Les mécanismes coercitifs non militaires constituent un dispositif important dans l’architecture normative et institutionnelle de gestion des crises en Afrique. Parmi ces mesures, il y’a les sanctions classiques notamment l’embargos générale, la prohibition commerciale et les sanctions contemporaines à l’image du gel des avoirs et des avoirs financiers, la restriction aux déplacements, les sanctions sélectives matérielles. Les sanctions contemporaines sont appelées aussi « sanctions ciblées, sanctions sélectives, sanctions individuelles ou sanctions intelligentes ». Toutefois, lesdites sanctions, objet de cette étude ont pour origine le droit des Nations Unies. Elles ont été imaginées pour faire face à l’inadéquation des sanctions interétatiques traditionnelles du droit international en vue de trouver des solutions aux nouvelles menaces, notamment terroristes.
Le terme sanction est une notion politico diplomatique. L’évolution des sanctions globales à celles ciblées a été motivée par la prise en compte de questions des droits de l’homme et le renforcement de l’efficacité de la politique coercitive. Les sanctions nouvelles diffèrent aux sanctions traditionnelles par leur caractère humanitaire. En effet, elles visent des régimes, des Etats, éventuellement leurs dirigeants, mais ne doit en aucun cas concerner les droits des citoyens ordinaires. Ainsi, ni l’esprit des sanctions intelligentes… ni l’évolution générale du droit international tendant à faire des « droits de l’homme » un sanctuaire soustrait aux logiques des Etats et des régimes, n’autorisent une application brutale et indiscriminée des mesures coercitives.
Les changements anticonstitutionnels des gouvernements sont pris en compte au sens large par les instruments africains. La notion ne se limite plus qu’aux coups d’Etats militaires, elle prend en compte des nouvelles situations à l’image des réformes constitutionnelles pour se maintenir au pouvoir, la remise en cause de l’ordre légitime dans un Etat. Les mécanismes consacrent le principe d’intervention dans un Etat membre dans certaines situations. Toutefois, l’exercice des compétences des organisations africaines rencontre des difficultés allant de la délimitation de celles-ci à l’effectivité des mesures adoptées. Les sanctions intelligentes qu’il est donné d’observer à la lumière de la pratique coercitive africaine est révélateur de cette problématique.
L’analyse d’un tel sujet présente plusieurs intérêts. D’abord, pratique, parce qu’il n’est plus nécessaire de s’attarder à démontrer aujourd’hui la légalité pour une organisation régionale d’intervenir dans certaines situations dans un Etat membre, de surcroit lorsqu’il consiste de prendre des mesures coercitives non militaires. Cependant, la dénonciation par certains Etats et l’opinion publique des décisions ainsi qu’à la remise en cause de la légitimité des instances africaines interpellent. Ensuite, l’intérêt est actuel, eu égard au contexte qui prévaut sur le continent. Le rejet des changements anticonstitutionnels de gouvernement se révèlent inefficaces. Les coups d’Etat se multiplient et deviennent une menace pour la paix et la sécurité. En somme la question à aborder est celle de savoir : si la politique coercitive non militaire contre les changements anti – démocratiques de gouvernement est-elle effective ?
Une approche intelligente est essentielle pour l’effectivité des sanctions. La mise en œuvre nécessite une collaboration de tous les acteurs (I) et doit surmonter des impasses d’ordre politiques, juridiques, économiques et stratégiques (II).
Première Partie : La nécessaire collaboration pour l’exécution des sanctions
L’effectivité des sanctions nécessite le concours de tous les acteurs, autant les Etats (A) que les juntes militaires (B).
A – Le rôle des Etats dans la mise en œuvre des sanctions
Les organisations internationales ne constituent pas un pouvoir central pour l’exécution de leur décision. Celles africaines ne font pas l’exception. Elles sont confrontées à cette réalité inhérente à toutes les organisations internationales. Certes, les instances des décisions ont le pouvoir de constater une situation de changement antidémocratique de régime et d’adopter des sanctions (pouvoir d’initiative). Mais, comme toute organisation internationale, de surcroit, les organisations de coopération, les communautés africaines n’ont pas de moyen pour contraindre l’application de ces décisions à la limite d’une exécution forcée sur autorisation du conseil de sécurité. Cela exige toutefois l’emploi de la force armée. Ces organisations dépendent largement de ses Etats membres et parfois des Etats tiers pour la mise en œuvre de leur politique notamment coercitive. Ainsi, elles transfèrent le pouvoir d’exécution à ses derniers. Les Etats retrouvent leur compétence conférée aux organisations. Ils peuvent à ce niveau, procéder à une interprétation unilatérale des mesures édictées, sur des considérations éminemment politiques, économiques et stratégiques. Cette dépendance est non négligeable pour une mise en œuvre effective de sanctions. C’est l’attitude des Etats qui déterminera l’effectivité des mesures. C’est une limite qui entrave dans une grande partie la résolution des crises en Afrique.
Cependant, des dispositions sont prévues pour obliger les Etats à appliquer de bonne foi les sanctions. Une gamme des mesures secondaires peut être adoptée en cas de non-respect des décisions. Mais cette contrainte ne fait pas l’objet d’application. Les Etats mettent en avant leur souveraineté pour justifier la violation de leurs obligations internationales. La mise en œuvre de cette contrainte renforcerait d’avantage l’efficacité des sanctions africaines et même à les envisager au-delà de ses Etats et de ses ressortissants.
Les destinataires des mesures s’ils sont exclus dans la phase d’adoption de sanctions, ils réintègrent le processus pendant l’exécution.
