Réel ou irréel ?
Globalement en Afrique et plus spécifiquement au Burkina Faso, le viol conjugal est vu comme un phénomène surréaliste. Dans cet univers global et spécifique où le sexe demeure un sujet tabou, la question de « viol conjugal » est tantôt perçu comme un « phénomène occidentale », tantôt comme un « phénomène irréel ». En effet, il est culturellement connu que la femme est éduqué pour comprendre que les rapports sexuelles ne peuvent se refuser au mari et que c’est son rôle de lui procurer ce plaisir qu’il « mérite » du fait de son statut d’époux, sans qu’il ne soit jamais question de ce qu’elle voudrait ou ressentirait.
Du « devoir conjugal » au « viol conjugal »…
Le devoir conjugal a longtemps fait obstacle à la notion d’agression, violences sexuelles, viol au sein du couple. Il désigne l’exigence qui est ou non encadré par la loi, de rapports sexuels réguliers au sein du mariage. Bien que le terme soit absent du code civil, il est communément déduit l’obligation de relations sexuelles entre époux du devoir de fidélité (la fidélité étant entendue comme l’exclusivité) et de l’obligation de cohabitation disposés à l’article 292 du Code Civil burkinabé,
Le devoir conjugal consistant en un consentement à partager une vie sexuelle régulière avec son ou sa conjointe ne s’analyse pas comme une obligation de satisfaire l’autre à la moindre demande, ni comme un droit de disposer du corps de l’autre, ni d’entretenir des relations sexuelles en cas d’empêchement avéré.
Un penseur a dit : « Le mariage est un château d’où les résidents veulent s’échapper et où les passants veulent rentrer ». Les résidents seraient ceux qui ploient sous le poids des devoirs (en l’occurrence les femmes) et les passants, ceux qui ne voient que leurs droits. Il est alors important d’avoir la juste perception de ces notions de droits et de devoirs pour une vie conjugale épanoui et débarrassé de tout abus.
Qu’en dit la loi ?
Dans le cadre des activités d’assistance technique au Programme d’Appui à la Politique Nationale de Justice (PA-PNJ) au Burkina Faso, apportées par la commission européenne, de nouvelles infractions ont été créées dans le Code Pénal burkinabé dans le but de mieux défendre le droit des femmes. A ce titre, le viol conjugal est désormais reconnu dans le Code Pénal révisé de 2018. L’article 14.2 de la Loi n0061-2015/CNT portant prévention, répression et réparation des violences à l’égard des femmes et des filles punit le viol commis de manière répétitive sur une partenaire intime habituelle avec qui l’auteur entretient des relations sexuelles stables et continues. Plus spécifiquement, la loi stipule que : « …lorsque le viol est commis de manière répétitive sur une partenaire intime et habituelle avec qui l’auteur entretient des relations sexuelles stables et continues ou lorsque ladite partenaire est dans une incapacité physique quelconque d’accomplir une relation sexuelle, la peine est d’une amende de cent mille (100 000) à cinq cent mille (500 000) francs CFA. »
Encore faudrait-il savoir ce qu’est un viol…
L’article 14.1 de la Loi n0061-2015/CNT portant prévention, répression et réparation des violences à l’égard des femmes et des filles précise qu’ « est coupable de viol et puni d’une peine d’emprisonnement de cinq à dix ans, toute personne qui commet par violence, contrainte ou surprise, un acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu’il soit sur une femme ou une fille ».
Alors, le viol conjugal est naturellement par extension un acte de pénétration sexuelle de toute sorte commis sur la personne du conjoint ( dans le cadre du mariage au sens juridique du terme) ou sur la personne du concubin ( dans le cadre d’une union libre) par violence, contrainte ou surprise.
« La pénétration sexuelle de quelque nature qu’il soit » doit s’entendre de tout acte de pénétration vaginal, orale ou anale d’une personne par le moyen d’organe sexuel ou de tout autre membre du corps ou même par un objet, et ce, sans le consentement de la personne pénétrée.
Que comprendre de la disposition de cette loi ?
Tout viol commis entre conjoints, concubins ou même simples partenaires intimes stables et habituels est puni par la loi burkinabé.
En isolant le viol conjugal pour en prévoir une répression distincte et légère (peine d’amende) par rapport à celle prévue pour le viol en général (peine de prison), le législateur a sans doute voulu plutôt tenir compte de l’intérêt de sauvegarder les liens conjugaux tout en dissuadant contre de telles pratiques.
Mais il faut aussi dire que la disposition en matière de viol conjugal reste ambiguë, notamment en ce qui concerne le caractère « répétitif » du viol. On peut aisément et légitimement se poser la question de savoir ce qui peut être considéré comme réellement répétitif. Est-ce le fait de pénétrer le partenaire à plusieurs reprise pendant un même acte de viol ou est-ce la pratique régulière / répétée de ce acte de viol sur une période ? Le terme « répétitif », dans une démarche juridique n’a pas été précisé.
Enfin, la difficulté pour l’appréhender reste entière : il faut d’abord la dénoncer ensuite la prouver, ce qui suppose en faire la publicité. Et c’est là que réside toute la difficulté pour les victimes. Pour Julie Rose OUEDRAOGO, membre de l’Association des Femmes Juristes du Burkina Faso : « Le viol conjugal est une infraction qu’on doit prouver comme toute autre infraction. Pourtant, le viol de façon générale est difficile à prouver en dehors des cas où il y’a eu violence ayant laissé des traces sur le corps en plus de la présence de sperme dans le vagin ou lorsqu’il y a eu des témoins. On voit que le viol conjugal que l’on tend à assimiler au devoir conjugal sera difficile à prouver. Ce qui pousse beaucoup de femmes à garder le silence. »
Le droit comparé du viol conjugal
En France, le viol se définit comme : « Tout acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise ». Art.222.23 du Code civil. Sans surprise, la définition française ne diffère pas énormément de celle burkinabé en ce qui concerne le viol de façon général.
Plus spécifiquement, dans une loi du 4 avril 2006, le législateur a ajouté à l’article 222-22 du Code Pénal un alinéa 2 précisant que : « Le viol et les autres agressions sexuelles sont constitués lorsqu’ils ont été imposés à la victime (…) quelle que soit la nature des relations existant entre l’agresseur et sa victime, y compris s’ils sont unis par les liens du mariage. Dans ce cas, la présomption de consentement des époux à l’acte sexuel ne vaut que jusqu’à preuve du contraire ». En 2010, la référence à la présomption de consentement disparait (loi du 9 juillet 2010). L’article 222-22 du Code Pénal prévoit désormais : « Le viol et les autres agressions sexuelles sont constitués lorsqu’ils ont été imposés à la victime (…) quelle que soit la nature des relations existant entre l’agresseur et sa victime, y compris s’ils sont unis par les liens du mariage ». Il faut retenir que le consentement aux rapports sexuels n’est pas présumé : ce qui signifie que ce n’est pas parce que l’on est marié que l’on consent à tout acte sexuel (par exemple, un mari ne peut imposer la sodomie à sa femme qui refuse), que ce n’est pas parce que l’on a consenti la veille que l’on a consenti le lendemain, que l’on ne consent pas en dormant…
A la différence du droit burkinabé, le droit français fait du viol conjugal une circonstance aggravante du viol. L’aggravation est également encourue lorsque les faits ont été commis par l’ancien conjoint ou concubin ou partenaire dès lors que « l’infraction est commise en raison des relations ayant existées entre l’auteur des faits et la victime ». Art.132-80 inséré dans le code pénal par la loi du 4 avril 2006.
Par David Adnan NOMBRE
Revue Juridique du Faso