ET LE PERIPLE JUDICIAIRE DE SAIF AL ISLAM SUIT SON COURS DEVANT LA CPI !

Le vent du printemps arabe qui a soufflé sur la Libye à partir du 25 février 2011 a sans nul doute laissé des marques indélébiles qui jusqu’aujourd’hui continuent de secouer l’environnement judiciaire tant au niveau local libyen qu’international. En effet, après la révolte populaire en Libye contre le régime du guide Mouammar Kadhafi, qui a débouché sur la mort de celui-ci une enquête internationale avait été diligentée par la Cour pénale international sur requête du Conseil de sécurité. A l’issue de cette enquête, des poursuites ont été engagées à l’encontre d’un des fils du guide libyen, en la personne de Saïf al-Islam. Celui-ci est poursuivi pour crime contre l’humanité caractérisé par des meurtres et des persécutions. Notons que les meurtres et les persécutions en tant qu’éléments constitutifs de crime contre l’humanité relèvent de la compétence de la Cour pénale internationale en vertu de l’article 7 du statut de Rome. Arrêté en novembre de la même année par les groupes armés du sud libyen, Saif Al-Islam sera en 2017 transféré à la Haye suite au mandat émis à son encontre par le procureur de la CPI.Mais cette odyssée judiciaire va connaitre un regain d’intérêt car alors que tout semblait presqu’évident pour l’accusation, la défense de M Saïf Al-Islam va formuler une requête faisant état d’une exception d’irrecevabilité ,laquelle soutient que la cour ne peut exercer sa compétence sur monsieur Saif au motif que celui-ci avait déjà été jugé par un tribunal de Tripoli sur les mêmes faits par un jugement en date du 28 juillet 2015.Elle estimait donc que attraire monsieur Saif devant la cour est une entorse au principe de droit pénal non bis in idem qui veut qu’une personne ayant déjà été jugée définitivement ne puisse plus être poursuivie de nouveau pour les mêmes faits. Toutefois, aussi bien la chambre préliminaire I que la chambre d’appel ne souscrira à cette exception d’irrecevabilité.
Qu’a été le raisonnement des deux chambres sur la question ? Autrement dit qu’est-ce qui justifie l’impertinence de l’exception soulevée par la défense ?
D’abord, retenons que les dispositions du statut de Rome  en l’occurrence son article premier donne à la cour compétence en tant qu’institution permanente de poursuivre des personnes pour des crimes les plus graves ayant une portée internationale. Il s’agit des crimes énumérés à l’article 5 du statut de Rome, en l’occurrence le crime contre l’humanité, le crime de guerre et le crime de génocide. La cour ne peut donc être compétente que si le prévenu est vu comme auteur d’un de ces crimes. En l’espèce Saif est poursuivi pour crime contre l’humanité. Quoiqu’il s’agit d’un crime contre l’humanité ou un crime de guerre encore faut-il que l’affaire engagée soit recevable devant la Cour. Cela parce qu’une affaire peut bien relever de la compétence de la Cour sans que celle-ci ne puisse exercer sa compétence.Dans ce cas précis on parle d’irrecevabilité de l’affaire devant la Cour .Se pose donc la question de savoir si l’affaire Saif Al-Islam est recevable devant la cour ?C’est en répondant à cette question que la chambre préliminaire et la chambre d’appel ont conclu au rejet de l’exception soulevée par la défense et par ricochet confirmé  la recevabilité de l’affaire. Quelles furent donc les motivations de ces chambres ?
Il ressort de l’arrêt de la Chambre d’appel que l’une des raisons d’irrecevabilité devant la cour est en lien avec l’exercice par les juridictions nationales de leur compétence vis-à-vis des crimes énumérés à l’article 5 du statut de la Cour .Etant complémentaire aux juridictions nationales ,la Cour ne peut exercer sa compétence à l’égard d’une personne quoiqu’elle ait commis des crimes relevant de sa compétence s’il se trouve que cette personne a été poursuivie et condamnée pour les mêmes chefs d’accusation .Cela met donc à l’évidence le caractère non exclusif de la CPI à l’égard des crimes relevant de sa compétence.
En l’espèce, il ressort de la décision de la chambre d’appel de la Cour pénale, après analyse de la requête en irrecevabilité de la partie demanderesse que les articles 17 (1) (c) et 20 (3) auxquelles font allusion ladite requête ne se trouvent en aucun cas violés. Disposition relative à la recevabilité d’une affaire devant la Cour, l’article 17 évoque essentiellement quatre raisons pouvant justifier l’irrecevabilité d’une affaire devant la Cour. En effet, Il ressort de l’article 17 qu’une affaire n’est jugée irrecevable par la Cour que lorsque :
