Cour de Cassation
Recours QPC N° :0001
Pour :Madame X, domiciliée à Limoges
représentée par Maître Fabien KOALA, avocat au Barreau de Limoges domicilié au 15 Place des Carmes
Demandeur à la question prioritaire de constitutionnalité
Dans l’instance l’opposant à :
Monsieur le Procureur de la République
I – FAITS ET PROCÉDURE
Rappel des faits et/ou de la procédure :
Mme X a causé involontairement la mort du chien de son voisin en voulant le battre pour le faire taire. Cela s’est produit parce qu’elle ne supportait plus les nuisances sonores que l’animal continuait à lui infliger malgré les multiples plaintes auprès du propriétaire.
Alors elle est jugée et condamnée en première instance à 10 ans d’emprisonnement et 70 000€ d’amende sous l’empire d’une loi modificative du code pénal du 27 novembre 2018 qui prévoit désormais une telle sanction. Cela, sans préjudice de la sanction civile prévue par un nouvel article 1243-1 du code civil qui est de 10 000 euros au bénéfice du propriétaire de l’animal.
II – DISPOSITION(S) LÉGISLATIVE(S) FAISANT L’OBJET DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
Le régime de la sanction pour violences sur les animaux est fixé par l’article 521-1 du Code pénal.
Cet article définit le comportement répréhensible de violences sur les animaux et prévoit la peine encourue en cas de commission de cette infraction.
Aux termes de l’article 521-1 du Code pénal :
« Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, doit être considéré comme une atteinte volontaire à la personne et doit être punie comme tel en termes d’emprisonnement. Une amende de 70 000 euros est également encourue.
Le tribunal compétent reste le tribunal correctionnel ».
Il échet de constater qu’en sus un nouvel article du Code civil est également créé pour administrer une sanction civile à l’auteur de l’infraction. L’article 1243-1 précise dorénavant que : « La personne condamnée au titre de l’article 521-1 du Code pénal devra réparer le propriétaire.
La somme devra être versée pour moitié à une association de protection des animaux choisie par le propriétaire parmi une liste préétablie. La somme restante revient au propriétaire ».
III – DISCUSSION
• L’article 61-1 de la Constitution dispose : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ».
• 2) L’article 23-4 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution prévoit que « dans un délai de trois mois à compter de la réception de la transmission prévue à l’article 23-2 ou au dernier alinéa de l’article 23-1, le Conseil d’État ou la Cour de cassation se prononce sur le renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Il est procédé à ce renvoi dès lors que les conditions prévues aux 1° et 2° de l’article 23-2 sont remplies et que la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux. »
Les 1° et 2° de l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 précitée subordonne la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité aux conditions suivantes : « 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances (…). »
Le présent mémoire démontre que les trois conditions précitées sont remplies et justifient de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.
A) La disposition contestée constitue le fondement des poursuites
Madame X a été condamnée à 70 000 euros d’amende et à 10 ans de prison et entend contester la constitutionnalité d’une telle peine dont elle a fait l’objet. La question prioritaire de constitutionnalité posée est d’une application directe à l’affaire dont la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Limoges est saisie et impose pour ce motif qu’elle soit transmise au Conseil constitutionnel dans le délai de trois mois prescrit par les dispositions de l’article 23-4 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 précitée.
La question posée est d’autant plus déterminante que les décisions du Conseil Constitutionnel s’imposent à toutes les autorités politiques, administratives et juridictionnelles.
Par un arrêt de l’Assemblée du 20 décembre 1985, SOCIETE DES ETABLISSEMENTS OUTTERS, le Conseil d’État a expressément reconnu être lié par la jurisprudence du Conseil Constitutionnel et a considéré devoir faire une application de la loi qui soit conforme à l’interprétation donnée par le Conseil Constitutionnel.
Le Conseil d’État étend logiquement sa jurisprudence aux réserves d’interprétation posées par le Conseil Constitutionnel.(cf Arrêt d’Assemblée du 11 mars 1994 SA 5)
La Cour de Cassation a également reconnu l’autorité des décisions rendues par le Conseil Constitutionnel par un arrêt d’Assemblée plénière du 10 octobre 2001.
B) La question de la conformité de l’article 521-1 du Code pénal à la Constitution n’a jamais été examinée par le Conseil Constitutionnel
Madame X souhaite soumettre au Conseil Constitutionnel la question de savoir s’il est conforme à la Constitution de prévoir une peine allant jusqu’à 10 ans de prison ferme lorsqu’un animal domestique ou apprivoisé est tué, cette peine conduisant à priver un homme de sa liberté pendant une très longue durée.
