Les théories de la responsabilité civile : pourquoi suis-je tenu de réparer un dommage ?

La coexistence des individus en société entraine au quotidien des dommages résultant de l’entrecroisement des activités humaines. Quand une personne est victime d’un dommage qui l’atteint dans sa chair, dans ses sentiments ou dans ses biens, elle va chercher à en effacer les conséquences. Ces dommages ne peuvent rester sans réparation car l’absence de réparation ou de compensation pourrait compromettre le droit d’existence de chacun. Ne pouvant donc  empêcher le dommage on ne peut qu’en présence de celui-ci se poser alors la question courante « qui a fait cela ? » tout simplement pour en rechercher les responsables en vue de la répartition des préjudices causés. La responsabilité civile occupe une place sans cesse croissante dans l’activité des tribunaux, dans la littérature juridique, dans la vie de chacun de nous. D’où l’intérêt de s’intéresser aux  théories qui la sous-tendent. La question  qui se pose quand on évoque cette notion est relative aux fondements de l’obligation de réparer .Ainsi quelle justification  permet de retenir la responsabilité d’une personne envers une autre ? En d’autres termes sur quel fondement peut-on mettre légitimement à la charge d’une personne l’obligation de réparer un dommage ? L’interrogation met en exergue les fondements de la responsabilité civile. Dans les lignes qui suivent nous esquisseront donc ces fondements. Déjà que faut –il entendre par responsabilité? Retenons avec Gérard CORNU que  la responsabilité « est l’obligation de répondre des dommages devant la justice et d’en assumer les conséquences civiles, pénales, disciplinaires etc. » La responsabilité civile peut être donc définie au regard de son effet caractéristique comme  «  toute obligation de répondre civilement du dommage qu’on a indûment causé à autrui de  sorte à le réparer en versant une somme d’argent  ou par équivalent. » [1]. De ces définitions, il ressort  que la responsabilité civile renvoie à une obligation de réparation. Mais à la question de savoir sur quelle justification repose cette obligation ; plusieurs théories ont été avancées. Cependant nous nous intéresseront à deux principales théories.

Il s’agit en premier lieu de la théorie fondée sur la faute. Le jurisconsulte Domat  a été à l’origine de cette théorie .En effet , pour lui la faute se définissant de manière générale comme une erreur de conduite au sens où l’on n’a pas agi comme on aurait dû le faire, est le socle même de toute responsabilité civile. Qu’une personne doive répondre des dommages causés par sa faute ne requiert aucune démonstration syllogistique. Cela semble naturel, du bon sens, cela semble une exigence fondamentale de la justice. C’est cette théorie qui a sans doute  influencé les rédacteurs des articles 1382 et 1383 du code civil. C’est ce qui explique la  consécration d’un système de responsabilité civile fondé sur la faute. Ainsi l’article 1382 du code civil dispose que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer » et l’article 1383 du même code précise que « chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son propre fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence » .Il ressort de l’article 1382 du code civil la notion de faute . La « négligence » et l’« imprudence » prévues à l’article 1383 visent aussi des fautes involontaires. Les responsabilités du fait d’autrui à l’article 1384 et celle du fait des animaux que l’on retrouve à l’article 1385 supposent un défaut de surveillance, donc une faute. Enfin, la responsabilité des dommages causés par la « ruine » des bâtiments de l’article 1386 nécessite un « défaut d’entretien » ou un « vice de construction » – autrement dit, une faute. Impliquant une analyse du comportement de l’individu, cette conception de la responsabilité est dite subjective. Chacun entend agir librement mais accepte de répondre des conséquences de ses actes. C’est donc parce que le dommage est survenu par la faute de telle personne ou par les dégâts causés par telle chose dont tel individu a la garde qu’il verra sa responsabilité civile engagée. Mais faut-il se poser la question : quand est-il de la responsabilité sans faute  ou de la faute sans responsabilité? En cas d’absence de faute, sur quoi donc peut  se fonder l’obligation de réparation ? Autrement « qu’est-ce qui peut justifier qu’une personne, qui s’est comportée de manière parfaitement correcte ait à supporter les conséquences financières des dommages qu’elle a causés dans l’exercice normal de ses activités ? » Il est clair que fondé la responsabilité civile uniquement sur la faute était donc insuffisante qu’il fallait trouver de nouveaux fondements.

L’apparition  en deuxième lieu de la théorie des risques constitue, pour ainsi dire, un des premiers coups porté à l’hégémonie de la faute comme seul fondement de la responsabilité. En effet, le développement du machinisme, depuis quelques années, a été à l’origine d’accidents plus nombreux et surtout d’accidents de travail, à l’origine desquels il était le plus souvent impossible de trouver une faute. La victime se trouvant dans l’impossibilité de prouver une faute risquait de ne pas recevoir d’indemnisation. La vie quotidienne nous apporte de multiples exemples sur des cas de dommages sans faute et même de  fautes sans responsabilité .C’est l’exemple des cas d’accidents ou d’incidents sans que l’on puisse établir un lien d’avec une faute. On réalise à ce moment que la notion de faute toute imprégnée de morale et de subjectivité va paraitre trop étroite pour demeurer le seul fondement de la responsabilité civile. D’où les tentatives doctrinales et jurisprudentielles pour assurer la réparation de tels accidents à travers la théorie du risque, proposée à la fin du XIX par Saleilles et Josserand. D’une part il y’a le risque créé qui suppose que toute activité dommageable même non fautive doit être génératrice de responsabilité et d’autre part le risque-profit qui veut que celui qui tire profit de l’activité d’une chose ou d’une activité doit en contrepartie supporter la charge de réparer les dommages qu’il peut causer à autrui. Autrement dit celui qui a les profits doit accepter les pertes. C’est la jurisprudence française dans l’arrêt « Teffaine » de 1896, qui a découvert dans l’article 1384 al 1 du code civil, un principe de responsabilité du fait des choses. Deux ans plus tard, elle est relayée par le législateur français, qui a mis en place la loi du 9 avril 1898 sur les accidents de travail. Mais cette théorie montrera également ses insuffisances par le fait qu’elle a habitué les esprits à ce qu’il soit légitime d’être responsable sans avoir commis de faute. Bien qu’elle ait marqué le droit de la responsabilité, la théorie du risque n’a pourtant pas chassé le fondement de la faute. C’est d’ailleurs ce qui a poussé un auteur  à dire : « chassez la faute, elle revient au galop ».Il nous est loisible d’affirmer que la faute imprègne et continue d’imprégner tout le droit de la responsabilité civile et demeure la condition essentielle de la responsabilité civile.

    NANA Céline

Revue Juridique du Faso                                                                      

[1] Définition donnée par le vocabulaire Juridique de Gérard CORNU.

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