Auteurs: OUEDRAOGO Barthélemy et SAGNON Abou
Sommaire
Introduction
I. LA POSITION EN FAVEUR DE LA NON-PARTICIPATION DES CANDIDATS DECLARES INELIGIBLES
A- La dénégation de la décision du juge constitutionnel
B- Le désir de voir sanctionner les soutiens politiques à un changement anticonstitutionnel
II. LA CONTESTATION DES DECISIONS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
A- La mauvaise interprétation de certaines dispositions du code électoral
B- La violation du droit d’éligibilité
Conclusion
Bibliographie indicative
Introduction
L’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 au Burkina Faso s’est soldée par la démission du Chef de l’Etat Blaise COMPAORE. Cet acte concrétisa ainsi la chute du plus long régime que le Burkina Faso ait connu. Après des tractations avec les militaires qui s’étaient emparés du pouvoir après le départ de Blaise COMPAORE, une transition politique a été mise en place. Cette transition avec une durée de vie d’une année avait pour mission principale l’organisation des élections présidentielle et législative couplées. Ces élections devaient aboutir à la mise en place des nouvelles autorités élues pour une vie démocratique normale. Pour pouvoir prendre part à ces échéances électorales, les potentiels candidats devraient voir leur candidature validée par le Conseil constitutionnel, autorité compétente en la matière. C’est dans le cadre de cette mission que le Conseil constitutionnel sous la transition a rejeté certaines candidatures à travers un certain nombre de décisions. Le contexte sociopolitique dans lequel ces décisions ont été prises a fait l’objet de polémiques d’où notre sujet : Controverse sur les décisions du juge constitutionnel de la transition burkinabè. Le développement d’un tel sujet nécessite la définition de ses termes clés que sont « controverse » et « décisions ». On peut définir la controverse comme une polémique, une divergence d’opinions, de points de vue ou d’interprétations sur un sujet, une question donnée. Dans le cas d’espèce on dira qu’il s’agit des interprétations divergentes ou la polémique sur les décisions de rejet de candidature que le Conseil Constitutionnel a rendues à l’époque. Quant à la décision, c’est un terme polysémique. Pour ce qui concerne notre travail afin de ne pas quitter son cadre nous retiendrons une définition du terme tirée du lexique des termes juridiques. Aux termes du lexique, la décision est un« terme général utilisé en procédure pour désigner les actes émanant d’une juridiction collégiale ou d’un magistrat unique ». La décision est connue généralement par son caractère obligatoire et exécutoire. Les décisions du Conseil Constitutionnel burkinabè ne sont pas en reste de ce caractère auquel vient s’ajouter l’absence du double degré de juridiction devant celui-ci. Ce sujet démontre son importance avec l’animation du débat politico-juridique au Burkina Faso permettant de découvrir les différentes positions par rapport à cette question. Cette possibilité d’avoir des positions différentes peut inciter le juge constitutionnel à mieux argumenter ses décisions. A l’instar des Etats ayant opté pour la démocratie, le Burkina Faso organise depuis l’avènement du renouveau démocratique dans les années 1990, des élections régulières et ouvertes. Les plus attendues sont les élections présidentielle et législative qui ont une dimension nationale. Les personnes pouvant prendre part à ces élections doivent respecter un certain nombre de
conditions prévues par la Constitution et le code électoral sous peine d’inéligibilité. Le Conseil Constitutionnel chargé de déclarer inéligible tout candidat qui ne remplirait pas ces conditions, doit appliquer toute la législation en la matière y compris la législation communautaire. Cependant sous la transition,il a rendu des décisions d’inéligibilité de certains candidats alors que dans la décision n°ECW/CCJ/JUG/16/15 de la Cour de justice de la CEDEAO sur la requête introduite par le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP) et autres, la Cour avait décidé de la levée de tout obstacle par l’Etat burkinabè pour une participation libre à ces élections. Ce fait va entrainer de vives controverses, synonymes de non satisfaction par rapport aux décisions du Conseil Constitutionnel burkinabè. Ce débat pose le problème de l’exclusion de certaines personnes et de certains partis des élections. Ainsi, quel est le fondement de la controverse sur les décisions du juge constitutionnel pendant la transition burkinabè ? En réalité, cette controverse nous conduit à analyser d’une part la position de la partie en faveur de la non-participation des candidats et partis exclus par le code électoral (I) et d’autre part les arguments contestataires de la décision du juge constitutionnel (II).
