Résumé :
Au vu des faits tels qu’ils ont été établis dans les médias, les frappes respectives des États-Unis et de l’Iran en Irak les 3 et 8 janvier dernier posent de sérieux problèmes au regard du droit international existant. L’exécution de Qassem Souleimani ne semble pas pouvoir être justifiée au nom de la légitime défense, les incidents antérieurs invoqués par les États-Unis n’atteignant pas le seuil de l’ « agression armée » au sens de l’article 51 de la Charte. La riposte iranienne remplit sans doute les conditions énoncées par ce dernier vis-à-vis des États-Unis, mais pas de l’Irak, qui a également été touché par les frappes. Sur le plan du droit international humanitaire et des droits humains, enfin, l’exécution extrajudiciaire de Soleimani paraît à première vue licite, dans la mesure où ils s’agit d’un combattant et où la frappe était ciblée. Cependant, on peut se demander si, au vu de son rang élevé dans la hiérarchie iranienne et de la mission diplomatique qu’il effectuait au moment de l’attaque, cette exécution ne peut pas être assimilée à un assassinant, proscrit par le droit des conflits armés.
Depuis le 3 janvier dernier, une étape décisive a été franchie dans le conflit larvé qui opposait les États-Unis, l’Iran, mais aussi l’Irak, sur le territoire duquel se multiplient des actions militaires dans un contexte de crise interne. L’exécution par les États-Unis de Qassem Soleimani, l’un des principaux dirigeants iraniens, a immédiatement été perçue comme mettant le feu aux poudres. En réaction, l’Iran a, comme ses autorités l’avaient annoncé, lancé une attaque contre deux bases militaires de la coalition internationale abritant des soldats des États-Unis sur le territoire irakien, dans la nuit du 7 au 8 janvier. Au-delà des aspects politiques de cette crise, et des liens qu’elle entretient avec d’autres événements, qu’ils soient plus anciens si on pense à l’invasion puis à l’occupation de l’Irak à partir de 2003, à la révolution iranienne de 1979 ou même au renversement du premier ministre iranien en 1953, ou qu’ils soient plus récents si on songe au retrait des États-Unis du traité multilatéral sur le nucléaire iranien passé avec l’Iran en 2015, que dit le droit international à ce sujet ?
Le 2 janvier dernier (heure locale), le Département de la défense des États-Unis d’Amérique a publié le communiqué suivant, pour justifier les frappes de drones qui ont causé la mort du général iranien Qassem Soleimani, ainsi que de l’irakien Abou Mehdi al-Mouhandis, dirigeant des Kataeb Hezbollah, une milice chiite irakienne soutenue par l’Iran, et de plusieurs autres personnes :
« At the direction of the President, the U.S. military has taken decisive defensive action to protect U.S. personnel abroad by killing Qasem Soleimani, the head of the Islamic Revolutionary Guard Corps-Quds Force, a U.S.-designated Foreign Terrorist Organization. General Soleimani was actively developing plans to attack American diplomats and service members in Iraq and throughout the region. General Soleimani and his Quds Force were responsible for the deaths of hundreds of American and coalition service members and the wounding of thousands more. He had orchestrated attacks on coalition bases in Iraq over the last several months – including the attack on December 27th – culminating in the death and wounding of additional American and Iraqi personnel. General Soleimani also approved the attacks on the U.S. Embassy in Baghdad that took place this week. This strike was aimed at deterring future Iranian attack plans. The United States will continue to take all necessary action to protect our people and our interests wherever they are around the world ».
Le 8 janvier, une lettre a été envoyée au Conseil de sécurité, par laquelle les États-Unis justifiaient leurs frappes de la manière suivante :
« These actions were in response to an escalating series of armed attacks in recent months by the Republic Islamic of Iran and Iran-supported militias on U.S. forces and interests in the Middle East, in order to deter the Islamic Republic of Iran from conducting or supporting further attacks against the United States or U.S. interests, and to degrade the Islamic Republic of Iran and Islamic Revolutionary Guard Corps Qods Force-supported militias’ ability to conduct attacks […]. The United States is prepared to take additional actions in the region as necessary to continue to protect U.S. personnel and interests ».
