changement imprévisible demande à son cocontractant la renégociation du contrat. Cette phrase a néanmoins son utilité puisque la demande marque le point de départ de la procédure de renégociation mise en place par le Code civil.L’article prend le soin de préciser que la partie lésée par le changement imprévisible de circonstances sera tenue de continuer à exécuter ses obligations. Cette précaution a évidemment pour but d’éviter les contestations dilatoires d’un contractant de mauvaise foi. En cas de refus ou d’échec, ces preuves permettront de saisir le juge et d’éviter que ce dernier n’oppose une fin de non-recevoir à sa saisine. Ensuite, au cas où l’une des parties refuse la renégociation ou que l’ensemble des parties ne parviennent pas à trouver un accord, elles peuvent conjointement décider de résoudre le contrat « à la date et aux conditions qu’elles déterminent ». Alternativement, l’article autorise les contractants à demander au juge, d’un commun accord, de le réviser. En tout état de cause, cet accord sur la résolution ou la saisine du juge doit intervenir dans un délai raisonnable. Enfin, la dernière section de l’article 1195 du Code civil reconnaît aux parties le droit de saisir unilatéralement le juge, dès lors que celles-ci ne parviennent pas à se mettre d’accord dans un délai raisonnable sur les conditions de résolution conventionnelle du contrat ou sur la saisine conjointe du juge aux fins d’adaptation de l’accord. Le contractant souhaitant saisir le juge devra donc se constituer les preuves nécessaires que ce délai a été respecté et si possible l’encadrer à l’occasion de ses communications avec son partenaire en lui demandant, par exemple, de se prononcer avant une date déterminée. Dans tous les cas, l’issue de la procédure aboutira soit à une réadaptation conventionnelle soit à une révision ou une résolution/résiliation judiciaire. Cependant, cet instrument juridique connaît une influence limitée sur les relations contractuelles même en cas de pandémie.
II. L’influence limitée de la théorie de l’imprévision en cas de pandémie
En plus d’être limitée sur le terrain de la qualification des évènements(B), l’application de la théorie de l’imprévision souffre par son caractère supplétif de volonté(A)
A- Une application limitée par le caractère supplétif de l’article 1195
L’article 1195 du Code civil ne revêt un caractère supplétif que dans les contrats de gré-à-gré c’est-à-dire les contrats négociés librement entre les parties. Il est exclut des contrats d’adhésion. En témoigne le fait que dans ce type de contrats, le contractant auquel la convention a été imposée (l’adhérent), pourrait invoquer le fait que la clause d’acceptation du risque crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, et que celle-ci doit, en conséquence, être réputée non écrit. L’application de l’imprévision en tant que bouée de sauvetage est ainsi fragilisée ici et par conséquent constitue une limite à l’application de l’article 1195 du code civil. Une telle disposition est par contre surprenant parce quand on lit l’alinéa 2 du projet d’article 1163 du code civil concernant la détermination unilatérale du prix ,il était prévu qu’ : «En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à voir réviser le prix en considération notamment des usages, des prix du marché ou des attentes légitimes des parties, ou à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat». Cela laisse voir que le régime de l’imprévision était envisagé pour les contrats d’adhésion mais à l’arrivée on retrouve L’alinéa 2 de l’article 1164 de l’ordonnance du 10 février 2016 qui dispose qu’:« En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat ».Il est ainsi possible de s’interroger sur les raisons qui ont conduit à une telle exclusion des contrats d’adhésion pour lesquels le risque de la survenance de circonstances imprévisibles au moment de la conclusion du contrat rendant son exécution excessivement onéreuse n’est pas écarté. Concernant le caractère supplétif de l’article 1195 du code civil à proprement parlé, il est établi que les parties à un contrat de gré-à-gré peuvent décider elles-mêmes d’exclure ou d’aménager l’application de la théorie de l’imprévision. Donc l’option de faire ou de ne pas faire jouer la théorie de l’imprévision en cas de circonstances imprévisibles est parfaitement admis dans les contrats de gré à gré . Cela fait que les parties disposent de la capacité d’écarter le régime légal de l’imprévision lors de la rédaction de leurs contrats. Elles sont libres d’exclure totalement ou partiellement la disposition de l’article 1195 du code civil. Elles peuvent d’ailleurs adopter des mécanismes de rééquilibrage mieux articulés et plus efficaces que la théorie de l’imprévision. D’ailleurs, ce réflexe des parties au réaménagement de l’application de l’article1195s’explique par le caractère « flou » de la disposition. En d’autres termes, les conditions d’application du régime légal de l’imprévision sont démesurément floues. Il est en effet exigé, comme nous l’avons déjà vu, que la partie victime d’un évènement démontre son caractère imprévisible et excessivement onéreux. Or, ces deux conditions sont éminemment subjectives et il est certain que les parties se déchireront sur le caractère prévisible ou non d’un évènement, ainsi que sur l’onérosité de l’exécution contractuelle. En cas de désaccord entre elles, c’est au juge qu’il reviendra de trancher le litige, avec le risque potentiel que celui-ci ne s’ingère de manière excessive dans la loi des parties. Cela constitue une limite à l’article 1195 du code civil dont l’application dépend fortement de la volonté des parties à un contrat de gré à gré. En plus de cette limite, l’imprévision est handicapée par la concurrence d’avec le régime de la force majeure dont elle souffre.
B- Une application handicapée par le régime de qualification des évènements survenus
La survenance de circonstances imprévisibles telles que les pandémies ne suffit pas à conclure à une imprévision. Toute circonstance imprévisible n’est pas une imprévisibilité au sens de l’article 1195,il y a la possibilité qu’il s’agit d’imprévisibilité au sens de l’article 1218 du code civil relatif à la force majeure. Comme on le voit, l’imprévision peut donc être évincée par la force majeure lorsque les événements sont qualifiés d’imprévisibles au sens de l’article 1218 du code civil. En effet, Le premier alinéa de l’article 1218 définit la force majeure comme « un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, [qui] empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ». La force majeure est donc instituée pour parer aux situations imprévisibles rendant l’exécution des contrats non pas « simplement » plus difficile ou onéreuse mais la rendant complètement impossible. Par exemple, lorsque le débiteur lui-même touché par une maladie pandémique comme le coronavirus avec des symptômes invalidants, que tous ses collaborateurs le sont, qu’il résulte de mesures de confinement ou autres une désorganisation de sa production le plaçant dans l’impossibilité d’exécuter ses obligations, ou encore parce que les autorités ont prohibé des déplacements indispensables à l’exécution de l’obligation etc. Aussi, l’imprévision est tributaire de la qualification des évènements imprévisibles retenue par les décideurs qui influence potentiellement le jugement du juge. Le ministre français de l’économie Bruno Le Maire a annoncé très tôt que le coronavirus sera « considéré comme un cas de force majeure pour les entreprises ». Par conséquent, en plus des conditions rigides de l’imprévision qui fragilise son incidence en cas de pandémie, l’article 1195 du code civil souffre de la concurrence par le fait que les gouvernants par leur qualification des événements l’évince au profit de la force majeure comme c’est le cas avec l’actuel covid-19. Mais heureusement que les parties ont la possibilité d’organiser comme elles l’entendent la résolution des difficultés d’exécution de leur contrat pour se mettre à l’abri des aléas.
Par :Fabien W KOALA, étudiant en master 2 à l’Université de Limoges en France.