I. LA POSITION EN FAVEUR DE LA NON-PARTICIPATION DES CANDIDATS DÉCLARÉS INÉLIGIBLES
Les arguments avancés par les tenants de l’exclusion des personnes ou partis ayant soutenu le projet de Blaise COMPAORE de modifier la Constitution sont d’ordre juridique et proviennent du Conseil constitutionnel. Il s’agit pour le conseil de respecter strictement le code électoral (A) avec une volonté ferme de voir sanctionner les soutiens aux changements anticonstitutionnels de régimes (B).
A- La dénégation de la décision du juge constitutionnel
Dans cette affaire, le Conseil constitutionnel burkinabè se limitant au strict respect de la loi électorale refuse de tirer les conséquences de droit attachées à la décision rendue par la CJ/CEDEAO. Il refuse donc le dialogue des juges (1) et par conséquent applique le code électoral faute de mesures de réception par les autorités internes de l’arrêt de la CJ/CEDEAO (2).
1-Le refus du dialogue des juges par le Conseil Constitutionnel
L’expression « dialogue des juges » est attribuée à Bruno GENEVOIS, ancien président de la section du contentieux du Conseil d’Etat, qui, dans ses conclusions sur l’arrêt Cohn Bendit du 22 décembre 1978 aurait affirmé qu’entre le juge communautaire et le juge national, il ne devrait y avoir place « ni pour le gouvernement des juges, ni pour la guerre des juges, mais pour le dialogue des juges ». Le dialogue des juges désigne la collaboration et l’écoute des juges issus de différents niveaux de juridictions. Il s’opère pour l’essentiel entre, d’une part, le niveau communautaire et, d’autre part, les juridictions nationales. Il signifierait concrètement que le juge constitutionnel burkinabè devrait respecter le verdict du juge communautaire qui était celui de lever toute barrière à la libre participation aux élections. Il s’agit là d’une obligation (positive) de comportement qui incombait au juge burkinabè. Cette obligation découlerait du fait que dans le cadre du droit communautaire les décisions de la Cour de Justice s’imposent aux organes de l’Etat et par ricochet au Conseil Constitutionnel. Le Burkina Faso s’étant engagé volontairement au traité CEDEAO, ce refus d’exécuter la décision du juge communautaire pourrait être constitutif d’un fait internationalement illicite, exposant ainsi l’Etat du Burkina à des sanctions. En réalité, ce qui emmène le juge constitutionnel burkinabè à rejeter l’arrêt de CJ/CEDEAO est la non révision du code électoral (2).
2- La non révision du code après la décision de la Cour de Justice de la CEADEAO
Le refus du juge constitutionnel burkinabè de se soumettre à la CJ/CEDEAO, est motivé par la non révision du code électoral. En effet, celui-ci déclare que : « considérant que l’État du Burkina Faso n’a pas mis en œuvre la décision du 13 juillet 2015 de la Cour de Justice de la CEDEAO; que par conséquent l’article 166 du Code électoral est une disposition qui reste en vigueur ». En motivant ainsi, le juge burkinabè n’était pas en train de contester le fond de la décision des juges communautaires mais estime que son rôle est l’application du droit interne comme l’a édicté les autorités compétentes. Il appartenait donc à l’Etat burkinabè (le Conseil National de la Transition) de modifier le code électoral pour se conformer à la décision de la CJ/CEDEAO, faute de quoi il appliquerait le code électoral en vigueur.
