Equité dans la loi et dans la gouvernance, une lecture de M. SANOU Saliho


Si « Justice » et « Bonne gouvernance » étaient des biens consomptibles, il n’en resterait plus rien, au vu du nombre impensable de fois de leur mise en cause. Hommes et femmes, grands et petits, chacun trouve à notre siècle, sa place et son mot dans les débats juridico-politiques.                                                                                      Le monde des homos sapiens-sapiens est en crise, assoiffé de progrès et du juste, révolté contre ses gouvernants et récalcitrant à ses lois. Le désordre siège désormais à la place de l’ordre, les plaintes et mauvaises humeurs populaires devenues le symbole commun des ‘’cités libres’’ ; la perte d’autorité, l’identifiant des ‘’princes’’ et le « plus rien ne sera comme avant », devenu au Gondwana, le malheureux slogan d’une jeunesse déçue.

Quel est la place du droit et ce qu’il lui faut pour permettre le retour au ‘’radieux d’hier’’ dont les anciens parlent toujours et encore avec engouement et respect ? quels sont les moyens du droit comme ultime solution au malheur que le peuple du monde, dont l’Afrique et le Burkina Faso, vit sous notre soleil d’émergence ?

 C’est ce qui sera de suite analysé, l’épître de la nécessité de l’équité dans les lois et dans le gouvernement.

A.L’équité de la loi

L’équité est d’ordinaire définie comme, le principe selon lequel chacun peut prétendre à un traitement juste, égalitaire et raisonnable.

S’il est admis qu’il a « une mauvaise presse au palais »[1], cela ne vaut guère à l’assemblée des représentants du peuple qui est sensée lui accorder la majestueuse place qui lui convient au nom et pour le bien du peuple souverain. La loi doit impérativement, avant d’être une ‘’délibération régulièrement promulguée par l’assemblée nationale’’[2], ‘’une règle ou ensemble de règles générales-abstraites-impersonnelles et incontestables’’[3], être un acte de sauvegarde de l’équité et de l’éthique sociale. Rationnellement parlant, en ce qu’elle est le miroir de ses artisans qui sont le reflet du peuple, la loi est et doit rester l’image du peuple. Comme l’a chanté le Sieur Montesquieu depuis 1748 dans l’esprit des lois, « elles doivent être tellement propre au peuple pour lequel elles sont faites, que c’est un très grand hasard si celles d’une nation peuvent convenir à une autre[…], elles doivent être relatives au physique du pays, au climat glacé, brûlant ou tempéré ; à la qualité du terrain, à sa situation, à sa grandeur ; au genre de vie des peuples, laboureurs, chasseurs, ou pasteurs ; elles doivent se rapporter au degré de liberté que la constitution peut souffrir ; à la religion des habitants, à leurs inclinaison »[4].  Ces caractéristiques essentielles liées à la relativité des lois sont inhérentes à leur équitabilité. Ce qui induit le besoin, la nécessité et surtout l’urgence de mettre fin aux bricolages et extrapolations législatifs qui deviennent progressivement la légistique formelle dans les Etats Africains, surtout ceux liés à la nation Française par les cordes du passé.

 B.L’équité des lois : entre philosophie, histoire et religion

Pour qui se demanderait subconsciemment ou sciemment ce qu’il faut fondamentalement entendre par équité dans les lois, il serait bon à répondre que la notion d’équité est par son contenu demeurée au fil du temps, indispensable au règlement des conflits humains.

D’abord, l’équité est une règle de nature fluide se dégageant à travers la culture personnelle de la raison et de la justice naturelle. M. Leroy illustrait cet état de fait par ce qu’« il y’a dans le cœur de tous les hommes, un sentiment de l’équité, qu’ils ne peuvent méconnaître »[5]. L’équitable fait donc parti du propre de l’être humain.

Karl Strupp analysant une lettre identifiée dans les écrits issus d’une célèbre affaire donne plus de précision sur les vertus susceptibles de déclencher le sentiment d’équité sommeillant au fond de tout humain comme suit : « Afin que la constatation survenue puisse être discutée plus aisément et sans confusion, nous vous invitons à députer, de part et d’autre, des gens paisibles et dégagés de toute passion, lesquels pourront conférer avec nous en toute confiance et sûreté ; et nous entendrons avec patience tout ce qu’ils pourront dire et proposer»[6]. Les éléments tels que la paix intérieure ou l’impartialité, la dignité de confiance, l’ouverture d’esprit et la patience constituent donc entre autres les fondamentaux de l’équitable.

Appréhendées avec plus d’attention, les sources de l’équité nous renvoient au-delà de l’être humain, elles se révèlent étroitement liées à la métaphysique, au surnaturel ; c’est-à-dire, au divin.  Par conséquent, S’il existe une formule magique pour aboutir à la réussite et à l’émergence promise au peuple Africain, ce serait pour les gouvernements et parlements des Etats, comme l’a préconisé Domat très tôt, d’« enfermer Dieu lui-même à l’intérieur du corps des lois »[7]. N’est-il d’ailleurs pas dit, « Malheur à ceux qui méditent l’iniquité et qui forgent le mal Sur leur couche ! Au point du jour ils l’exécutent, Quand ils ont le pouvoir en main »[8], ou encore « malheur à ceux qui font des lois iniques »?

