Bastonnades policières à l’occasion du couvre feu au Burkina Faso :quelle approche juridique ?


Quelle qualification peut on donner aux sanctions infligées aux personnes ne respectant pas le couvre feu ? Nous allons mener cette analyse dans le cadre du droit international des droits de l’homme.
Sans analyser la légalité du décret instaurant le couvre feu, nous pensons que les sanctions infligées aux personnes ne respectant pas le couvre feu résultent de la torture.
On peut se poser la question de savoir ce que c’est que la torture ?
la convention des nations unies contre la torture définit la torture dans son article premier comme étant : « tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis où est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou pour tout autre motif (…..) Lorsque telle douleur ou de telles souffrance sont infligées par un agent de la fonction publique ou tout autre agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite (….) » le comité des droits de l’homme des nations unies a repris la même définition dans l’affaire Walker et Richard c. Jamaïque ( 28 juillet 1997).
À la lecture de cette définition, on peut soutenir que la police et la gendarmerie commettent des actes de torture sur les citoyens qui ne respectent pas le couvre feu en vigueur. En effet, les contrevenants sont brutalisés tout en recevant des coups de fouet. Il s’agit là d’actes de tortures. En tout cas c’est ce qu’a retenu le comité des droits de l’homme des nations unies dans l’affaire Linton c. Jamaïque dans le paragraphe 8.5 (31 mars 1993).Dans le paragraphe 8.5 de l’arrêt cité le comité a dit clairement que le fait de recevoir des coups de matraque, de tuyau de fer, de gourdin,… est une torture, également dans l’affaire Mukong c. Cameroun dans le paragraphe 9.4 (21 juillet 1994). D’un point de vu juridique, il n’y a pas d’ambiguïté, ces coups de fouet affligés aux citoyens constituent des actes de torture.
La torture est-elle prohibée en droit international ?
La réponse est oui. En effet, plusieurs instruments internationaux interdisent la torture. C’est le cas par exemple de l’article 5 de la déclaration universelle des droits de l’homme qui dispose que : « nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements, cruels, inhumains ou dégradants » . L’article 7 du pacte international relatif aux droits civils et politiques reprend le même contenu. L’article 5 de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples abonde dans le même sens quand il dispose que : « Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente la personne humaine et la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes formes d’exploitation et d’avilissement de l‘homme notamment l’esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants sont interdites .».
Le Burkina Faso a ratifié ces instruments, donc est tenu de les respecter. L’interdiction de la torture constitue un principe fondamental de droit coutumier selon la commission interaméricaine des droits l’homme dans l’affaire Marti de Mejia c. Pérou (1 mars 1996) ;Cela implique que même les États n’ayant pas ratifié les conventions interdisant la torture sont tenues de respecter ce principe.
Mais n’y a-t-il des situations où l’État est autorisé à faire usage de la torture sans que cela ne soit une violation du droit international. Autrement dit, y’a t’il des exceptions au principe de l’interdiction à la torture ?
La réponse est non .Cela parce que L’article 42 du pacte international relatif aux droits civils et politiques classe l’interdiction de la torture parmi les normes indélogeables. Cela veut dire tout simplement qu’en droit international, aucune dérogation n’est possible en matière de torture. Même si le citoyen est en infraction, il ne doit pas être torturé. C’est la position de la jurisprudence également en la matière. Le comité des droits de l’homme des nations unies l’a dit dans l’affaire Alzery c. Suède dans les paragraphes 11.5 et 13.6 (2006).
Suite aux évènements du 11 septembre 2001, le comité dans ses observations sur les États unis a réitéré la nature absolue du principe de l’interdiction de la torture .Il a affirmé que même en cas d’urgence ou de sécurité publique, on ne peut pas recourir à la torture. Il l’a dit également dans l’examen de l’affaire Agiza c. Suède en 2005.
Donc même si les citoyens ne respectent pas le couvre feu, la police n’a pas le droit de les torturer. Dans la présente situation la police ne peut pas se baser sur l’ordre du supérieur hiérarchique pour justifier cette torture selon l’art 2 du pacte et également selon les observations finales sur le royaume Uni du comité contre la torture en 2004 dans le paragraphe 4.
Une fois que la violation de cette norme est établie, les responsabilités doivent etre situées(I) devant les juridictions internationales pour réparation ou devant les juridictions nationales (II).
Dans le soucis de simplifier la lecture et la compréhension, nous consacrerons une autre publications sur ces ces deux volets.

Une analyse de OUATTARA Daouda,
étudiant à l’UFR/SJP- UO2

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5 thoughts on “Bastonnades policières à l’occasion du couvre feu au Burkina Faso :quelle approche juridique ?”

  1. Très belle analyse.

  2. PALM Sié Pascal Florian dit :

    Très belle initiative qui nous permet d’apprendre beaucoup et d’augmenter nos connaissances surtout grâce aux analyses du point de vue juridique de l’actualité 👍

  3. PALM Sié Pascal Florian dit :

    Cependant Quelles sont les voies et moyens offerts aux citoyens victimes de ces tortures durant les heures de couvre feu pour se prévaloir de leur droit ????????

  4. Patrick dit :

    Cette analyse est très pertinente et j’ai beaucoup appris.
    Il faut que les hommes du droit s’intéressent surtout à ce que prennent où consomment ces forces de sécurité pour commettre de tels actes si barbares.
    Et la plupart du temps c’est ceux là même qui ont rasé la formation qui se comportent comme les Rambo.
    Quand des gens désertent leurs postes au Nord ( où il peuvent faire appliquer le couvre feu à leurs manières même dans la journée) pour venir s’acharner sur une population sans défense vraiment c’est regrettable et désolant.
    Je vous demande d’analyser prochainement la légalité du décret instaurant le couvre-feu pour qu’on puisse bien s’exprimer sur cette histoire.
    Ces policiers ou gendarmes sont vraiment ingrats quand on voit le soutien dont ils bénéficient de la part de la population. Cette même population qui meurt parcequ’elle n’est pas sécurisée malgré l’effort de collaboration qu’elle fait. Pufff…

  5. Très belle analyse. Une approche juridique très convaincante !!!

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