Comme l’a relevé docteur YakoubaOUEDRAOGO , cette position de la Cour constitutionnel parait contestable à deux niveaux qui ne s’excluent pas. En effet, elle semble ignorer d’une part que l’article 155 de la Constitution du 02 juin 1991 institue un système moniste et non dualiste au Burkina Faso. D’autre part, les arrêts de la CJ/CEDEAO ont force obligatoire et « En vertu des principes de primauté du droit communautaire et d’unité de l’État, ils s’imposent à toutes les autorités nationales, qu’elles soient exécutives, législatives ou judiciaires. Ils doivent ainsi neutraliser toute norme contraire de droit interne ». De ce qui précède, le Conseil Constitutionnel devrait respecter la décision du juge communautaire.Par ailleurs, cette position du juge constitutionnel burkinabè peut se comprendre. Pour certains analystes, la controverse entre le juge constitutionnel et le juge communautaire réside dans l’entendement de la détermination « des personnes susceptibles de tomber sous le coup de la sanction du changement anticonstitutionnel de gouvernement » . L’article 166 du code électoral renvoyant à l’article 25 de la CADEG parle implicitement d’ « auteurs » sans en dire plus. Sur ce flou on pourrait s’interroger si la notion d’ « auteurs » s’applique à toutes les catégories de personnes. Pour le juge communautaire il s’agit « des régimes, des États, éventuellement leurs dirigeants ». Dans l’entendement de la CJ/CEDEAO, les personnes ordinaires semblent ne pas être concernées par la restriction du fait de leur rôle passif dans le fonctionnement des institutions de l’Etat. Ainsi, la CJ/CEDEAO fait la part entre « ‘citoyens ordinaires »’ et « personnes exerçant des fonctions et responsabilités politiques »’. Il en est autrement de l’entendement du juge constitutionnel burkinabè. L’analyse de ses décisions révèle que la qualité d’auteurs de changement anticonstitutionnel se limite aux personnalités exerçant le pouvoir d’État, notamment les membres de l’Exécutif et les parlementaires. Pour lui, le soutien au changement anticonstitutionnel peut consister dans la participation à l’adoption de projet de loi tendant à une révision constitutionnelle
prohibée par la CADEG, dans la signature d’un appel parlementaire en
vue de la convocation d’un référendum tendant à une telle révision ou
dans l’appui à une telle initiative .
B- Le désir de voir sanctionner les soutiens politiques à un changement anticonstitutionnel
En insistant sur l’inéligibilité de certains candidats aux élections présidentielle et législative de novembre 2015, le Conseil Constitutionnel burkinabè a beaucoup mis l’accent sur la notion de changement anticonstitutionnel (1) pour écarter lesdits candidats. Dans une de ses décisions, elle a même pris le soin d’énumérer les différents types de changements anticonstitutionnels qui pourraient exister (2).
1-La notion de ‘soutien à un changement anticonstitutionnel ‘
La référence à cette notion tire son origine du dernier alinéa de l’article 135 du code électoral qui évoque l’exclusion de « toutes les personnes ayant soutenu un changement anticonstitutionnel ». Dans la requête n°2015-005/CC/EL/G introduite par monsieur DABIRE AmbaterdomonAngelin, le changement anticonstitutionnel est défini comme « tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique. ». Cet argument semble convaincre le conseil constitutionnel qui conformément à l’article 25 de la CADEG qui a déclaré inéligible au titre des élections législatives bon nombre de candidats dont monsieur COULIBLY Toussaint Abel, candidat de l’UPR, monsieur DICKO Amadou Diemdioda de l’UBN, monsieur TAPSOBA Achille Marie Joseph du CDP…
Pour le Conseil Constitutionnel et les défenseurs de la non-participation, ce changement anticonstitutionnel a consisté au Burkina Faso pour le président Blaise COMPAORE, au lieu de conduire le pays à l’alternance démocratique au terme de son deuxième mandat, a décidé de modifier la Constitution afin de briguer un troisième mandat. Dans ce cas, le soutien aura consisté pour le Gouvernement, de plusieurs groupes parlementaires (CDP, ADF/RDA, CFR) et d’une quarantaine de partis et formations politiques et associations regroupés au sein du Front Républicain d’appuyer le projet. Ces structures apportaient leur soutien manifeste et inconditionnel à l’aboutissement du projet de révision initié par le Président Blaise COMPAORE. Cet appui a donc été multiforme et devrait pouvoir aboutir à une modification de la Constitution. Une définition très explicite est celle donnée par le Docteur Yakouba OUEDRAOGO. Pour lui, le soutien à un changement anticonstitutionnel peut consister dans la participation à l’adoption de projet de loi tendant à une révision constitutionnelle prohibée par la CADEG, dans la signature d’un appel parlementaire en vue de la convocation d’un référendum tendant à une telle révision ou dans l’appui à une telle initiative. Le Conseil Constitutionnel énumère les actes matériels de soutien que nous verrons dans le point suivant.
