La sorcellerie en droit burkinabé et comparé


Selon les anthropologues, la croyance en des forces surnaturelles et la pratique des rites magiques ou sorcières pour mettre en mouvement ces forces dans le but de nuire, de porter atteinte aux personnes et aux biens a existé de tout temps et dans toutes les cultures, et ce, quel que soit leur degré d’évolution.
La croyance en la sorcellerie démoniaque s’est répandue à partir de la fin du XVème siècle. Jusqu’au XVIIe siècle, des vagues de répression se succèdent dans tous les pays d’Europe (France, Allemagne, Angleterre, Italie) et même en Amérique. Mais si les accusations de sorcellerie ont pratiquement disparu aujourd’hui dans le monde occidental, elles restent persistantes dans un grand nombre de pays africains.
En effet, les croyances à la sorcellerie font partie de la vie quotidienne des populations africaines, mais aussi de leurs systèmes judiciaire .Elles se manifestent surtout à travers des accusations et des stigmatisations qui débouchent soit sur des plaintes et incriminations, soit sur des actes d’extrême violence. Les accusations de sorcellerie conduisent à des traitements inhumains allant fréquemment jusqu’à la mort des personnes désignées à la vindicte collective. Dans certains pays africains les accusations de sorcellerie sont portées devant les institutions Républicaines car dans le système judiciaire de ces pays, la « pratique de sorcellerie », associé à « la magie » ou au « charlatanisme » est définie et sanctionnée en tant que délit ou crime. C’est le cas du Cameroun, Sénégal, Tchad, Mali, Gabon, la Centrafrique, Côte d’ivoire, Bénin .Au Gabon par exemple l’article 310 du Code pénal indique que «Quiconque …s’est livré à la pratique de sorcellerie ,de la magie ou du charlatanisme susceptible de troubler l’ordre public ou de porter atteinte aux personnes ou à la propriété ,est puni d’un emprisonnement de dix ans au plus et d’une amende de 5 000 000 au plus ,ou de l’une de ces deux peines seulement ».C’est également le cas au Cameroun où l’article 251 du Code pénal 2016 du 12 juillet 2016,,intitulé « Pratiques de sorcellerie » puni « d’un emprisonnement de deux(02) à dix ans et d’une amende de cinq mille(5000) à cent mille(100 000),celui qui se livre à des pratiques de sorcellerie, magie ou divination susceptibles de troubler l’ordre ou la tranquillité public, ou de porter atteinte aux personnes ,aux biens ou à la fortune d’autrui, même sous forme de rétribution ». En terre ivoirien, la sorcellerie, la magie et les pratiques de charlatanisme susceptibles de troubler l’ordre public ou de porter atteinte aux personnes et aux biens sont punis d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende allant de cent mille à 1 000 000 francs.
Au Bénin, la sorcellerie est appréhendée par le paragraphe 1 de la section VI du Titre II du Code Pénal de 2018 .Elle est sévèrement punie au Bénin car l’article 458 indique qu’est puni de la réclusion criminelle de dix ans à 20 ans ,quiconque s’est livré ou a participé à des pratiques de sorcellerie ,de magie ou de charlatanisme ,susceptibles de troubler l’ordre public ou de porter atteinte aux personnes et aux biens. La remarque que l’on fait à travers cette disposition est que le législateur n’a pas prévu une amende en complément de la peine privative de liberté.
Au Mali la sorcellerie est aussi une infraction au terme de l’article 281 de la loi N°2016-39 du 7 juillet 2016 portant Code pénal au Mali. En Centrafrique, elle tombe sous le coup des articles 149 à 151 du Code pénal centrafricain. Au Tchad, elle se trouve définie à l’article 189 de la loi N°2017-01 du 08 mai 2017 portant Code pénal au Tchad comme étant la commission de« pratiques de divination ou de magie n’obéissant à aucune règle de logique et dont les résultats sont de nature à troubler la paix publique ,à opposer des individus les uns aux autres ou à susciter des actes de vengeance ». En conséquence elle est assortie d’une peine d’emprisonnement d’un mois à deux ans et d’une amende de 5000 à 50 000 FCFA, et cela sans préjudice des peines encourues pour atteinte aux personnes, escroquerie ou toute autre crime ou délit.
Patrice YENGO, anthropologue politique congolais, dans son article sur l’ouvrage collectif intitulé « justice et sorcellerie, colloque international de Yaoundé, 17 -19 mars 2005 », rappelle que le législateur colonial avais pris en compte ce phénomène, en adoptant par décret colonial du 6 mai 1877, un code pénal dit « Code pénal de l’Afrique Occidentale française », et donc rendu applicable aux seules colonies et punissant aux termes de l’article 264, « quiconque aura participé à une transaction commerciale ayant pour objet l’achat ou la vente d’ossements humains ou se sera livré à des pratiques de sorcellerie, magie ou charlatanisme susceptible de troubler l’ordre public ou de porter atteinte aux personnes et aux biens » C’est dire que le législateur colonial était imprégné de cette supposée « réalité africaine »
Après les indépendances, les nouveaux Etats africains, en se dotant d’un code pénal propre, ont alors gardé, pour ainsi dire, ces dispositions dans leur arsenal répressif.
Toutefois, cela n’est pas ou n’est plus le cas de certains pays qui pour certaines raisons ont préféré ne pas reconnaitre l’existence des pratiques occultes ou mystiques destinées à tuer ou à faire du mal à autrui relevant de la sorcellerie. Dans ces pays nul ne peut être poursuivit pour faits de sorcellerie car les pratiques qui la déterminent ne sont reconnues par le législateur, encore moins incriminées par lui. C’est le cas précisément du Burkina Faso où la sorcellerie n’est pas définie comme une infraction. Mais si la sorcellerie ne constitue pas une infraction au Pays des Hommes intègres, il en va autrement de l’accusation de sorcellerie. Cela va de soi. En effet, il ne peut en être autrement car un vide juridique se ferait amèrement sentir.