Ces frappes ont suscité des réactions contrastées. Plusieurs États de l’OTAN ont manifesté leur appui aux États-Unis, tandis que l’Iran, la Syrie , l’Irak, la Chine et la Russie ont qualifié l’action d’illégale. D’autres États semblent également avoir manifesté des réticences, comme le Mali par exemple. Beaucoup d’autres États ont encore appelé les parties au calme et à la retenue, craignant une escalade de la violence dans la région.
Les spécialistes de droit international semblent plutôt considérer que l’action militaire des États-Unis est illégale, spécialement au regard de l’interdiction du recours à la force (jus contra bellum), voire du droit international humanitaire (jus in bello) ou des droits humains. On peut évoquer en ce sens Mary Ellen O’Connell, de l’Université de Notre-Dame, Marko Milanovic, de l’Université de Nottingham, Dapo Akande, de l’Université d’Oxford et Ralph Wilde de l’University College London, Oona Hathaway, de la Yale Law School, Agnès Callamard, de l’Université de Columbia, rapporteuse spéciale de l’ONU sur les exécutions extra judiciaires, Alonso Gurmendi, Universidad del Pacifico Law School, Pérou, Adil Hamad Aque, de la Rutgers Law School, E.A.U., Stéphane Rials, de l’Université de Paris 2, Leila Sadat, de l’Université de Washington, ou encore Patryck I. Labuda, de la Fletcher School of Law and Diplomacy.
Ces commentaires ne couvrant cependant pas tous les aspects des questions juridiques que cette crise soulève, il peut être intéressant d’en approfondir certains, en partant des différents volets de l’argumentation des États-Unis tels qu’ils ressortent des documents mentionnés plus haut. Ces documents renvoient à trois arguments qui seront analysés successivement : l’action militaire du 3 janvier constituerait à la fois la riposte à une attaque de l’ambassade des États-Unis du 31 décembre dernier (1), à une série d’attaques antérieures (2), tout en constituant une mesure de prévention visant à empêcher de futures attaques (3). On se demandera ensuite, sur la base des analyses de ces trois arguments produits par les États-Unis, si l’action militaire iranienne menée dans la nuit du 7 au 8 janvier contre les deux bases militaires situées sur le territoire irakien est elle-même conforme au droit international et, plus précisément, si elle peut se justifier en vertu du droit de légitime défense dont se prévaut l’Iran (4). Dans un dernier temps, au-delà des règles relatives à l’usage de la force qui seront au centre de notre analyse, on se penchera sur les modalités des opérations en cause, en vérifiant si elles sont conformes aux prescrits du droit international humanitaire et des droits humains (5). Pour analyser chacune de ces questions, on prendra en compte non seulement les relations entre les États-Unis et l’Iran, principaux protagonistes du conflit, mais aussi l’implication de l’Irak, dont le territoire a été bombardé et plusieurs ressortissants ont péri à la suite des actions militaires décidées depuis Washington et Téhéran.
1. L’opération militaire du 3 janvier, une riposte à une « attaque » de l’ambassade des États-Unis à Bagdad ?
Le 31 décembre 2019, des milliers de partisans du Hachd Al-Chaabi, une coalition de milices chiites pro-iraniennes, ont forcé l’entrée de l’ambassade des États-Unis. La plupart d’entre eux assistaient auparavant aux funérailles de leurs 25 camarades d’armes tués lors d’une précédente action militaire des États-Unis menée contre des bases du Kataeb Hezbollah, une milice chiite irakienne soutenue par l’Iran et membre du Hachd Al-Chaabi qu’on a déjà mentionnée et qu’on évoquera encore plus bas. Selon plusieurs observateurs de l’AFP, les forces de sécurité irakiennes n’auraient rien fait pour empêcher les manifestants d’entrer dans la « zone verte » sécurisée de Bagdad, dans laquelle est située l’ambassade des États-Unis.
