Exploitation et ventes illégales de l’or burkinabé : complicité ou impuissance de l’État ?

Conformément aux résultats des prospections découlant de la cartographie des minéraux de l’Afrique menées en 2014 par la Banque mondiale, le continent noir dispose d’une importante richesse en ressources minières et possèderait une proportion importante de réserves de près de 40% d’or. L’Afrique de l’Ouest est devenue la quatrième région mondiale pour l’or, avec une production de 8 millions d’onces en 2016, selon les chiffres du Conseil mondial du métal jaune. Un tiers des découvertes sont situées au Burkina Faso, devant le Ghana, le Mali et la Côte d’Ivoire. En 2018, selon les données de « Commodity Market soutook » de la Banque Mondiale, avec une production de 44 tonnes en 2018, le Burkina Faso occupait le 6eme rang en Afrique en termes de production d’or derrière le Ghana (1er), le Soudan (2eme), l’Afrique du Sud (3eme), le Mali (4eme) et la Guinée (5eme). Et en 2020, selon OumarouIDANI, ancien ministre des mines et des carrières du Burkina Faso, le pays est classé cinquième pays producteur d’or en Afrique après le Ghana, l’Afrique du Sud, le Soudan du Nord et le Mali[1].Malgré le fait que depuis 2015, le Burkina soit confronté à des défis sécuritaires liés au grand banditisme et au péril terroriste qui font de lui, selon l’indice 2019 du Fonds pour la paix[2] des États fragiles,un des Etats les plus instables et les plus dangereux du monde ;le Burkina Faso a pu dans ce contexte adopter la loi n°028-2017/AN portant organisation de la commercialisation de l’or et des autres substances précieuses au Burkina Faso le 18 mai 2017. Ce pays a également réalisé« la cartographie géologique, le lever géophysique aéroporté, ainsi que la modernisation du cadastre minier»[3].

 En 2018, selon la Chambre des mines du Burkina Faso, l’industrie minière a réalisé un chiffre d’affaires de 1.540 milliards de FCFA. Eten 2020, selon l’Agence d’Information du Gouvernement, le pays a produit 60 tonnes d’or estimées à 2 000 milliards de FCFA contre 50 tonnes d’or en 2019, chiffrées à 1 420 milliards de FCFA. Mais les retombées de ce boom minier se font toujours attendre des couches sociales. Au niveau des collectivités locales, celles-ci peinent à recouvrer les fonds miniers de développement local[4]qui devraient approvisionner leurs budgets locaux et que doivent leur reverser l’Etat central et les sociétés minières[5]. Au niveau de l’Etat central, les importantes exonérations et exemptions[6],ainsi que les garanties[7] accordées aux compagnies minières par la fiscalité minière, corollaires des politiques attractives de captation des investissements étrangers et de la doctrine Sarraut, entrainent des déperditions de recettes fiscales. C’est une véritable opportunité de développement socio-économique pour la nation que l’Etat burkinabé semble« laisser filer entre ses doigts».Entre dénonciation de scandales permanents de corruption et de conflits d’intérêts, l’industrie minière burkinabé doit progressivement opérer sa mue face aux fléaux qui la minent, afin de placer le pays dans une dynamique résolue pour en faire de sa rente minière, le pilier de sa politique en matière de développement tel que préconisé par la Vision minière africaine.

La présente réflexion se propose de faire une analyse sur un autre fléau qui mine ce secteur extractif en l’occurrence,l’exploitation et la vente illégales de l’or. La question fondamentale est la suivante : L’État Burkinabé est-il complice ou impuissant face au phénomène d’exploitation et de ventes illégales de l’or dans le pays ?