B – La collaboration des autorités militaires
Les autorités autoproclamées jouent un rôle primordial dans le processus de sortie de crise de changement anticonstitutionnel de gouvernement. Malgré les sanctions et les pressions internationales, l’effectivité des mesures dépend largement de la volonté des régimes d’exception de ne pas entraver le retour à l’ordre constitutionnel. Leur collaboration est impérative, d’autant plus que les juntes militaires bénéficient d’une légitimité populaire. D’ailleurs, dans la gestion des crises de changement anticonstitutionnel de gouvernement, les premières mesures sont le plus souvent incitatives. On adopte des sanctions contraignantes « douces ». Cela favorise le dialogue et limite la radicalisation. Les négociations de sortie de crise doivent trouver un équilibre entre le respect des principes juridiques et les réalités politiques. Cela a pour conséquence la limitation de la portée des sanctions. Les articles pertinents sur la conduite des transitions comme la non-participation des auteurs des putschs dans les institutions de transition et des élections organisées pour restaurer la légitimité démocratique, l’exigence d’une transition civile s’estompent au profit des accords politiques de sortie de crise. Les sanctions se caractérisent par les rapports de force entre acteurs.
L’application effective des sanctions est compromise aussi par des contraintes politico-juridiques et stratégiques.
II Les contraintes politiques et juridiques
Les limites peuvent être à la fois statutaires (A) et politiques (B).
A – Les limites statutaires
Un aspect essentiel caractérise l’adoption, la suspension ou la levée des sanctions. Il s’agit de la nuance des textes. Cela permet une interprétation téléologique des mécanismes afin de les adapter à toutes situations.
Les mécanismes coercitifs africains s’inscrivent sur un autre registre. Ils se singularisent par leur lisibilité. La nuance a l’avantage de permettre la modulation des décisions en tenant compte de l’évolution positive ou négative de la situation ou de la survenance des faits nouveaux jugés inacceptables. Par contre dans les cas où les textes sont définis de façon objectif, toute interprétation large sera jugée comme non conforme aux mécanismes. L’élargissement sera considéré comme « un abus de pouvoir », de même que l’inaction sera vue comme un manquement à la responsabilité de prévenir et de résoudre les crises. C’est le cas du délai de six mois pour le retour à l’ordre constitutionnel, la non-participation des militaires aux institutions de transition, l’interdiction d’être en contact ou d’apporter des soutiens aux juntes militaires. Au nom de la paix et de la sécurité, l’application rigoureuse des textes laisse la place au dialogue pour définir par consensus un plan de sortie de crise. Certes, les solutions politiques permettent de dissiper les divergences et de rapprocher les positions. Cependant, elles relativisent la volonté affichée de lutter contre l’impunité par les sanctions politiques ou juridiques. Il y’a une prégnance de la politique sur le droit. Par ailleurs, l’émergence des recours juridictionnels contre les mesures coercitives constitue une autre limite à l’effectivité des sanctions à côté des facteurs politiques.
B – Les impasses politiques, économiques et stratégiques
Sur le plan politique, les autorités de facto sont certes illégales mais elles bénéficient d’une légitimité populaire. Dans ce cadre, l’opinion influence de façon indirecte à la mise en œuvre des injonctions internationales.
Sur le plan économique, il faut souligner que les sanctions ont un double effet. Elles touchent aux destinateurs des sanctions que ces initiateurs. Ils se retrouvent dans les mêmes difficultés économiques causées par les sanctions. Les considérations économiques déterminent le degré d’application des sanctions. Également, les organisations ne prévoient pas des mécanismes de contrôle et de suivi de l’effectivité des sanctions.
De même, la gestion simultanée de plusieurs situations de changement anticonstitutionnel de gouvernement n’est pas sans conséquence sur l’effectivité des sanctions. La défense de principes juridiques est soumise aux aléas politiques internes (force d’opposition, groupe ethnique, puissance économique de l’Etat, position stratégique), et externes (intérêts des grandes puissances, blocage du conseil de sécurité, lien entre coups d’Etat et menace à la paix et à la sécurité qui est du ressort du Conseil de sécurité au titre du Chapitre VII). C’est pour quoi les réactions ne sont pas les mêmes contre les Etats et les auteurs des coups d’Etat. Un instinct de survie et de solidarité se dégage également entre les juntes militaires notamment au sein de la CEDEAO pour contraindre les sanctions.
Il est important de souligner que les sanctions sont de nature politique. Elles sont adoptées et mises en œuvre par des organes politiques, sur des considérations politiques. En aucun cas, elles ne peuvent se soustraire à l’instrumentalisation et à la politisation.
C’est le moment monsieur le modérateur de conclure, en considérant que l’application effective des sanctions recommande pour les organes de décisions africaines de :
Sortir de leur réserve habituelle pour faire pression aux régimes qui modifient les constituions pour se maintenir au pouvoir ;
De prendre des sanctions contre la remise en cause des règles politiques ;
De promouvoir l’alternance démocratique ;
De sortir des modèles préétablis de gestion de crises ;
De repenser l’offre démocratique sur le continent ;
De refonder le système de prévention, de gestion des crises sur le continent ;
De condamner avec force toutes formes de changement non démocratique des régimes.
Exiger au respect des dispositions pertinentes encadrant les transitions pour le retour à l’ordre constitutionnel, car il y a une réelle menace sur le processus démocratique des pays africains et sur l’intégration.
Amadou Lamarane Bah
Doctorant en Droit Public FSJP/UCAD
Email :amadoulemaire@yahoo.fr
Tel : 00221776960011