L’équité se révèle ainsi simultanément en valeur Divine, philosophiquement appréhendée par le biais du temps historique. Ses exploits dans le domaine de la justice le prouvent à suffisance.

C.La justice et l’équité face aux conflits globaux

Il est à retenir que l’équité est au regard des précédents, un sentiment, une valeur, une norme accordée par l’opportunité et agréée par Dieu (pour les croyants), pour la résolution des conflits de toutes natures. Par ses caractéristiques, elle a noué des liens très étroits avec la règle de droit émanant des sources formelles et les vertus estimées par les classes sociales de tous bords.

 L’arbitrage, la médiation et la conciliation ont faits leurs preuves dans les élans de l’histoire. Face aux entre-déchirements qui partent de crescendo entre les trois pouvoirs du Cher Montesquieu dans la quasi-totalité des Etats modernes ; au Burkina Faso en particulier où le spectacle commence à se faire aigre d’une part entre les juges et leurs collaborateurs, et de l’autre entre le judiciaire et l’exécutif, le tout couronné d’un jeu silencieux de cache-cache au parlement. L’heure est suffisamment au-delà de l’état de nature où la séparation des pouvoirs est essence d’équilibre des forces. Mais là aussi, l’homme n’est-il pas loup pour l’homme ?

Le dialogue (politique ou social) est le propre des humains et l’arbitrage en est une voie belle.

L’équité était ainsi la norme concurrente de la règle de droit en matière d’arbitrage dans la quête de la résolution idoine des conflits.

 Des récits antiques, il ressort qu’était mentionnée sous préface du manuel d’Institutes de l’Empereur Justinien, la sublime formule qui suit : « La Majesté impériale ne doit pas seulement être illustrée par les armes, elle doit aussi être armée par les lois :  ceci, afin … que le prince soit victorieux non seulement de ses ennemis dans les batailles mais aussi en réprimant les iniquités des malfaiteurs à l’aide des lois »[9].

L’équité était donc une affaire publique, une vertu fondamentale pour toutes les classes de la société et surtout, une arme au service du souverain, destinée à fortifier son règne par la justice.

Les grecs et les romains en ont vécu l’expérience avant d’en faire un actif du patrimoine universel. C’est également à la base de ce rapport que le droit produit dans toute assemblée d’Hommes se doit d’être équitable.

Ulpien, par sa magnifique formule : « jus art boni et aequo »[10] épuise à elle seule la substance de ce titre. Ainsi perçue, la règle de droit devient astreinte, quant à son sens, sa cause, sa portée et sa validité au respect indélogeable du principe de l’équité. Cette idée se conçoit aisément en ce que le but de la loi et toute autre forme d’expression de la règle juridique est en principe la justice sociale qui se vide de sens dès l’instant qu’elle se vide d’équité et du bien. « L’équité se trouve donc dans le droit »[11] comme le formulait Madame Signorile et l’aspiration des individus à une justice équitable est plus qu’une expression de l’autonomie légale dont ils disposent, un sentiment naturel et légitime qui détermine le sens de la procédure et caractérise la vérité de ses notions basiques.

 C’est en cela que Ulpien dans sa philosophie, en parlant des justiciers au sens large trouvait que : « C’est à bon droit que l’on nous qualifie de prêtres, car nous exerçons la justice et nous faisons connaître ce qui est bon et équitable, séparant l’équité de l’iniquité… »[12]. L’assimilation faite des hommes de justice aux prêtres ne relève d’aucune ambiguïté dans la mesure où ces derniers sont censés connaitre à perfection la loi divine tout en ayant atteint l’absolue de la sagesse humaine qui constituent les véritables sources de l’équité et de la justice. En somme, la loi doit être équitable.

La justice est un besoin social. Pour y aboutir, les bons moyens sont exigés et l’équité ne parait pas la moindre des bonnes règles en la matière. Aristote nous l’avait révélé depuis longtemps quand sa réflexion le portait à affirmer que « tout ce qui est conforme à l’équité est juste ». De là, une loi équitable ne peut alors qu’être juste et bonne.

D.L’équité dans le gouvernement et dans la gouvernance

Par Gouvernement, entendons ici sans toutefois tomber dans la philosophie grecque ; l’acte de gouverner, l’art de gérer la cité. Rien que par les constitutions, sources primordiales et suprêmes des Etats modernes, il est notoire depuis des lustres que les citoyens naissent libres et égaux en droit[13]. Cette liberté juridique, traduit en termes d’actions politiques à l’échelle administrative est une voie solide de cheminement vers la bonne gouvernance et la justice sociale en y mêlant la dose d’équité requise.