Des conclusions tirées du rapport de la Commission d’enquête du Parlement burkinabé sur la gestion des titres miniers et la responsabilité sociale des entreprises minières au Burkina Faso de septembre 2016, il ressort que la fraude de l’or est plus perceptible dans l’exploitation artisanale. Cette situation est encouragée par le coût relativement bas de rachat de l’or produit par les orpailleurs ; parle rachat de l’or au-delà du cours mondial par certains comptoirs fictifs ou non, et par l’irrégularité et l’ambiguïté des comptoirs d’achat, de vente et d’exportation de l’or. De l’analyse des documents du Comptoir burkinabè des métaux précieux, des informations données par le Bureau des mines et de la géologie du Burkina Faso et des études menées par différents acteurs, la fraude pourrait se situer entre 15 et 30 tonnes d’or/an. Ainsi de 2006 à 2015, plus de 300 milliards FCFA/an se seraient évaporés au détriment du Trésor public. En 2014, l’ONG Public Eye dénonçait l’importation en Suisse de plusieurs tonnes d’or du Togo, pays n’ayant pourtant pas de mines industrielles sur son territoire[8].

Par ailleurs, selon le rapport intitulé « L’eldorado ouest- africain, cartographie du commerce illicite de l’or en Côte d’Ivoire, Mali et Burkina Faso » publié par le Partenariat Afrique Canada (PAC) en janvier 2017, le secteur de l’or artisanal emploie environ trois millions de mineurs artisans en Côte d’Ivoire, au Mali et au Burkina Faso. Pour le PAC, l’estimation de ce commerce illégal d’or reste inconnue et contribue à la criminalité transnationale organisée. La persistance de trafic illicite d’or est symptomatique de la faiblesse de la gouvernance au niveau du secteur extractif qui laisse penser à une certaine complicité au sommet de l’Etat.

Aussi, les groupes armés terroristes financent désormais leurs activités criminelles par l’exploitation et la vente sur le marché noir, des ressources minières des zones où ils se sont établis. En effet, selon un rapport en date du 22 juin 2020 de l’Observatoire pour la Démocratie et les Droits de l’Homme(ODDH), les groupes terroristes, en particulier : « l’Etat Islamique dans le Grand Sahara (EIGS) mène ses activités dans la région de l’Est, à cheval entre le Niger et le Burkina où il contrôle la quasi-totalité des sites d’or de la zone»[9]. Le Burkina Faso faisant face en ce moment au péril terroriste dont l’impact sur l’intégrité physique de la personne humaine et sur son économie, est désastreux. Malgré les efforts déployés par le pays et par la coopération transfrontalière en matière de lutte contre le terrorisme, l’Etat burkinabé n’arrive pas à empêcher ces groupes armés terroristes d’extraire et de commercialiser illégalement cet or. Cette impuissance de l’Etat lui prive d’une partie de sa rente minière qui pourrait lui permettre d’assoir inéluctablement les bases de son développement économique.

Le développement économique impliquant la création de richesses, le progrès, l’amélioration du niveau de vie des habitants. On parle alors d’amélioration du bien-être social au sens économique du terme. La volonté de concilier développement économique et amélioration du bien-être à amener à la formulation de l’Indice de Développement Humain (IDH), qui prend en compte la santé, l’éducation, le respect des droits de l’homme dont les droits économiques et sociaux reconnus par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 et son protocole facultatif de 2008; les articles 15 et 18 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée en 1981 ; et l’article 14 et suivants de la Constitution du 11 juin 1991 du Burkina Faso.

Dans une perspective de développement durable, l’Etat burkinabé devrait efficacement et souverainement réguler son secteur minier, non pas au sens wébérien du terme, mais par l’observation du principe de légalité. « Juridiquement, la souveraineté apparaît comme une propriété d’un système normatif, comme quelque chose qui caractérise le système et non ses destinataires, mais aussi quelque chose que ce système peut conférer ou retirer, quelque chose dont dispose le système en tant que tel (dès la fin du XVIe siècle, Bodin – 1530-1596 – fait de la souveraineté un trait de la « République », cf. Les six livres de la République – 1576). Et ce système n’est autre chose que l’État ou l’ordre juridique lui-même. »[10].En Droit de l’environnement, « le principe du développement durable est un mode de développement soucieux d’éviter l’exploitation excessive des ressources naturelles, visant à satisfaire les besoins et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. »[11].

