De la légalité du sit-in en droit burkinabè

Du travail forcé où les travailleurs perdaient toute dignité, au travail règlementé par le droit aujourd’hui, le travailleur a engrangé des droits au fil des luttes. Ces luttes que nous connaissons aujourd’hui, s’organisent autour de ce que l’on appelle « grève ». En effet, la grève est devenue un outil essentiel pour le travailleur dans le cadre de ses revendications. Longtemps interdite, la grève est devenue une liberté publique garantie de nos jours par la majorité des constitutions des États. Par exemple, la Constitution Burkinabé du 11 juin 1991 reconnait à chacun le droit de travailler dans les meilleures conditions possibles. Pour cela elle oblige l’État à veiller « à l’amélioration constante des conditions de travail et à la protection des travailleurs »¹. Lorsque ces conditions font défaut les travailleurs doivent pouvoir les réclamer. Ces réclamations passent souvent par l’arrêt collectif du travail.
Dans cette logique, la Constitution, norme suprême de l’État reconnait en son article 22 le droit de grève pour tout travailleur en ces termes « Le droit de grève est garanti. Il s’exerce conformément aux lois en vigueur ». Ainsi, elle laisse au législateur le soin d’encadrer l’exercice du droit de grève. Le législateur a choisi de régir les deux secteurs d’activité que sont le secteur privé et le secteur public respectivement par le Code du travail de 2008 et la loi n0 45-60 AN du 25 juin 1960 portant réglementation du droit de grève des fonctionnaires et agents de l’État. Si le Code du travail est assez développé sur le sujet, la loi de 1960 donne peu d’indication, ne définissant donc pas la grève et ne prévoyant pas certaines situations pourtant très souvent rencontrés dans les grèves des agents publics : C’est le cas du sit-in. Défaillance du législateur ou ingéniosité des travailleurs ?
Il est important pour aborder avec lucidité la question du sit-in de trouver la définition que le législateur donne de la grève. À défaut de pouvoir même se référer au Statut général de la fonction publique qui lui aussi est muet quant à la définition de la grève, ne se bornant qu’à indiquer que le droit de grève est reconnu au fonctionnaire qui l’exerce dans le cadre législatif en vigueur ; nous nous donnerons comme référence en la matière la définition de la grève telle que prévue par le Code de travail de 2008. La grève y est définie comme « une cessation concertée et collective du travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles et d’assurer la défense des intérêts matériels ou moraux des travailleurs »². L’objectif principal d’une grève est de porter un préjudice à la production de l’entreprise, privée comme publique, pour obliger l’employeur ou l’État à satisfaire les revendications professionnelles des travailleurs. Ainsi, si le législateur ne définit pas avec rigueur les modalités de grève, cela laisse la latitude aux travailleurs de définir leurs moyens de lutte.
Partant du principe que ce qui n’est pas interdit par la loi est permis, les travailleurs peuvent user de sit-in comme forme de grève, dès lors que ce sit-in est pacifique et n’entrave pas le droit des travailleurs non-grévistes. Le sit-in comme forme de grève est connu comme étant un type de manifestation caractérisé par la position assise de ses participants. Il consiste à occuper un espace public, un édifice public ou un établissement privé et à y demeurer pendant un temps déterminé ou le plus longtemps possible jusqu’à évacuation contrainte. La grève deviendrait abusive si les grévistes bloquent par leur sit-in l’accès au lieu de travail ou encore troublent le travail des autres. Vu que la loi de 1960 est muette sur l’occupation du lieu de travail dans le secteur public, le législateur de 2008 l’interdit dans le secteur privé. Cette interdiction nous semble constituée une entrave au droit de grève des travailleurs de ce secteur. C’est d’ailleurs ce que pense la commission des experts pour l’application des conventions et recommandations de l’Organisation International du Travail (OIT). Sur une demande du Burkina Faso en date du 08 aout 2014 par l’ex ministre de la fonction publique, du travail et de la sécurité sociale sur la « légalité du sit-in », cette commission avait jugé contraire à l’exercice normal du droit de grève, l’interdiction d’occuper les lieux du travail. Les experts dans leurs commentaires sur l’application de la convention n087 