Le 13 février 2020, le Conseil Constitutionnel a été saisi par le Conseil d’État suite à une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC)[1]Posée pour les associations « La Quadrature du Net» (LQDN), French Data Network, Franciliens.Net et la « Fédération des fournisseurs d’accès à Internet associatifs » (FFDN) visant l’article L. 331-21 du code de la propriété intellectuelle, en particulier ses alinéas 3, 4 et 5.
Plus précisément, les associations requérantes estiment que les dispositions de l’article L331-21 du Code de la propriété intellectuelle méconnaissent le droit au respect de la vie privée, la protection des données à caractère personnel et le secret des correspondances. Elles leur reprochent, en effet, d’autoriser les agents de la Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet (HADOPI)[2] à se faire communiquer tous documents, quel qu’en soit le support, y compris les données de connexion, sans limiter le champ de ces documents ni prévoir suffisamment de garanties.
En effet, selon le texte, les agents de la HADOPI sont habilités à accéder aux données de connexion détenues par les fournisseurs d’accès : « Ils peuvent, notamment, obtenir des opérateurs de communications électroniques l’identité, l’adresse postale, l’adresse électronique et les coordonnées téléphoniques de l’abonné dont l’accès à des services de communication au public en ligne a été utilisé(…) ».
Pour comprendre la portée de ce recours et de la décision du Conseil constitutionnel, il sied de faire un rapide tour d’horizon du contexte.
La première étape pour la HADOPI aux fins de retrouver une personne ayant partagé une œuvre consiste à collecter l’adresse IP des personnes qui partagent sur un réseau Peer-to-Peer[3]
une œuvre soumise à droit d’auteur (la HADOPI ne s’intéresse en effet qu’au partage d’œuvres par réseau Peer-to-Peer). La finalité de ce traitement de données personnelles est d’envoyer à ces individus l’avertissement prévu à l’article L.331-25 du code de la propriété intellectuelle, dont l’objectif est de lutter contre l’infraction définie à l’article R.335-5 du même code comme « négligence caractérisée » du fait de la personne qui n’empêche pas que son accès à Internet serve à commettre des actes de contrefaçon.
Cette collecte n’est pas faite directement par la HADOPI mais par une entreprise privée, mandatée par les ayants droit. L’étape qui nous intéresse est celle qui autorise la HADOPI à obtenir, auprès des opérateurs, le nom des personnes à partir des adresses IP. Ce pouvoir lui est donné par l’article L331-21 du code de la propriété intellectuelle.
C’est la constitutionnalité de cet article, qui donne aux « agents publics assermentés » de la HADOPI un accès aux données de connexion conservées par les fournisseurs d’accès à Internet, qui est discutée devant le Conseil constitutionnel. Comme on le voit, cette disposition est au centre de l’intervention de la HADOPI. Sans elle, aucun moyen pour l’autorité de remonter à l’identité de la personne ayant partagé une œuvre. Et donc aucun moyen de la contacter et d’envoyer les mails d’avertissement.
Voici concrètement en quoi consiste la question de droit qu’à posée cette affaire et que l’on retrouve sur la QPC rédigée par l’avocat des associations :
« Les dispositions de l’article L. 331-21 du code de la propriété intellectuelle, en particulier ses alinéas 3, 4 et 5, portent-elles atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ?Notamment le droit au respect de la vie privée, le droit à la protection des données à caractère personnel et le secret des correspondances, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, et ce notamment dans la mesure où le législateur n’a pas apporté de garanties suffisantes pour respecter ces droits au regard des obligations qui lui incombent en application de l’article 34 de la Constitution »
Il a fallu attendre le 20 mai 2020 pour que le Conseil Constitutionnel rende son verdict. Le Conseil dans sa décision a jugé les derniers alinéas de l’article anticonstitutionnelles du fait que d’une part « en faisant porter le droit de communication sur « tous documents, quel qu’en soit le support » et en ne précisant pas les personnes auprès desquelles il est susceptible de s’exercer, le législateur n’a ni limité le champ d’exercice de ce droit de communication ni garanti que les documents en faisant l’objet présentent un lien direct avec le manquement à l’obligation énoncée à l’article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle, qui justifie la procédure mise en œuvre par la commission de protection des droits ».
D’autres part parce que « ce droit de communication peut également s’exercer sur toutes les données de connexion détenues par les opérateurs de communication électronique ». Et cela alors que « compte tenu de leur nature et des traitements dont elles peuvent faire l’objet, de telles données fournissent sur les personnes en cause des informations nombreuses et précises, particulièrement attentatoires à leur vie privée. Elles ne présentent pas non plus nécessairement de lien direct avec le manquement à l’obligation énoncée à l’article L. 336-3 »
Pour toutes ces raisons les sages ont estimé que « , le législateur n’a pas entouré la procédure prévue par les dispositions contestées de garanties propres à assurer une conciliation qui ne soit pas manifestement déséquilibrée entre le droit au respect de la vie privée et l’objectif de sauvegarde de la propriété intellectuelle ».
En conséquence le Conseil a déclaré « les troisième et quatrième alinéas de l’article L. 331-21 du code de la propriété intellectuelle ainsi que le mot « notamment » figurant au dernier alinéa du même article contraires à la Constitution .
Cependant, le Conseil a répondu favorablement au gouvernement, qui réclamait un report dans le temps de l’éventuelle décision d’annulation : « En l’espèce, l’abrogation immédiate des dispositions déclarées contraires à la Constitution entraînerait des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 31 décembre 2020 la date de l’abrogation des dispositions contestées ».
En conséquence, leur suppression est reportée au 31 décembre 2020, dans un peu plus de sept mois. Cet effet différé offre au gouvernement un délai bien suffisant pour qu’il prenne les dispositions juridiques afin de combler les failles juridiques à travers lesquelles se sont faufilées les associations à l’origine de cette action.
L’ abrogation des dispositions déclarées anticonstitutionnelles résulte du fait qu’il est prévu à l’article 62 de la constitution française que les dispositions déclarées contraires à la constitution ne peuvent être promulguées ni mises en application. Celles-ci sont abrogées à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision.
Par :Adnan David
La rédaction
Revue Juridique du Faso
[1]La question prioritaire de constitutionnalité est le droit reconnu à toute personne qui est partie à un procès ou une instance de soutenir qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Si les conditions de recevabilité de la question sont réunies, il appartient au Conseil constitutionnel, saisi sur renvoi par le Conseil d’État ou la Cour de cassation, de se prononcer et, le cas échéant, d’abroger la disposition législative. https://www.conseil-constitutionnel.fr/decisions/la-qpc
[2]L’HADOPI est une institution exclusivement dédiée à la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet. Ses missions sont de Protéger le droit d’auteur en rappelant au citoyen ses droits et ses devoirs et sensibiliser l’internaute à un usage responsable de l’internet
[3] Le pair-à-pair, peer-to-peer ou P2P (les trois termes désignent la même chose), définit un modèle de réseau informatique d’égal à égal entre ordinateurs, qui distribuent et reçoivent des données ou des fichiers. Dans ce type de réseau, comparable au réseau client-serveur, chaque client devient lui-même un serveur. Le P2P facilite et accélère les échanges entre plusieurs ordinateurs au sein d’un réseau.