Il convient tout d’abord d’examiner si la question de la durée de la peine privative de liberté en cas d’atteinte à l’intégrité physique d’un animal a déjà fait l’objet par le passé d’un examen par le Conseil Constitutionnel.
Il apparaît à l’examen des tables analytiques du Conseil Constitutionnel que seule la question de la non-prise en compte des courses de taureaux dans la protection des animaux contre les sévices graves a déjà donné lieu à examen par le Conseil Constitutionnel.(cf.Décision n° 2012-271 QPC du 21 septembre 2012 ).
La question de la durée de la peine cas de violences sur les animaux n’a jamais été soumise au Conseil Constitutionnel.
Elle peut donc être soumise au Conseil constitutionnel pour qu’il se prononce sur sa constitutionnalité.
C) La nouveauté de la question ou son caractère sérieux
Par son Préambule, la Constitution de 1958 renvoie aux droits de l’homme à travers la référence faite à d’autres textes antérieurs tels que la Déclaration des droits de 1789, le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 qui rappelle les « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » et proclame les « principes particulièrement nécessaires à notre temps » et la charte de l’environnement de 2004.
A coté , la jurisprudence du Conseil Constitutionnel se fixe comme objectif d’assurer le respect des droits fondamentaux notamment les droits individuels tel que la liberté individuelle c’est-à-dire la possibilité d’action et de mouvement s’opposant à la détention.
Le Conseil Constitutionnel vise expressément dans ses décisions la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.(cf.Décision n° 99-416 DC, du 23 juillet 1999).
Ce petit rappel n’est pas hors de propos, il nous permet d’invoquer la violation du principe de proportionnalité des peines par l’article 521-1 du Code pénal constitutive d’atteinte à la liberté individuelle.
– Le non-respect du principe de proportionnalité des peines
L’exigence de la proportionnalité des peines procède de l’article 8 de la Déclaration de 1789, selon lequel la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires .Cela implique que la mesure pénale, la sanction, soit nécessaire à la réalisation du but poursuivi.Une peine nécessaire renvoie notamment à une peine proportionnelle. Ainsi, le but poursuivi par la peine pénale doit être « proportionnel ».Dans notre cas,le but poursuivi est la protection des animaux contre les violences humaines. Mais peut-on considérer qu’une peine privative de liberté d’une durée de 10 ans est proportionnelle au but de protection de l’intégrité physique des animaux ?
La réponse est sans doute la négative parce que le principe de proportionnalité implique que la peine prononcée soit fonction de la gravité de l’infraction alors que la mort d’un animal, aussi regrettable soit-elle, ne présente pas un degré de gravité pouvant justifier une privation de liberté jusqu’à une durée de 10 ans. Cette peine s’apparente donc à une peine non proportionnelle à la faute commise.
Cela est d’autant plus vrai que le dispositif législatif prévoit une sanction civile largement réparatrice du dommage causé au propriétaire de l’animal. Ceci étant une sanction pénale combinée d’amende et de privation de liberté nous paraît être une ingérence disproportionnée à la liberté individuelle de Mme X.
– La violation du droit à la liberté et la sûreté
Le Conseil constitutionnel cite bien cité la sûreté comme l’un des droits de l’homme. (cf.132 DC du 16 janv. 1982, 164 DC du 29 déc.1983 et 254 DC du 4 juill. 1989) .
En 1994, par sa décision bioéthique, le Conseil Constitutionnel a également rattaché la liberté individuelle aux articles 1°, 2° et 4° de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789.
Le Conseil Constitutionnel a par ailleurs considéré que toute personne devait bénéficier de la liberté individuelle et ce, quelle que soit sa nationalité.
(cf décision 109 DC dite sécurité liberté)
Cette loi dont la disproportionnalité a été démontrée plus haut met donc en cause la liberté individuelle donc est contraire à la constitution.
PAR CES MOTIFS,
Plaise à la Cour de Cassation
• prendre acte de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions de l’article 521-1 du Code pénal pour violation des du principe de proportionnalité des peines et du droit au respect de la liberté individuelle,
• constater que la question soulevée constitue le fondement des poursuites dont est saisi la Cour d’appel de Limoges,
• constater que la question soulevée porte sur une disposition qui n’a pas été déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel dans des circonstances identiques,
Fait à Limoges le 12 mars 2020
Par:Maître Fabien KOALA
Étudiant en Master 2 droit pénal international et européen et comparé à l’Université de Limoges , Ambassadeur de la Revue Juridique du Faso en France.
Ceci est un exercice.
Revue Juridique du Faso