-a)L’affaire fait l’objet d’une enquête ou de poursuites de la part d’un État ayant compétence en l’espèce, à moins que cet État n’ait pas la volonté ou soit dans l’incapacité de mener véritablement à bien l’enquête ou les poursuites ;
– b) L’affaire a fait l’objet d’une enquête de la part d’un État ayant compétence en l’espèce et que cet État a décidé de ne pas poursuivre la personne concernée, à moins que cette décision ne soit l’effet du manque de volonté ou de l’incapacité de l’État de mener véritablement à bien des poursuites ;
– c) La personne concernée a déjà été jugée pour le comportement faisant l’objet de la plainte, et qu’elle ne peut être jugée par la Cour en vertu de l’article 20, paragraphe 3 ou
– d) L’affaire n’est pas suffisamment grave pour que la Cour y donne suite.
En complément de l’article 17 lettre c, l’article 20 précise que sauf disposition contraire du présent Statut, nul ne peut être jugé par la Cour pour des actes constitutifs de crimes dans les cas suivants :
– La personne concernée a été jugée par une autre juridiction pour un crime visé à l’article 5 pour lequel il a déjà été condamné ou acquitté par la Cour.
– La personne concernée a été jugé par une autre juridiction pour un comportement tombant aussi sous le coup des articles 6, 7, 8 ou 8 bis, à moins que la Cour juge que la procédure devant l’autre juridiction : avait pour but de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale pour des crimes relevant de la compétence de la Cour ou qu’elle n’’a pas été au demeurant menée de manière indépendante ou impartiale, dans le respect des garanties d’un procès équitable prévues par le droit international, mais d’une manière qui, dans les circonstances, était incompatible avec l’intention de traduire l’intéressé en justice.
Répondant à la question de savoir si l’affaire est irrecevable devant elle sur le fondement de l’article 17 lettre c, la cour répond par la négative. Elle justifie cette position par le fait que non seulement la décision du 28 juillet 2015 du tribunal de Tripoli a été rendue en l’absence de Saïf Al-Islam donc par contumace mais aussi parce que cette décision n’était pas définitive parce que les requérants pouvaient toujours faire appel du jugement en première instance. Par conséquent, la requête en irrecevabilité ne saurait être regardée comme inscrite dans la logique des articles 17 (1) (C) et 20 (3) pour que la cour se déclare incompétente. Autrement dit l’application du principe susmentionné n’est pas automatique, ce n’est pas parce qu’un jugement a été rendu par une juridiction nationale que la cour serait ipso facto devenue incompétente .En effet, il faut que certaines conditions soit remplies, la plus évidente est que la décision doit être devenue définitive, c’est-à-dire insusceptible d’appel. Il faut une certaine régularité et une certaine rigueur dans la procédure suivie .Dans cette logique, il va sans dire que si la décision a été rendue dans le seul but de satisfaire l’opinion, la cour ne saurait être liée. Cela explique donc que les deux chambres aient rejeté l’exception d’irrecevabilité soulevée par Saif Al Islam.
En rappel, l’affaire Saif Al Islam est née de la situation en Libye déférée au Procureur de la CPI. En effet, par sa Résolution 1970, le Conseil de sécurité des Nations Unies à l’unanimité de ses membres demandait au procureur de la CPI d’ouvrir une enquête sur la situation en Lybie. C’est ainsi que le 3 mars 2011, le Procureur annonçait l’ouverture d’une enquête dans la situation en Libye. Cette enquête se solda par l’émission de trois mandats d’arrêt contre Mouammar Mohammed Abu Minyar Gaddafi, Saif Al-Islam Gaddafi et Abdullah Al-Senussi pour des crimes contre l’humanité (meurtre et persécution) qui auraient été commis en Libye du 15 jusqu’au 28 février 2011. Toutefois, en raison de la mort de Mouammar Mohammed Abu Minbar Gaddafi, l’affaire contre celui-ci fut clôturée sur ordre de la chambre originaire I de la cour. Notons que la chambre préliminaire I tout comme la chambre d’appel a à l’égard de Abdullah Al-Senussi conclu à l’irrecevabilité de l’affaire contre celui-ci devant la cour au motif qu’ elle faisait l’objet d’une enquête nationale par les autorités libyennes compétentes et qu’en plus ce pays avait la volonté et était capable de mener véritablement à bien cette enquête.

Par OUEDRAOGO Ulrich Ascension, stagiaire

Gildas TARAMA, rédacteur en chef adjoint.
La rédaction

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