Le Vendredi 17 Juin 2022 s’est tenue à l’Université Privée de Ouagadougou, la soutenance de DJOLGOU Aristide. Pour l’obtention du diplôme de Master en Droit des Affaires et Fiscalité, M. DJOLGOU a présenté son document portant sur le thème : Le pouvoir des actionnaires dans la révocation des dirigeants sociaux de la société anonyme (SA).
De prime abord, l’impétrant a souligné que comme toute activité humaine, « celles qu’exercent les dirigeants des sociétés commerciales au sein de l’entreprise ne sont destinées à durer indéfiniment ». C’est ainsi qu’à un moment ou à un autre de la vie sociale, la question de la cessation des fonctions des dirigeants va se poser inéluctablement. Pour l’essentiel, la cessation des fonctions est causée par le dirigeant social lui-même. Il en est ainsi en cas de démission ou de décès de ce dernier. En revanche, dans d’autres circonstances, les causes de la cessation sont extérieures au dirigeant social. C’est notamment le cas lorsque son mandat a expiré ou encore que la société ait été dissoute ou enfin qu’il a été révoqué.
Parlant de la révocation, il précise que c’est un mode de cessation anticipée et involontaire du mandat. Dans ce cadre, l’Acte uniforme relatif aux sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (AUDSC/GIE) donne un pouvoir absolu et incontournable à l’assemblée général d’actionnaires de mettre fin de façon unilatérale aux fonctions du dirigeant social. Toutefois, l’AUDSCGIE a, dans certains cas, encadré les pouvoirs discrétionnaires reconnus à l’assemblée générale en précisant que la révocation peut donner lieu à des dommages et intérêts si elle est faite « sans juste motif ».
Pour l’impétrant, il se pose alors la question de l’étendue des pouvoirs du juge face à ce pouvoir des actionnaires et celle des fondements de son intervention. Il s’est également posé une série d’interrogations secondaires, notamment celles de savoir : Quelle est la nature et les fondements du pouvoir des actionnaires ? Comment ce pouvoir discrétionnaire des actionnaires se manifeste-t-il ? Enfin, ce pouvoir des actionnaires est-il limité ?
Pour apporter des éléments de réponse aux différentes interrogations, l’impétrant a décidé de les aborder à travers deux titres à savoir un premier point sur le contenu du pouvoir discrétionnaire de l’assemblée générale d’actionnaires dans la révocation et le second titre sur la limite de ce pouvoir par le juge.
Pour ce qui est du premier point sur le pouvoir discrétionnaire détenu par l’assemblée générale d’actionnaires, l’impétrant souligne que la question qui vient à l’esprit à cet effet est de savoir quelles sont les fondements de ce pouvoir. Ce qui débouche sur la distinction entre une révocation ad nutum et une révocation pour juste motif.
Pour la révocation ad nutum, elle s’explique par le fait que traditionnellement, les dirigeants sociaux sont des mandataires des actionnaires. Par conséquent, en application du droit commun et notamment de l’article 2004 du Code Civil applicable au Burkina Faso, le mandat peut en effet être révoqué par le mandant « quand bon lui semble ». Le mandataire est donc révocable sur un signe de tête.
Cependant, il y a eu des critiques sur la qualification de mandataire attribuée à ces dirigeants pour leur révocation. En premier lieu, les dirigeants n’ont pas la qualité de mandataire au sens du droit commun. Ils ne peuvent être considéré comme les mandataires des actionnaires ni mandataires de la société. En second lieu, traditionnellement, le mandat était dans l’intérêt du mandant. A l’heure actuelle, cette conception est dépassée. : la société n’est plus considérée comme la propriété des capitalistes mais comme le cadre juridique de l’entreprise où se rencontre de multiples intérêts. Des lors, leur révocation discrétionnaire devrait être justifiée par l’octroi de dommages et intérêts, ce qui n’est pas le cas. C’est ainsi que la souveraineté est invoquée comme fondement de la révocation discrétionnaire des dirigeants sociaux. En effet, elle correspond à la hiérarchie traditionnelle de la société anonyme inspirée de la société politique où le peuple (ici les actionnaires) est souverain.
En dehors des fondements de la révocation ad nutum qui sont basés sur le contrat de mandat et la souveraineté, celui du juste motif n’est pas défini clairement. C’est la jurisprudence qui s’est prononcée.
Pour ce qui est de la manifestation du pouvoir discrétionnaire, il faut retenir que c’est l’assemblée générale ordinaire qui a une compétence exclusive à prendre la décision de révocation. Ce pouvoir de révocation ne peut être écarté ni limité, ni directement ni indirectement, par une clause statutaire ou extrastatutaire.