Les manifestants ont alors investi le vestibule, brûlé des installations de sécurité, arraché des caméras de surveillance, jeté des pierres sur les tourelles des gardes de l’ambassade et couvert les vitres blindées des drapeaux du Hachd Al-Chaabi et du Kataeb Hezbollah. Finalement, ils ont reflué suite au déploiement des forces de sécurité irakienne. L’action a causé quelques dégâts matériels et des manifestants ont été touchés par des grenades lacrymogènes lancées par des soldats états-uniens protégeant l’ambassade, mais aucune victime n’a été rapportée. Le président Trump a accusé l’Iran d’avoir orchestré ces incidents (Tweet du 31 décembre 2019). Il a ensuite explicitement menacé ce pays : « Ils paieront le prix fort ! ».
Il est difficile, si pas impossible, de justifier les frappes lancées le 3 janvier en les présentant comme des mesures de légitime défense en riposte aux incidents ayant visé l’ambassade car de tels incidents ne peuvent en aucun cas être qualifiés d’« agression armée » qui, seule, permet qu’on y réagisse en légitime défense au sens de l’article 51 de la Charte des Nations Unies.
La question se pose de manière différente selon que l’on envisage l’attaque comme la riposte à une agression perpétrée par l’Iran, ou à une agression dont serait responsable l’Irak. Dans le premier cas, il faudrait démontrer que les manifestants étaient des organes de fait de l’État iranien, ou ont agi sous le « contrôle effectif » de celui-ci, ce qui paraît plutôt problématique (v. ci-dessous, point 2). Dans le second, il s’agirait de prétendre que l’État irakien n’a pas rempli l’obligation qui lui incombe de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour empêcher que des dommages ne soient causés à l’ambassade des États-Unis située sur son territoire : « we expect Iraq to use its forces to protect the Embassy, and so notified », a d’ailleurs tweeté Donald Trump le jour des événements. L’article 22 § 2 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques et consulaires de 1961 prévoit clairement une telle obligation et la Cour internationale de Justice a eu l’occasion de la rappeler dans l’affaire du Personnel diplomatique des États-Unis à Téhéran, en 1980 lorsqu’elle a jugé notamment que l’Iran avait manqué de prendre des mesures appropriées pour protéger les locaux de l’ambassade des États-Unis contre l’attaque d’étudiants militants (C.I.J., Recueil, 1980, pp. 3-45). Pour aboutir à une conclusion similaire au sujet de l’Irak face aux incidents de décembre dernier, encore faudrait-il démontrer de réels manquements de la part de cet État, en s’appuyant sur une évaluation pointue des éléments factuels. Or, si certaines forces irakiennes semblent certes avoir négligé de faire barrage à l’entrée dans la « zone verte » de Bagdad, d’autres sont arrivées en renfort, se sont rapidement déployées et ont repoussé sans ménagement les manifestants. Dans un tweet publié quelques heures plus tard, le Président Trump se réjouissait de ce que l’ambassade avait été sécurisée et remerciait le président irakien et son premier ministre pour leur réponse rapide (Tweet du 31 décembre 2019). Dès lors que l’obligation de protection est une obligation de moyen, et non de résultat, il est loin d’être évident que les autorités de Bagdad n’auraient pas adopté les mesures appropriées à cet égard.
A supposer même qu’on puisse établir la responsabilité de l’Iran ou de l’Irak dans ces incidents, cette responsabilité ne pourrait pour autant équivaloir à une « agression armée » permettant une réaction en légitime défense au sens de l’article 51 de la Charte des Nations Unies. À cet effet, il faudrait en effet démontrer que la violence de cette attaque atteint un double seuil.
• Celui d’un recours à la force au sens de l’article 2 § 4 des Nations Unies, ce qui est plus que douteux en cas de manifestations même violentes ou de troubles similaires aux incidents du 31 décembre. On se rappellera à cet égard que la prise d’otages du personnel diplomatique des États-Unis à Téhéran en 1979, autrement plus grave que les troubles de la fin de l’année 2019 à Bagdad, avait été suivie par une opération militaire décidée par l’administration Carter, opération officiellement justifiée par la légitime défense mais qui s’était soldée par un échec sur le terrain. Dans le cadre du jugement rendu par la Cour internationale de Justice sur le droit diplomatique, celle-ci avait critiqué cette opération (C.I.J., Recueil 1980, p. 43, par. 93).