de 1948 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, avaient interpellé les autorités burkinabés sur la nécessité de modifier l’article 386 du Code du travail pour supprimer « l’interdiction d’occuper les lieux de travail ou leurs abords immédiats, sous peine de sanction pénale. »Mais aussi bien pour le privé que pour le public. Il a été précisé dans cet avis que : « La commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations a observé que les mouvements de grève s’accompagnent souvent de la présence, à l’entrée des lieux de travail, de piquets de grève destinés à assurer le succès de l’action en persuadant les travailleurs concernés de ne pas travailler…tant que la grève reste pacifique, les piquets de grève et l’occupation des locaux devraient être permis. Les limitations aux piquets de grève et à l’occupation des locaux ne peuvent être acceptées que si les actions perdent leur caractère pacifique. Il est cependant nécessaire dans tous les cas de garantir le respect de la liberté des non-grévistes…. »
On peut aisément estimer que comme le droit de grève est un droit garanti, il n’appartient pas au juge de dire si son exercice est illégal, le juge peut seulement apprécier si l’exercice du droit de grève est conforme aux règles en vigueur et dans le cas contraire, il déclarera l’exercice non pas illégal mais abusif ou irrégulier. Mais le caractère obsolète du cadre législatif burkinabé en matière du droit de grève laisse une grande liberté d’appréciation au juge, le conduisant ainsi à apprécier la légalité de la grève et sa légitimité. C’est ce qu’a fait le juge administratif au Burkina Faso. Sur demande du Ministre de la fonction publique, du travail et de la protection sociale par lettre n02018-087/MFPTPS/cab du 04 avril 2018 le Conseil d’État a émis un avis sur les cessations irrégulières de travail communément appelés sit-in. Le Conseil d’État, se prononçant sur l’avis demandé a déclaré que : « Le mot « sit-in », d’origine anglaise signifiant « s’asseoir sur » est défini dans le dictionnaire le petit Larousse illustré comme étant « une manifestation non violente consistant à s’asseoir en groupe sur la voie publique ». Cette notion telle que définie, ne figure pas dans notre législation nationale. En effet, seule la grève, définie comme étant une cessation concertée du travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles et d’assurer la défense des intérêts matériels et moraux des travailleurs, est reconnue aussi bien dans le statut général de la fonction publique d’État (article 70) que dans le code du travail. De ce qui précède, il s’ensuit que le « sit-in » n’est pas légal au Burkina Faso et que les agents qui s’adonnent à ces pratiques sont dans l’illégalité totale, et commettent une faute passible de sanction disciplinaire dont le quantum est laissé à l’appréciation du supérieur hiérarchique des agents concernés »
Ce raisonnement est critiquable car si le sit-in est absent dans le corpus juridique burkinabé, la conséquence logique nous ramène au fait que ce qui n’est pas interdit par la loi ne peut être empêché ou du moins est permis (article 5.1 de la Constitution).
Mais en réalité ce qui est assez critiquable est que le Conseil ait apprécié la légalité du Sit-in en dehors de l’exercice du droit de grève. L’exercice du droit de grève peut se faire dans la violence, mais on dira dans ce cas que la grève est irrégulière, voire abusive, mais on ne pourra pas apprécier ces violences en dehors de l’exercice du droit de grève. Nous pensons que l’appréciation de la légalité du Sit-in devait se faire suivant les conditions d’exercice du droit de grève telles que prévues par le droit positif. Si dans le cadre de cette opération on se rend compte qu’une condition ou une formalité exigée pour l’exercice du droit de grève fait défaut alors on pourra conclure à l’irrégularité du Sit-in, à moins que l’on parle d’autre chose que la grève. L’une des conditions déterminant de la définition de la grève est sans aucun doute l’arrêt effectif, concerté et collectif. Dès lors, le juge aurait dû se demander si le Sit-in connait un arrêt concerté et collectif du travail. À défaut, il n’y a pas de grève donc seront illégales les actions entreprises dans ce cadre-là. Le Sit-in tel que défini par le CE en s’inspirant de la définition du Larousse montre qu’un arrêt de travail se constaterait dans ce cadre-là. Ce qui en revanche ne se constaterait pas aussi facilement dans « les mouvements d’humeurs »
