Nature des rapports entre droit interne et droit international sous le prisme Kelsénien,une réflexion de Monsieur Germain Tiérowé DABIRE


A la suite de la communication du Dr Jean Paul KABORE à l’occasion de la journée d’hommage aux professeurs Salif YONABA et Ahmed BA , ce fut le tour de Monsieur Germain Tiérowé DABIRE, doctorant en droit à l’Université de Genève, d’exposer sur   « La nature des rapports entre droit interne et droit international sous le prisme Kelsénien,une reflexion de Monsieur Germain Tiérowé DABIRE».

Parlant du monisme juridique, le communicateur commence par observer que « l ’argument central de la logique du monisme juridique kelsénien est celui de l’unité des ordres juridiques interne et international construite autour de la technique de réception du droit international par le droit interne et maintenue, en cas de risque de rupture de la continuité, par les clauses notamment constitutionnelles de primauté ». Cette thèse n’est pas partagée par le communicant qui invite à considérer, à la lumière de la pratique judiciaire, une progressive transformation du monisme en dualisme juridique et cela, à travers deux raisons principales. .

La première dérive de la confusion entretenue entre « la norme juridique » et « l’ordre juridique » d’une part et le « système juridique » et « l’ordre juridique » d’autre part. En effet, lorsque la doctrine moniste indique que l’insertion d’une norme de droit international dans l’ordre juridique interne balaie par ce fait même le caractère international de la norme et lui imprime un caractère de norme de droit interne, et que de ce fait, il n’existerait qu’un seul ordre, elle semble laisser de côté la différence de nature des éléments pris en compte dans le raisonnement : l’ordre juridique, le système juridique et la norme juridique. Or, il existe une différence entre l’ordre juridique et le système juridique. L’ordre juridique est formé à partir d’une agrégation ordonnée et cohérente de normes. Cet ensemble normatif ordonné vit et se développe dans un univers à la fois juridictionnel et non juridictionnel qu’est le système juridique. En d’autres termes, la norme juridique tire sa dynamique fonctionnelle de l’ordre juridique alors que l’ordre juridique, lui, tire sa dynamique du système juridique. La cohérence de l’ordre juridique est donc assurée par celle des normes alors que la cohérence du système juridique est assurée par celle des ordres juridiques ; le système pouvant être simple et unique ou mixte ou complexe. La norme internationale, une fois reçue en droit interne se déploie dans l’unique système de droit interne mais reste tributaire de son ordre juridique originel. Or, le rapport évalué d’où dérive cette solution de l’unité de l’ordre juridique est un rapport entre un élément étranger à l’ordre (norme de droit international) et l’ordre lui-même (le droit interne). Cette confusion incite au doute sur l’idée de la fusion des deux ordres juridiques.

La seconde, conséquence de la première, est justifiée par la pratique judiciaire interne intéressant le droit international en matière de primauté. L’argument de l’unité des ordres juridiques interne et international maintenue par la clause de primauté, débouche sur deux ouvertures possibles : soit la clause elle-même établit une égalité matérielle entre elle et la constitution, ce qui signifierait que le droit international serait par là-même constitutionalisé ; soit la clause assure au droit international une valeur supraconstitutionnelle, ce qui signifierait que même contenue formellement dans la constitution, la clause installerait aux côtés de l’ordre juridique interne, un autre ordre aboutissant à un système juridique unique avec pluralité d’ordres juridiques. La première ouverture ne peut se justifier, car si le droit international se constitutionnalise par ce procédé, alors le schéma normatif pyramidal interne établirait, non pas une primauté du droit international sur le droit interne, mais plutôt une primauté formelle de la constitution sur le droit international, solution qui crampe la démarche du monisme juridique avec primauté du droit international. Si, par contre, on opte pour la deuxième ouverture, ce qui nous parait la plus vraisemblable, alors, on aboutit à une cohérence dans le principe de la primauté mais à une incohérence dans celui du monisme juridique. En effet, la primauté assurée du droit international sur le droit interne par la clause ne serait valable que pour autant qu’on reconnait que le système juridique interne dans cette logique compose avec une pluralité d’ordres juridiques, ce qui, in fine, invaliderait l’idée du monisme juridique au profit d’un pluralisme juridique. En effet, les traités et accord internationaux, même ratifiés, ne changent pas de statut juridique ; ils bénéficient au plan interne de leur pleine et entière normativité internationale. De ce fait, le constituant ne les considère pas comme du droit interne, mais plutôt comme des normes internationales autorisées à cheminer et à produire leur effet au côté du droit interne. Cette volonté peut mieux se comprendre, lorsqu’on essaie d’opérer une différence entre les instruments juridiques internationaux incorporés dans le bloc de constitutionalité et les autres instruments juridiques ratifiés et non incorporés dans ledit bloc de constitutionalité. Les premiers ne font pas seulement partie du bloc de constitutionalité, mais participent, en outre, par leur simple incorporation dans ce bloc, à la formation de l’ordre constitutionnel interne. Les seconds demeurent du droit international appelé à produire des effets dans l’ensemble de l’ordre juridique interne, donc à forcer et à faire parfois plier tout le droit interne y compris la constitution, dans ses dispositions incompatibles et/ou contraires à lui. La nuance inférée à cette distinction participe à la compréhension de la volonté réelle du constituant, en ce sens qu’il aurait accepté d’une part de nationaliser une partie du droit international dont les instruments juridiques internationaux mentionnés dans le bloc de constitutionnalité et d’autre part de traiter les autres instruments juridiques internationaux comme relevant exclusivement du droit international, en ayant comme mécanisme de contrôle, celui de la compatibilité et de la conformité du droit interne à ceux-ci et surtout à ces derniers.

C’est précisément à ce niveau qu’on peut faire appel à la lecture syntaxique des clauses constitutionnelles de primauté. En effet, dans la pratique de la justice constitutionnelle et administrative, le juge constitutionnel ou le juge administratif a souvent analysé et regardé les normes du droit international reçues dans l’ordre juridique interne non pas comme du droit interne mais comme du droit international. C’est d’ailleurs en les regardant comme des normes du droit international que le juge justifie la logique du contrôle de conventionnalité a posteriori des normes internes et vérifie la conformité du contenu des révisions constitutionnelles aux engagements internationaux de l’Etat déjà ratifiés et insérés dans l’ordre juridique interne. Aussi, dans les situations où des actes étatiques internes sont conformes au droit interne et contraires aux engagements internationaux ratifiés et liant l’Etat, lorsque des justiciables invoquent l’illégalité de ces derniers devant le juge étatique, il y a dans l’opération psychologique du juge une distinction intellectuelle dans l’analyse qui tend à considérer ces accords et traités ratifiés et reçus dans l’ordre interne non pas comme du droit interne mais comme du droit international. C’est à ce titre, et suivant la logique de la primauté du droit international que le juge ordonnera l’annulation de ces actes internes non conformes auxdits accords internationaux.

Le communicant conclut en soulignant que la transposition des règles du droit international ne crée pas une « dénaturation » desdites règles mais instaure une cohabitation ou une juxtaposition des deux ordres juridiques (droit international et droit interne) dans une unité « systémique » qui est le système interne. Le droit interne dans son rapport au droit international transposé, génère ainsi en son sein une pluralité d’ordres juridiques dont au moins le dualisme.

Un commentaire sur “Nature des rapports entre droit interne et droit international sous le prisme Kelsénien,une réflexion de Monsieur Germain Tiérowé DABIRE”

  1. OUALI dit :

    Raisonnement impeccable aboutissant à une solution irréprochable

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