• Le deuxième seuil, plus exigeant encore, est celui d’une « agression armée » au sens de l’article 51 de la Charte, une notion qui renvoie non seulement à un usage à la force, mais à un usage de la force présentant une certaine gravité et qui se distingue d’autres actions militaires moins brutales, comme la Cour internationale de justice l’a rappelé (C.I.J., Affaire des Activités militaires, Recueil 1986, p. 101, par. 191 ; Affaire des Plates-formes pétrolières, Recueil 2003, p. 187, par 51, ainsi que pp. 191-192, par. 64). Quelle que soit la souplesse de ce dernier critère, il va de soi qu’on ne peut considérer qu’il est rempli en l’espèce.
C’est sans doute pourquoi les États-Unis ne se limitent pas à cet épisode de l’ambassade pour fonder leur action, mais se réfèrent plus généralement à des attaques antérieures qui auraient causé des centaines de victimes.
2. L’opération militaire du 3 janvier, une riposte à une agression iranienne antérieure ?
Selon les termes du communiqué du ministère de la Défense, le général Qassem Soleimani était « responsable de la mort de centaines d’agents états-uniens et de la coalition ainsi que de blessures infligées à des milliers d’autres. Il avait orchestré des attaques contre les bases de la coalition en Irak au cours des derniers mois —y compris l’attaque du 27 décembre— qui ont fait des morts et des blessés parmi le personnel américain et irakien » (notre traduction). La lettre envoyée au Conseil de sécurité évoque quant à elle « une série d’attaques armées croissantes au cours des derniers mois » (notre traduction, texte ci-dessus). Il est difficile de nier que, contrairement aux incidents de l’ambassade, l’accusation porte ici sur des faits susceptibles d’atteindre le double seuil évoqué ci-dessus. Tuer des centaines de militaires et ressortissants états-uniens, et en blesser des milliers d’autres constituent très certainement des actes d’une gravité suffisante pour être qualifiés d’agression armée. Si de tels faits étaient établis, les États-Unis seraient alors indéniablement les victimes d’une telle agression de la part de l’Iran, ce qui justifierait que les États-Unis adoptent des mesures de légitime défense contre cet État.
Deux questions se posent cependant à ce stade, l’une étant liée à l’Iran et l’autre à l’Irak.
a) Une légitime défense contre l’Iran ?
Concernant l’Iran, les États-Unis se réfèrent dans la lettre qu’ils ont envoyée au Conseil de sécurité à plusieurs attaques meurtrières iraniennes qui pourraient être considérées comme une agression armée.
Une première série d’événements semble clairement ne pas atteindre le seuil d’une agression armée. La lettre envoyée au Conseil de sécurité évoque ainsi :
• Une « threat to the amphibious ship USS BOXER on July 18 2019 » ; cependant, une « menace » ne peut être assimilée à un « emploi » de la force, comme l’indique sans ambiguïté une comparaison des termes de l’article 2 § 4 de la Charte (qui interdit l’une comme l’autre) et de son article 51 (qui n’ouvre un droit de légitime défense qu’en cas d’« agression armée », et non de menace, ni même on l’a vu d’emploi de la force) ;
• Une « armed attack on June 19, 2019, by an Iranian unmanned aerial system », qui se réfère en réalité à la destruction d’un drone états-unien qui, selon l’Iran, s’était introduit dans son espace aérien ; à supposer même que cela ne soit pas le cas, il serait excessif d’assimiler semblable incident à l’une des « formes les plus graves de l’emploi de la force (celles qui constituent une agression armée) » (C.I.J., Affaire des Activités militaires, Recueil 1986, p. 101, par. 191).
• Certaines « continuing armed attacks by the Islamic Republic of Iran that have endangered international peace and security, including attacks on commercial vessels … [ainsi que certaines] unmanned aircraft attacks on the territory of Saudi Arabia », non spécifiées, mais qui ne constituent en tout état de cause pas des actions contre les États-Unis ; ces derniers pourraient certes se référer implicitement à la légitime défense collective, mais il faudrait alors qu’ils puissent se prévaloir d’une invitation des États dont les navires ou le territoire ont été touchés (C.I.J., Affaire des Activités militaires, Recueil 1986, pp. 104-105, par. 196-199 ; Affaire des Plates-formes pétrolières, Recueil 2003, p. 27, par. 51), ce qui n’est pas le cas.