Urbain BAMA,

Juriste-Fiscaliste

Master II spécialité Droit International et Européen des Droits Fondamentaux

Spécialiste en droit minier et des hydrocarbures en Afrique

Consultant juridique.

Email : bamaurbain@yahoo.fr.

 

*Cet écrit est extrait en partie de mon projet professionnel pour l’obtention du certificat en droit minier et des hydrocarbures en Afrique dispensé par l’Institut Québécois des Affaires Internationales(IQAI)/CANADA portant sur le thème : « Boom minier au Burkina Faso : une opportunité de développement socio-économique pour le pays. ».

Recherche professionnelle effectuée sous la direction de :

Monsieur Robinson TCHAPMEGNI, Docteur en droit privé et sciences criminelles de l’Université de Nantes (France), HDR en droit de l’Université de Nantes (France), Directeur du programme de recherche sur la gouvernance des ressources naturelles et l’énergie en Afrique IQAI (Québec, Canada) ;

et de Monsieur ABANDA AMANYAMaginot, Docteur en droit privé et sciences criminelles de l’Université de Yaoundé II -SOA (Cameroun).

[1]https://lefaso.net/spip.php?article99247

[2]DIAKONIA, Étude de référence sur les phases fragiles du cycle électoral et identification des moments et zones crisogènes, programme d’appui au processus électoral (PAPE), 2020, p.7

[3]Présidence du Faso, Lettre aux Burkinabé, Les cahiers de la Présidence du Faso – Hors-série -, Juillet 2018, p.27

[4]Décret N°2017-0024/PRES/PM/MEMC/MINEFI/MATDSI portant organisation, fonctionnement et modalités de perception du Fonds minier de développement local du 23 janvier 2017

[5]Articles 25 et 26 de la loi n°036-2015/CNT du 16 juin 2015 portant Code minier du Burkina Faso promulguée par décret N°2015-885/PRES-TRANS du 16 juillet 2015.

[6]Articles 147 à 178 du Code minier burkinabé de 2015

[7]Article 30 de la loi n° 62-95-ADP du 14 décembre 1995 portant Code des investissements(modifiée par la loi n°1997-15 du 17 avril 1997, la loi de finance de 2009, la loi n°2010-07 du 29 janvier 2010 et la loi de finances pour 2013 et son décret d’application n°2010-524/PRES/PM/MCPEA/MEF du 17 septembre 2010)  au Burkina Faso ; Loi n°025- 2012/AN du 04 juin 2012 portant institution d’un régime fiscal et douanier spécial applicable aux conventions d’investissement signées avec l’Etat dans le cadre de la mise en œuvre de la Stratégie de la croissance accélérée et de développement durable adoptée par décret n°2011- 141/PRES/PM/MEF du 24 mars 2011.

[8]Bohbot (J), L’orpaillage au Burkina Faso : une aubaine économique pour les populations, aux conséquences sociales et environnementales mal maîtrisées, 2017. Lien : https://journals.openedition.org/echogeo/15150

[9]Observatoire pour la démocratie et les droits de l’homme (ODDH), « Burkina Faso, Risque d’un nouveau Rwanda ? Bilan de la Violence au Burkina Faso, 04 avril 2015 – 31 mai 2020 », Ouagadougou, 22 juin 2020. p.12. Lien : https://netafrique.net/observatoire-pour-la-democratie-et-les-droits-de-lhomme-burkina-faso-risque-dun-nouveau-rwanda/

[10]Professeurs Favoreu(L)- Gaïa (P)-Ghevontian (R)-Mestre (J-L) -Pfersmann (O)-Roux(A)-Scoffoni (G), Droit constitutionnel,21è édition, Éd. DALLOZ-2018, Paris,2019, p.47

[11]Guinchard (S)-Debard (T) (Dir.), Lexique des termes juridiques, Paris, Éd. DALLOZ, 25è édition 2017-2018, p.743.

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