2-Les formes de soutien au changement anticonstitutionnel
S’il est bien établi que soutenir un changement anticonstitutionnel est un motif d’inéligibilité, on pourrait se demander comment ce soutien pourrait se matérialiser et donc s’est matérialisé dans le cas du Burkina Faso. Les formes de soutien étaient nombreuses : des déclarations , des conférences , des marches, des meetings …Mais la forme de soutien que le Conseil a retenu est celle qui a lieu en 2014 a l’hôtel Azalai Indépendance. En effet, la veille et le jour du vote du projet, les députés soutenant le projet se sont internés dans cet hôtel non loin de l’Assemblée Nationale en attendant l’heure du vote. Ce soutien s’est encore accru avec la volonté de délocaliser le lieu du vote de l’Assemblée Nationale à cet hôtel alors qu’une partie du peuple manifestait dans la ville. En se focalisant sur cette forme, le juge constitutionnel faisait référence à l’article 23 de la Charte Africaine de la Démocratie des Elections et de la Gouvernance notamment en son alinéa 5 qui dispose que « Tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique. ».
Par ailleurs, il est important de relever que contrairement au juge constitutionnel, le juge communautaire ne fait pas du changement anticonstitutionnel de régime comme un motif légitime pouvant conduire à la restriction au droit d’accès à la compétition électorale. Pour elle, la restriction de ce droit doit être justifiée par la « commission d’infractions particulièrement graves » et par conséquent « l’argument de l’illégalité des changements anti constitutionnels de gouvernement, que l’on pourrait, sur la base du nouveau code électoral opposer aux requérants, ne tient pas . Cette position de la Cour soulève la question de savoir si le soutien au changement anticonstitutionnel de gouvernement ne constitue pas une infraction, satisfaisant à cette condition posée par la cour. Se pose ici la question de savoir ce qu’il faut entendre par « infractions particulièrement graves ». Sont-elles d’ordre pénal ou d’ordre politique ? Peu importe la réponse, il semble que la Cour considère que les infractions d’ordre pénal sont plus graves que les infractions d’ordre constitutionnel.
II. LA CONTESTATION DES DECISIONS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Pour les parties dont les décisions n’ont pas favorisé, le juge constitutionnel de la transition a non seulement violé leur droit de participation aux élections mais a aussi fait une mauvaise interprétation des textes en vigueur. Elles se fondent sur un certain nombre d’arguments. Nous développerons dans cette partie quelques-unes à savoir la mauvaise interprétation des dispositions du code électoral (A) et la violation du droit d’éligibilité (B).
A- La mauvaise interprétation de certaines dispositions du code électoral
Plusieurs articles du code électoral ont été remis en cause. Il s’agit d’une part des articles 135 et 166 du code électoral (1) et de l’article 193 du même code (2).