Pour le reste, est évoquée de manière générale une « série d’attaques » de milices soutenues par l’Iran, seul une attaque spécifique, celle du 27 décembre 2019, étant identifiée. Cette dernière a été menée par le Kataeb Hezbollah contre une base militaire en Irak, et a fait une victime, un ressortissant des États-Unis, quatre soldats ayant été blessés par ailleurs à cette occasion. Cet événement suffit-il à fonder l’argument de la légitime défense pour justifier l’action du 3 janvier ?
Pour que cela soit le cas, il faut d’abord s’assurer que l’Iran est responsable de l’action menée par cette milice irakienne. Selon plusieurs sources, le Kataeb Hezbollah serait « totalement inféodé » à Téhéran, dépendant directement des forces officielles iraniennes al-Qods dirigées par le général Soleimani. Lors du raid du 3 janvier dernier, il est significatif que son dirigeant Abou Mehdi al-Mouhandis ait été en compagnie de Soleimani, ce qui semble témoigner d’une coordination structurelle très étroite entre les deux hommes et les forces qu’ils dirigent respectivement. Ainsi, on pourrait, si ces faits sont avérés, considérer que cette force irrégulière agit en fait sous la « totale dépendance » de l’Iran, si bien qu’on devrait assimiler cette force irrégulière à un organe de l’Iran, avec pour conséquence en droit international que toutes ses actions seraient attribuables à cet État. Il faut rappeler que la Cour internationale de Justice a bien souligné que les forces irrégulières doivent être dépourvues de réelle autonomie et que leur dépendance à un État doit être totale pour qu’on puisse les considérer comme des organes de cet État. Cela a amené la Cour, au regard des éléments de fait, à refuser par exemple de considérer les contras comme des organes des États-Unis malgré l’important soutien financier et opérationnel qui leur était apporté par cet État (C.I.J., Affaire des Activités militaires, Recueil 1986, p. 62, par. 109) ou de considérer les officiers de l’armée serbe de Bosnie-Herzégovine comme des organes de fait de la République fédérale de Yougoslavie, malgré les liens étroits que ces officiers entretenaient avec cet État (C.I.J., Affaire de l’Application de la Convention sur le génocide, Recueil 2007, p. 205, par. 392). Seule une analyse plus approfondie des liens entre le Kataeb Hezbollah et l’Iran pourraient amener à une conclusion similaire. A cet égard, il faut encore relever que, dans l’hypothèse où une « totale dépendance » ne pouvait être montrée, on pourrait toutefois, là encore sous réserve d’une vérification des faits, tenter de démontrer que l’attaque du 27 décembre a été effectuée sous le « contrôle effectif » des autorités iraniennes (C.I.J., Affaire des Activités militaires, Recueil 1986, p. 65, par. 115). Dans ce cas également, cette attaque serait attribuable à l’Iran, qui devrait en assumer la responsabilité en droit international.
Mais, à supposer que l’attaque du 27 décembre puisse être attribuée à l’Iran, encore faut-il que cette attaque présente une gravité suffisante pour justifier qu’on y réagisse par l’emploi de la force militaire. Si le seuil d’un recours à la force semble bien franchi, puisque des tirs de roquettes ont fait une victime et quatre blessés, il est plus délicat d’établir que l’attaque présente la gravité d’une « agression armée ». Les États-Unis eux-mêmes, on l’a vu, ne prétendent pas clairement que cette action en tant que telle, et isolée d’autres attaques qui ont visé ses soldats, suffirait à fonder leur droit à la légitime défense. En se prévalant de manière générale de plusieurs actions qui ont causé des centaines de morts et des milliers de blessés, les États-Unis semblent plutôt appréhender les événements du 27 décembre dans un ensemble plus vaste.
