La primauté absolue du droit communautaire toujours contestée par le juge constitutionnel béninois


Hier, 10 Juin 2020 la Cour de justice de l’UEMOA a tenu une audience sur une affaire mettant en cause la primauté du droit communautaire sur le droit interne des Etats. Il s’agit du recours N°20 R002 du 22 Janvier 2020, introduit par le Président de la commission de l’UEMOA. A l’origine de cette affaire, le Pr ERIC Dewedi agrégé des facultés de droit de nationalité béninoise qui a souhaité accéder à la fonction d’avocat s’est vu refusé son inscription par le conseil de l’ordre des avocats, refus justifié par le fait que le règlement numéro 5 de l’UEMOA du 25 Septembre 2014 fait état de ce que la fonction d’avocat n’est compatible qu’avec la fonction d’enseignant vacataire. Toute chose impliquant  que l’enseignant titulaire ne peut exercer la fonction d’avocat. L’article 35 du règlement dispose à cet effet que « La fonction d’avocat est compatible avec la fonction d’enseignant vacataire » Pourtant la loi de 1965 qui régit le barreau au Bénin dans l’un de ses articles autorise les professeurs agrégés à accéder à la fonction d’avocat. C’est ce  dernier aspect qui a été à l’origine de l’affaire que  la Cour a instruit et mis en délibéré. En effet, ayant vu sa demande aux  fins de son inscription au barreau rejetée, Monsieur Eric Dewedi a exercé un recours devant la Cour constitutionnelle béninoise contre le rejet de son inscription au tableau de l’ordre des avocats du Bénin. Pour lui, l’ordre des avocats en refusant son inscription au barreau a violé le principe d’égalité découlant de la Constitution dans la mesure où d’autres professeurs agrégés, avant lui ont vu leurs demandes acceptées en vertu de l’article 20 de la loi n°65-6 du 20 Avril 1965. Notons que cette loi institue une voie dérogatoire pour l’accès à la profession d’avocats au Bénin pour les professeurs agrégés en les dispensant de stage.

Toutefois, le barreau du Bénin a justifié le refus de son inscription par le fait qu’un acte communautaire, en l’occurrence le règlement n°05/CM/UEMOA du 25 Septembre 2014 relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’avocat dans l’espace UEMAO empêche aux enseignants permanents d’exercer la fonction d’avocat, établissant là une incompatibilité par déduction entre la fonction d’enseignant permanent et celle d’avocat pourtant accepté ou autorisé par la loi n°65-6 du 20 Avril 1965.

La Cour constitutionnelle béninoise saisie de la requête du sieur Eric a estimé que le règlement n°05/CM/UEMOA du 25 Septembre 2014 ne saurait faire obstacle en l’espèce à l’inscription des enseignants permanents au barreau du Bénin dans la mesure où une loi béninoise antérieure consacre un avantage supérieur aux citoyens contrairement à l’acte communautaire. En fait, la Cour constitutionnelle a estimé tout simplement que le Droit national antérieur prime sur  le droit communautaire toutes les fois qu’il consacre des droits ou des avantages supérieurs aux citoyens comparativement au droit communautaire. Une telle position étant à n’en point douté contraire à l’article 6 du traité UEMOA, et donc au Droit communautaire, la Commission de l’UEMOA a saisi la Cour de justice de l’UEMAO afin qu’elle se prononce sur les errements juridiques de la Cour constitutionnelle béninoise. En effet, ledit article : « Les actes arrêtés par les organes de l’Union pour la réalisation des objectifs du présent Traité et conformément aux règles et procédures instituées par celui-ci, sont appliqués dans chaque Etat membre nonobstant toute législation nationale contraire, antérieure ou postérieure ».   La Commission tout en soutenant que la Cour constitutionnelle béninoise n’avait pas compétence à se prononcer sur l’application de l’acte communautaire dans l’hypothèse où il existe un doute sur la contrariété entre un acte communautaire et une loi nationale, et donc qu’elle se devait de saisir la Cour de l’UEMOA d’une question préjudicielle, a estimé que la Cour constitutionnelle béninoise a fait une mauvaise application du droit communautaire.

En prenant en compte ces développements, la Cour a déclaré la requête de la Commission recevable en la forme et bien fondée. Toutefois, l’affaire est mise en délibérée le 08  Juillet.

Le même jour la Cour a connu le recours N°19 R 001 du 7 Janvier 2019, en responsabilités et en indemnisation de Madame ZOMBRE née ZIDA Léontine Marie Florence et Monsieur Honorat AADJOVI tous deux juges révoqués par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement. Estimant avoir été révoqués avant la fin de leur mandat, et donc qu’ils ont subi un dommage, ces requérants demandent réparation. Après avoir écouté le juge rapporteur la Cour a décidé de mettre l’affaire en délibérée le 08 Juillet 2020.

Par: ZAN Daouda et ZOROME Noufou

La Rédaction

Revue Juridique du Faso

3 thoughts on “La primauté absolue du droit communautaire toujours contestée par le juge constitutionnel béninois”

  1. David Beavogui dit :

    Pertinent
    L’avocat égal à indépendance

  2. Ansoumane Kpoghomou dit :

    C’est intéressant ce que j’ai lu dans la motivation de CC Beninoise. Des citoyens se voient lésés par un texte communautaire intervenu postérieurement à la consécration d’un de leurs droit. Et surtout pas le moindre.

    Cela pose le problème de réserve lors de la ratification des traités par les États.
    Avant de parapher les textes communautaires, les ont la possibilité de faire des réserves sur un ou plusieurs articles du traité qu’ils estiment non intéressants pour être appliqués sur leur territoire.

  3. Moïse dit :

    Les sages béninois ont non seulement empiété sur la compétence du juge communautaire en indiquant ce qu’insinue l’article 5 du règlement communautaire mais aussi remis en cause la primauté du droit communautaire qui l’emporte sur le droit interne antérieur et postérieur.
    Cette situation perçue comme une fronde vis à vis du système communautaire peut trouver d’explication dans deux raisons : Dans premier temps par la sous-information du juge béninois qui n’est peut être pas suffisamment imprégné du droit de l’intégration, car quoi qu’on dise après 20ans de vie communautaire, c’est l’ignorance du nouveau droit par le monde judiciaire des États membre qui domine les ombres du tableau du processus d’intégreration en Afque de l’ouest.
    Dans un second par l’instinct nationaliste des juges internes qui ont du mal à admettre qu’un juge issue d’un ordre juridique nouveau puisse influer sur le champ de leur compétence.
    De tous les cas, cette culture de résistance est inhérente au droit de l’intégration, porteur des règles jugées trop destablisantes pour l’ordre juridique interne.

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