1-L’interprétation des articles 135 et 166 du code électoral
Les articles 135 et 166disposent pour l’essentiel du débat que : « sont inéligibles[…]toutes les personnes ayant soutenu un changement anticonstitutionnel qui porte atteinte au principe de l’alternance démocratique, notamment au principe de la limitation du nombre de mandat présidentiel ayant conduit à une insurrection ou à toute autre forme de soulèvement».Ces articles ont fait l’objet d’une grande controverse entre le Conseil Constitutionnel et les candidats déclarés inéligibles. Pour les candidats, l’inéligibilité évoquée par les dispositions ci-dessus citées doit être prononcée par une juridiction autre que le juge constitutionnel. C’est suite à une telle condamnation que ce dernier pourrait leur interdire la participation à la compétition électorale. Or il n’en est pas ainsi.Ils soulèvent donc une exception d’incompétence .En plus de cela, les défendeurs soutiennent la non application d’un principe de droit à savoir le principe de la non rétroactivité de la loi. Cet argument est développé par monsieur OUEDRAOGO Yakouba qui relève au 5è considérant du II que « la loi ne dispose que pour l’avenir et ne peut avoir d’effet rétroactif ; que les dispositions de l’article 135 du code électoral sont intervenues postérieurement au projet de la loi portant modification de l’article 37de la Constitution et ne peuvent s’appliquer en l’espèce ».Il estime que ces dispositions ont été ajoutées au code électoral après la commission de l’acte incriminé soit cinq mois après et qu’elles ne peuvent pas s’appliquer. Le Conseil Constitutionnel lui, comprend autrement cette disposition. Il ne conteste pas l’existence du principe de la non rétroactivité, mais argue que « toutefois une loi peut toujours prévoir elle-même sa propre rétroactivité, que l’article 135, 4ème tiret du code électoral dans sa rédaction vise des actes antérieurs à son adoption ». Par conséquent, l’argument avancé par les défendeurs de cette thèse devrait être écarté. Le troisième aspect sur la controverse autour de ces dispositions est leur non application au regard de la décision n°ECW/CCJ/JUG/16/15 de la Cour de justice de la CEDEAO. Pour les parties défenderesses les articles 135 et 166 respectivement en leur quatrième tiret et troisième tiret ne peuvent pas s’appliquer après que cette décision a été rendue. Pour le juge constitutionnel c’est tout à fait le contraire au regard des arguments avancés dans la deuxième partie. Ces deux articles ne sont pas les seuls à avoir fait l’objet de la contestation sur l’interprétation.
2-L’interprétation de l’article 193 du code électoral
L’article 193 dispose comme suit : « Le recours contre l’éligibilité d’un candidat ou d’un suppléant peut-être formé devant le Conseil Constitutionnel par tout citoyen dans les soixante-douze heures suivant la publication des listes des candidats. ». Cet article traite des personnes habilitées à introduire une requête devant le Conseil constitutionnel. La première controverse d’interprétation sur cet article est que pour certaines parties défenderesses cet article ne concerne que les candidats aux élections législatives et non ceux aux élections présidentielles . Par conséquent le Conseil Constitutionnel devrait déclarer irrecevable le recours formé devant lui. Pour répondre à cela le conseil a fait appel à l’article 131 du code électoral pour déclarer le recours recevable au regard de la qualité des requérants.Le second aspect de la controverse autour de cet article qui concernait les élections législatives est que pour certaines parties défenderesses, seules les personnes qui justifiaient d’un intérêt pouvaient saisir le conseil constitutionnel comme il est de principe en droit aux fins de déclarer inéligible un candidat à ces élections. Cette interprétation est renforcée par l’article 154, cité par certains défendeurs et qui dispose comme suit « En matière électorale, le Conseil Constitutionnel peut être saisi par tout candidat intéressé… ».Le conseil constitutionnel dans la précision du sens de cet article précise que l’article parle de tout citoyen au sens de la définition suivante : « le citoyen est défini comme un individu jouissant sur le territoire national, des droits civils et politiques ». Par conséquent la condition sine qua non pour saisir le juge constitutionnel dans le cas d’espèceest d’être citoyen tel que défini ci-dessus peu importe que le requérant ait un intérêt ou pas. Cet argument d’interprétation des articles du code électoral est une partie et la moindre partie des arguments de contestation des décisions du juge constitutionnel de la transition burkinabè ; la grande partie de ces arguments étant la violation des textes nationaux et internationaux en ce qui concerne le droit d’éligibilité.