Si le sit-in est alors une manifestation utilisée par les grévistes pour donner un écho à leur grève, le juge devait user du droit commun pour apprécier son exercice. En effet au Burkina Faso, c’est la loi n° 22/97/II/AN du 21 octobre 1997 portant liberté de réunion et de manifestation sur la voie publique qui encadre les manifestations en général. L’article 1 de cette loi indique que « les réunions et les manifestations sur la voie publique sont libres au Burkina Faso ». La manifestation devient illicite lorsque les organisateurs n’ont pas pris la précaution d’en faire la déclaration à l’autorité administrative compétente dans les conditions fixées par la loi (article 10). La loi n’ayant pas donné de définition à la manifestation, on peut pour éclaircissement emprunter la définition à la doctrine internationale et à la jurisprudence française. Certains auteurs tel que André DECOQ, Jean MONTREUIL et Jacques BUISSON dans leur ouvrage intitulé ‘’Le droit de la police’’, 1998, à la page 434, définissent la manifestation comme : « le fait, pour un certain nombre de personnes, d’user de la voie publique, soit de façon itinérante, soit de façon statique, afin d’exprimer collectivement et publiquement par leur présence, leur nombre, leur attitude, leurs cris, une opinion ou une volonté commune ». Pour la Cour de cassation française, ‘’crim.9 février 2016’’, constitue une manifestation, « Tout rassemblement statique ou mobile sur la voie publique, d’un groupe organisé de personnes aux fins d’exprimer collectivement et publiquement une opinion ou une volonté commune »Le droit de manifester est également garanti par la déclaration universelle des droits de l’homme, dont l’article 20 prévoit que « toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifique ». Cet article a été complété par l’article 21 du pacte international relatif aux droits civils et politiques qui indique que « le droit de réunion pacifique est reconnu » et que son exercice ne peut faire l’objet que des seules restrictions imposées par la loi. Mais qu’est-ce qu’une réunion publique ? On peut puiser la réponse à cette question dans la définition donnée par la résolution 15/21 de l’ONU reconnaissant l’importance du droit de réunion pour la réalisation des autres droits civils et politiques et composante de la démocratie. Selon cette résolution, il faut entendre par réunion publique, « un rassemblement intentionnel et temporaire dans un espace privé ou public à des fins spécifiques, qui peut prendre la forme de manifestation, d’un meeting, d’une grève, d’un défilé, d’un rassemblement ou d’un sit-in, avec pour objectif d’exprimer des griefs ou des aspirations ou de célébrer des évènements »
Avec cette succession de définitions, on finit bien par comprendre que le sit-in est une forme de réunion publique pacifique ou une forme de manifestation et comme aucune loi n’en traite spécifiquement au Burkina Faso on peut donc lui appliquer la loi du 21 octobre 1997. Aussi, le juge ne devrait donc pas considérer, au vu des engagements internationaux du Burkina Faso (convention n087 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical du 17 juin 1948 ratifiée le 21 novembre 1960 et le pacte international sur les droit civils et politiques ratifiée le 4 janvier 1999) que le sit-in est illégal.
En l’absence d’une décision contentieuse du Conseil d’État, le sit-in devient dès lors une « liberté innommée » qui est toujours utilisée par les syndicats (on peut citer le sit-in récent du 25/09/2018 d’un groupe d’enseignants au Burkina Faso).
Mais sous réserve d’un revirement jurisprudentiel, il faut retenir que le sit-in est illégal en droit burkinabé. Cela parce que le juge en a décidé ainsi, or seul lui son interprétation vaut en la matière.

Par : NOMBRE David Adnan
La rédaction
Revue Juridique du Faso

¹ Article 20 de la Constitution.
² Article 382.

Sources :
-La Constitution Burkinabè du 11juin 1991
– Le Code du travail burkinabé de 2008
– La loi n0 45-60 AN du 25 juin 1960
-La convention n087 sur la liberté syndicale
– La loi n0 22/97/II/AN du 21 octobre 1997 portant liberté de réunion et de manifestation sur la voie publique
– Avis technique du Bureau International du Travail sur la légalité du sit-in (réponse par correspondance n0 TUR 1-6 105 du 22 octobre 2014)
– L’avis juridique n0 04/2017-2018 du Conseil d’État

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