 Les autorités politique doivent au citoyen alpha, une marque de respect et de considération sans distinction ni discrimination aucune par rapport au citoyen lambda. Cette facette de l’équité veut que ce soit avec un soin plein de sollicitude que les gouvernements soient constitués, que les rôles dans l’exécution des lois équitablement votées soient attribués, que les contrôles rigoureux soient effectués par des hommes et femmes dignes de confiance et de conscience, que la responsabilité soit mise sur les épaules de tout acteur tel un fardeau explosif à manier avec humilité, prudence, sincérité et sagesse ; que les gardiens des trésoreries des administrations publiques soient éprouvés avant, pendant et après leur garde en bon peur de famille car : «  ce n’est point avec des hommes perdus de mœurs et de vices, menant une vie désordonnée, sacrifiant tout au plaisir, présentant une âme dominée par un corps corrompu, et bien plutôt disposé à faire le mal que le bien, qu’on peut attendre une exécution exacte des lois »[14]. Cela, par ce que les traitements de faveurs inexpliqués et discriminants, les rapports de camaraderie et de consanguinité, les tolérances coupables ne sont point des voies équitable ou fiable dans la recherche d’une excellente gouvernance.

En sus, sans appelé au nationalisme exacerbé, il faudrait que les dirigeants des Etats Africains commencent à inclure dans leur code secret, pour le bien de leurs peuples, le dicton aimé de ceux du Nord selon lequel, « La charité bien ordonné commence par soi » ; une forme d’équité subjective importante ; et combien le savent les étudiants noirs en occident !

Il est bon de se souvenir de la belle pensée de Mandar, dans la pétition adressée au servants du peuple souverain de la France médiévale qui, en quête de retour au convenable disait : « ‘’sans la justice, votre autorité cesse’’ ; ‘’sans l’accord de la justice et l’harmonie des vertus, le gouvernement cesse d’être respectable’’ »[15] et qu’il est « une faute grave de substituer à la souveraineté de la loi, la souveraineté d’un individu a mille passions »[16].

Pour en finir, l’idée clé qui reste à être perçue et comprise est la conscience par tous, que la reconnaissance des droits de celui qui remplit des devoirs, est non pas seulement un acte d’équité mais aussi un acte d’intérêt public. Le refus du juste et de l’équitable crée l’antagonisme et, par suite, la disposition d’une force pour le combattre[17]. La loi n’est loi, le pouvoir n’est puissant, la justice n’est véritable que lorsqu’ils se mettent tous ensemble au service d’un peuple faible et besogneux.

Par M. SANOU SALIHO, étudiant en Master droit international et droit comparé des espaces francophones, Université de Perpignan Via Domitia.

M.SANOU est passé par l’Université  U-AUBEN-Bobo ainsi que  l’Université Nazi Boni de Bobo Dioulasso.

[1] Leroy Maxime, « du rôle judiciaire de l’équité », journal d’annonce Judiciaires et Légales, n°1 fr. 75. Du 22 février 1931, lll, p. 235

[2] Vr. Article 97 de la constitution burkinabè

[3] Définition matérielle de la loi (comprenant tous les actes législatifs règlementaires de portée générale)

[4] Montesquieu, De l’Esprit des lois, 1748, Livre 1, Chapitre 3.

[5] Leroy Maxime, op. cit., p. 235

[6] Strupp Karl, Le droit du juge international de statuer selon l’équité [en ligne],1930, éditeur inconnu, p. 369, Publié par Martinus Nijhoff,

[7] Renoux-Zagamé, op. Cit., p. 62

[8] Segond Luis (trad.), La Sainte Bible (L’Ancien Testament et Le Nouveau Testament), 1887, ll,

 Michée 2 : 1

[9] Carbasse Jean-Marie, Les 100 dates du droit. Presses Universitaires de France, « Que sais-je ? », 2015, p. 31

[10] Le droit est l’art du bon et du juste

[11] Signorile Alma, op. Cit., p. 30

[12] Cité par Carbasse Jean-Marie, op. Cit., p. 22

[13] Cette déclaration est contenue dans les constitutions des Etats, notamment celle du Burkina Faso.

[14] Lavaud, Jean, De l’Équité, comme principe et comme mesure de tous les gouvernements. Suivi des Conseils aux citoyens pour obtenir une assemblée nationale de représentants du peuple…, p. 6

[15] Mandar, Théophile (1759-1823). Auteur du texte. Pétition adressée aux Représentants du peuple, composant le Conseil des Cinq-Cents. – Observations de Théophile Mandar sur la présente pétition

[16] Aristote, Politique, t.1, p. 303

[17] Deschapelles (1780-1847). Auteur du texte. La loi du peuple / par les citoyens Deschapelles et O’Reilly. 1848, P. 11

Un commentaire sur “Equité dans la loi et dans la gouvernance, une lecture de M. SANOU Saliho”

  1. Sanon Yacouba dit :

    Une contribution intéressante. Le débat aujourd’hui est mal engagé. Des éclairages de ce type sont les bienvenues

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