B- La violation du droit d’éligibilité
Le droit d’éligibilité est la capacité juridique pour une personne à être élue ou encore à se présenter à une élection par voie de suffrageet à certaines conditions prévue la loi et autres textes internationaux. Dans cette partie seront analysées la violation des textes juridiques internes (1) et la violation de la décision de la CJ/CEDEAO (2).
1-La violation des textes juridiques internes
Les personnes frappées d’inéligibilité par le Conseil Constitutionnel contestent cela en soulevant la violation d’un certain nombre de droits consacrés par la Constitution du 02 juin 1991. Il s’agit à ce titre de la liberté d’opinion prévue par l’article 8et le principe de non-discrimination fondée sur les opinions politiques prévues par les articles 1, 11, 12 point 2 et l’article 13 de la constitution qui ont été soulevées. Pour lestenants de ces arguments, le Conseil Constitutionnel enles déclarant inéligibles en appliquant les dispositions du code électoral du 07 avril 2015 pour avoir eu une opinion favorable à la modification de l’article 37 de la constitution qualifiée d’inconstitutionnelle méconnait l’article 8 de cette même constitution. Ils ajoutent que cet article qui garantit la liberté d’opinion est violé par le code électoral lui-même qu’ils qualifient d’être taillé sur mesures à des fins politiquesd’un groupe de citoyens. Ensuite il faut ajouter à ces deux violations constitutionnelles, celle concernant la saisine du Conseil énoncée par l’article 154 de la Constitution. Pour certaines parties défenderesses, en précisant que le conseil peut être saisi par tout candidat intéressé ne donne plus la capacité à tout citoyen de saisir le conseil aux fins de déclarer inéligible un candidat à l’élection du Président du Faso. Enfin, les recourants estiment la violation de l’article 95 de la constitution qui dispose que : « Aucun député ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé en raison des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. ». Pour eux, le Conseil Constitutionnel en déclarant inéligibles des députés de la législature ayant pris fin avec l’insurrection d’octobre 2014 méconnait cette disposition de la loi fondamentale.
En plus de la violation des dispositions constitutionnelles, les recourants ont conforté leur position par l’invocation de la violation de l’arrêt de la CJ/CEDEAO.
2-La violation de la décision de la Cour de Justice de la CEDEAO
L’argument majeur de la contestation des décisions du juge constitutionnel de la transition burkinabè de 2015 a été la non prise en compte de la décision n° ECW/CCJ/JUG/16/15 de la CJ/CEDEAO en faveur des candidats recalés. Cette décision qui fait suite à la requête introduite par le CDP et autres partis mentionne que « le code électoral du Burkina Faso, tel que modifié par la loi n°005-2015/CNT du 07 avril 2015, est une violation du droit de libre participation aux élections » et par conséquent « ordonne […]à l’Etat burkinabè de lever tous les obstacles à une participation aux élections consécutif à cette modification ; condamne l’Etat du Burkina aux dépens ». Cette décision devrait mettre un terme aux débats sur l’exclusion des candidats ayant soutenu la modification de l’article 37 de la Constitution. Mais à la surprise générale, le juge constitutionnel a refusé d’appliquer celle-ci. Face aux arguments avancés par le Conseil que nous avons développés plus haut, les candidats ‘lésés’ estime que le Conseil constitutionnel et de façon générale les autorités de la transition ont méconnu leur droit à la libre participation aux élections. Ainsi, comme signaler plus haut cette position du juge constitutionnel de la transition burkinabè a été le point focal de la controverse sur ces décisions d’inéligibilité d’août 2015.