La question se pose de savoir si l’Assemblée Générale Extraordinaire (l’A.G. E) peut révoquer un dirigeant social ?
L’impétrant précise qu’en application de l’article 522 alinéa 2 de l’AUDSCGIE, la réponse est a priori négative. En effet, depuis longtemps la jurisprudence a rejeté la possibilité de révocation d’un dirigeant social par l’A.G. E. Cependant, en France, c’est un arrêt de la Cour d’Appel de Rennes, en date du 25 février 1970, qui l’a admise pour une première fois, en se fondant sur les nécessités de l’urgence et la règle de bon sens « qui peut le plus, peut le moins », avant d’être largement appliquée par la jurisprudence et la doctrine.
Bien que le pouvoir de révocation revienne à l’assemblée des actionnaires, ils convient de préciser que dans certaines situations, il y a délégation légale de ce pouvoir de révocation au conseil d’administration au regard du respect du parallélisme des formes.
Du reste, la révocation des dirigeants ne relève pas du monopole exclusif des actionnaires ou du conseil d’administration. En effet, dans certains cas, le juge peut intervenir dans la révocation des dirigeants sociaux
De ce fait, Le législateur africain a clairement posé le principe de révocation judicaire des gérants de la SARL dans l’AUDSCGIE, mais ne s’est pas prononcé sur cette mesure dans les autres formes sociales. Or, ce silence divise la doctrine et même la jurisprudence. Il se pose la question de savoir si en dehors des gérants de la SARL, le juge peut révoquer les dirigeants de la SA.
De nombreux arguments ont été avancés par certains juges contre la mesure de révocation judicaire. Dès lors, après une longue période d’hésitation, les juges français se sont prononcés en faveur de la révocation des dirigeants sociaux dans les formes sociales autre que la SARL en se fondant sur la cause légitime, ce qui devrait inspirer les juges africains ainsi que le législateur de l’OHADA qui pourront trouver de nombreux fondements à son intervention notamment la protection des actionnaires minoritaires ou égalitaires. Consacrer la révocation judiciaire dans la SA pourrait permettre de pallier l’insuffisance de l’abus de majorité.
Relativement au second titre sur la limite du pouvoir discrétionnaire par le juge, l’impétrant précise que celui-ci va apprécier tantôt l’abus de droit dans la décision de révocation, tantôt le juste motif de révocation.
Le juge pour déterminer l’abus de droit a développé de nombreux critères : En premier lieu, il s’agit, des irrégularités assimilables à une voie de fait. Ainsi, la révocation est abusive s’il y a eu des circonstances qui porte atteinte à l’honneur et à la réputation du dirigeant : il s’agit par exemple d’un dénigrement du dirigeant, des menaces physiques ou verbales.
En outre, le juge se sert du principe de la contradiction pour poser une limite du pouvoir discrétionnaire des actionnaires. Si le dirigeant social n’a pas été en position de préparer sa défense, la révocation est abusive.
Par ailleurs, pour mettre fin aux nombreuses critiques tant au sein de la doctrine que de la jurisprudence, le juge s’est tourné vers un nouveau critère d’appréciation de l’abus de droit. Il s’agit du devoir de loyauté de la société envers le dirigeant social. Dès lors, tout manquement au devoir de loyauté par la société devrait être sanctionné pour abus de droit et nécessite un contrôle préalable de l’intention de l’auteur de l’acte.
Pour engager la responsabilité civile de la société ou de l’actionnaire dans le cadre de la révocation, la mission du juge est répartie en trois étapes. Elle consiste en l’appréciation de la faute, la détermination du préjudice subi, lorsque cela est nécessaire, et l’établissement du lien de causalité entre la faute et le préjudice. Du reste, la mise en œuvre de la responsabilité par le juge est complexe.
L’AUDSCGIE n’a pas prévu un régime spécial de responsabilité civile de la société commerciale et des actionnaires. C’est ainsi qu’au même titre que la personne physique, le juge pourra engager la responsabilité de la société en cas de faute dans le cadre de la révocation. Pour ce qui concerne les actionnaires, ils peuvent voir leur responsabilité civile engagée dans le cadre de l’abus de droit de vote.
Le jury a, après exposé, apprécié la qualité du document qui est agréable à lire. A l’unanimité, les membres du jury ont reconnu que le document est bien rédigé et guide très bien le lecteur. Le jury a finalement sanctionné l’impétrant de la note de 16/20.
ZOMA Michel
revuejuris.net