A la lumière de l’article 514-1 du nouveau Code pénal Burkinabé, est accusation de sorcellerie et constitutif d’une infraction « toute imputation, à une ou plusieurs personnes, de faits d’ordre magique, abstrait, imaginaire, surnaturel ou paranormal qui ne peut être matériellement ou scientifiquement prouvée et qui est de nature à porter atteinte à l’honneur, à la réputation, à la sécurité ou à la vie de celle-ci »
Dés lors toute personne reconnue coupable ou complice d’accusation de pratique de sorcellerie est punis « d’une peine d’emprisonnement de un à cinq ans et d’une amende de deux cent cinquante mille (250 000) à un million (1 000 000) de francs CFA » suivant les termes de l’article 514-3 du code pénal. La peine d’emprisonnement est de trois à cinq ans dans les cas où l’accusation de sorcellerie a donné lieu à l’exclusion sociale de la victime ; Des coups, blessures et voies de fait sur la victime ; Des dégradations de biens mobiliers et immobiliers. En cas de décès de la victime, l’infraction est puni d’une peine d’emprisonnement de cinq ans à dix ans et d’une amende de deux cent cinquante mille (250 00) à deux millions cinq cent mille (2 500 000) francs CFA»
Si la non définition de la sorcellerie en infraction suscite légitimement que l’on se pose la question de savoir si le législateur Burkinabé ne croit pas en la sorcellerie pour ne punir que « l’accusation de pratique de sorcellerie », on pourrait aussi légitimement penser qu’il veut éviter à la loi burkinabé d’être soumise à l’épreuve de la matérialité des faits ou du lien de causalité. La sorcellerie étant un acte métaphysique, immatériel.
Rappelons que pour qu’une infraction soit constituée, il faut la réunion d’un élément légale « pas de crime, pas de peine sans loi », morale « pas de crime ou délit sans intention de la commettre » et matériel qui est la réalisation même de l’infraction, la façon dont elle va prendre corps. Le droit pénal burkinabé s’étant focalisé sur « l’accusation de sorcellerie » et pas sur la pratique de sorcellerie retient en son article 514-1 comme élément matériel « tout fait, tout acte qualifié de charlatanisme, d’occultisme, par des rites ou propos, discours et cris tendant à accuser autrui d’un ou de plusieurs faits d’ordre surnaturel ou paranormal, qui ne peuvent être matériellement ou scientifiquement prouvés », et comme élément morale « la connaissance des conséquences dommageables de l’acte d’accusation sur la victime telles que le déshonneur, l’exclusion sociale, les violences et les voies de fait ».
La question de complicité est également mentionnée dans le code. L’article 514-2 identifie les complices de l’infraction d’accusation de pratique de sorcellerie comme :
– « Ceux qui ont procuré tout moyen ou instrument ayant servi à détecter prétendument une personne comme pratiquant de la sorcellerie ;  Ceux qui ont, avec connaissance, aidé ou assister l’auteur ou les auteurs de l’action dans les faits, qui l’ont préparée, facilitée ou consommée ;
– Ceux qui ayant eu connaissance de pratiques occultes visant à détecter prétendument des personnes pratiquant la sorcellerie n’auront pas informé les autorités administratives ou judiciaire ;
– Ceux qui ont recélé des personnes présumées auteurs ou coauteur de l’infraction ;
– Ceux qui ont fourni des supports aux écrits et propos accusant une ou plusieurs personnes de pratique de sorcellerie. »
Il faut comprendre que la question de la sorcellerie n’est pas traitée de manière uniforme dans tous les pays d’Afrique. Dans certains pays africains tel que la Cote d’Ivoire, la Centrafrique, le Cameroun, le Tchad…le législateur reconnait l’existence des pratiques occultes et mystiques relevant de la sorcellerie, d’où l’incrimination des actes de sorcellerie. Ce qu’il faut cependant distinguer c’est que les différentes dispositions ne précisent pas que la sorcellerie est punie en tant que telle. Ce qui constitue une infraction et réprimé ce sont les pratiques de charlatanisme, de sorcellerie ou de magie susceptibles de « troubler l’ordre public ou de porter atteinte aux personnes ou aux biens ». C’est dire alors qu’un individu a beau être « sorcier », ses actes ne peuvent l’exposer à des condamnations pénales que s’ils sont de nature à troubler l’ordre public ou à porter atteintes aux personnes ou aux biens. Dans d’autres pays par contre, notamment le Burkina Faso, la sorcellerie n’est point reconnue, donc ne constitue pas une infraction passible de sanctions pénales. En revanche, l’accusation de sorcellerie est bel et bien une infraction.
En France, la sorcellerie est décriminalisée depuis 1682. Cette décriminalisation est issue d’une longue pratique judiciaire sous l’impulsion du parlement de Paris. Après une longue période de chasse aux sorcières, les membres de la haute magistrature vont rapidement prendre de la distance vis-à-vis des œuvres de démonologie, pour se tourner vers une tendance jurisprudentielle bienveillante envers les accusés de sorcellerie.

Par NOMBRE David Adnan
La Rédaction
Revue Juridique du Faso

Références
-Code penal burkinabé de 2018 ;
-Code pénal camerounais
-Code pénal ivoirien ;
-Code pénal Tchadien
-Code Pénal malien ;
-Code pénal centrafricain

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