Conclusion
Le juge constitutionnel occupe une place importante dans le fonctionnement d’un Etat au regard de ses attributions. Particulièrement sous la transition, le Conseil constitutionnel n’a pas ‘chômé’. Suite à l’adoption du nouveau code électoral et à la décision de la CJ/CEDEAO, il a rendu plus d’une soixantaine de décisions. Comme il l’a si bien souligné dans son rapport d’activités de 2016, « C’est la première fois, pourrait-on dire, que les citoyens ont pu se rendre compte du rôle combien important que joue le Conseil Constitutionnel dans le processus de reconstitution de l’état de droit ». Il faut le dire ses décisions ont fait l’objet de vives débats sur la scène politique interne. Cela se justifierait également par le contexte de la transition. Plusieurs arguments ont été développés de part et d’autre par les parties, certains tenant mordicus à faire interdire la participation aux élections à ceux qui ont soutenu la modification de l’article 37 de la Constitution alors que ces derniers de leur côté pensent que leurs droits est en train d’être violés. Le juge constitutionnel en décidant de l’éligibilité des candidats argumente ou justifie ses décisions. Si certains arguments peuvent être qualifiés de non fondés du fait de la réponse du juge constitutionnel sur certaines questions, force est de reconnaître que cette controverse se trouve fondée quant à certains arguments donnés par le Conseil Constitutionnel dans les décisions concernées. Il s’agit notamment du refus du Conseil Constitutionnel de tenir compte de la décision n° ECW/CCJ/JUG/16/15 de la CJ/CEDEAO dans ses décisions d’août 2015 avec pour argument la non mise en œuvre de ladite décision par l’Etat burkinabè. En argumentant ainsi le juge constitutionnel de la transition burkinabè a méconnu le droit communautaire. Ainsi, à notre avis cette position du Conseil Constitutionnel confirmerait sa nature politique.
Bibliographie indicative
i)Ouvrages
-ROUSSEAU (D.), Droit du contentieux constitutionnel, Montchrestien, 9e éd., 2010, p. 79.
ii)Articles
-CHARAUDEAU (P.), « La médiation des controverses », CNRS, Laboratoire Communication et Politique, Paris, 2015.
-FATINROUGE STEFANNINI (M), « Les qualités d’une Cour constitutionnelle : retour sur la dénomination du Conseil Constitutionnel et la contestation de son caractère juridictionnel en comparaison avec le cas de la Belgique », Directrice de recherches au CNRS UMR 6201, Directrice adjointe de l’ILF-GERJC.
-OUEDRAOGO (Y), « Retour sur une décision controversée : l’arrêt de la Cour de justice de la CEDEAO du 13 juillet 2015, CDP et autres c/ État du Burkina », 2016, pp.197-232.
iii)Rapports et communications
-BÖCKENFÖRDE (M.), KANTE (B.), YUHNIWO (N.), PREMPEH (H.K.), « Les juridictions constitutionnelles en Afrique de l’Ouest », Analyse comparée.
-Communication du Conseil Constitutionnel du Burkina Faso, à l’occasion du deuxième congrès de la conférence mondiale sur la justice constitutionnelle, organisé par la Cour Suprême fédérale du Brésil et la Commission de Venise du Conseil de l’Europe à Rio de Janeiro, Brésil, du 16 au 18 janvier 2011, sur le thème « La séparation des pouvoirs et l’indépendance des cours constitutionnelles et instances équivalentes ».
iv) Instruments juridiques
-Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance
– Loi n°005-2015 /CNT du 7 avril 2015, portant modification de la loi n°014-2001/AN,
3juillet 2001 portant code électoral.
v) Jurisprudences
-Affaire N°ECW/CCJ/APP/19/15, jugement N°ECW/CCJ/JUG/16/15, Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP) & Autres contre l’Etat burkinabè
-Recueil des décisions du Conseil Constitutionnel des élections présidentielle et législative de 2015, édition 2016