Et, en effet, il est généralement admis qu’une série d’attaques relativement limitées si on les prend isolément, peuvent équivaloir à une agression armée lorsqu’on les considère dans leur ensemble. Dans l’affaire des Activités militaires, la Cour envisage le recours à la force des États-Unis contre le Nicaragua, et notamment le soutien apporté aux contras, non comme une succession d’une multitude d’actes isolés mais comme un comportement envisagé dans son ensemble (C.I.J., Recueil 1986, p. 146, par. 3). La même logique semble avoir été suivie dans l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo, la Cour se demandant incidemment si certaines attaques « pouvaient être considérées comme présentant un caractère cumulatif » (C.I.J., Recueil 2005, p. 223, par. 146). Dans l’affaire des Plateformes pétrolières, la Cour a évoqué la possibilité de prendre en compte « une série d’attaques », sans isoler chacune d’entre elles (C.I.J., Recueil 2003, p. 191, par. 64). Enfin, dans l’affaire de la Licéité de l’emploi de la force, la Cour a estimé qu’il existait un différend général, qui portait sur les bombardements « pris dans leur ensemble » (C.I.J., ordonnance du 2 juin 1999, Recueil 1999, p. 134, par. 28), et elle a estimé par ailleurs que « l’emploi de la force en Yougoslavie » –envisagé ici aussi de manière générale – soulève des problèmes très graves de droit international (ibid., p. 132, par. 17). Cependant, une comparaison des précédents évoqués ici et du cas de l’Iran est édifiante : jamais ce dernier n’a adopté un comportement similaire, même de loin, à une campagne de bombardement comme celle de l’OTAN contre la Yougoslavie, ou à l’intervention militaire des États-Unis au Nicaragua, ou encore aux opérations armées de l’Ouganda en République démocratique du Congo ayant conduit à l’occupation pendant plusieurs années d’une partie de son territoire. Les éléments mentionnés dans le document du ministère de la Défense ou dans la lettre envoyée au Conseil de sécurité semblent davantage renvoyer à une série d’incidents variés et isolés, parfois séparés de plusieurs mois, et touchant d’ailleurs, on l’a vu, des États différents. On se trouve donc dans une situation plus comparable à celle qui a été jugée par la Cour dans l’affaire des Plateformes pétrolières, opposant précisément l’Iran et les États-Unis pour des événements du même type que certains dont il est question ici. Mentionnant une série d’incidents armés dans le Golfe, la Cour conclut que :
« Même pris conjointement, et réserve faite […] de la question de la responsabilité de l’Iran, ces incidents ne semblent pas à la Cour constituer une agression armée contre les États-Unis comparable à ce qu’elle a qualifié, en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, de forme d’emploi de la force parmi ‘les plus graves’ » (C.I.J., Recueil 2003, p. 192, par. 64).
En lien avec ces dernières réflexions, on peut se demander si l’action du 3 janvier remplissait la condition de nécessité de la légitime défense, une condition qui, selon la Cour, est « rigoureuse et objective, et ne laisse aucune place à ‘une certaine liberté d’appréciation’ » (ibid., p. 196, par. 73). A cet égard, il faut relever que les États-Unis avaient déjà riposté aux événements du 27 décembre 2019 avant l’exécution du général Soleimani. En effet, le 29 décembre 2019, une action militaire états-unienne a frappé cinq sites du Kataeb Hezbollah, trois étant situés en Irak et deux en Syrie. Ces raids ont causé une vingtaine de morts. C’est d’ailleurs précisément à l’occasion des funérailles des victimes de ce raid organisées deux jours plus tard, que la situation a dégénéré et que l’ambassade des États-Unis à Bagdad a été visée. La séquence des événements factuels n’est pas sans conséquence juridique : puisque les États-Unis avaient déjà riposté le 29 décembre à l’action du 27 décembre, peuvent-ils se prévaloir une deuxième fois de l’argument de légitime défense pour mener un raid meurtrier le 3 janvier ? Il est permis d’en douter, et c’est sans doute la raison pour laquelle les États-Unis ont mentionné également l’incident de l’ambassade ainsi que d’autres actes antérieurs … avec toutes les limites que l’on vient de signaler. Dans cette mesure, il paraît bien délicat d’accepter que l’opération militaire ait pu être menée par les États-Unis en légitime défense contre l’Iran.
b) Une légitime défense contre l’Irak ?
Plus problématique encore est la question de la licéité des actions militaires des États-Unis au regard de la souveraineté de l’Irak, qui n’est même pas évoquée dans la lettre envoyée au Conseil de sécurité. Pour que la légitime défense puisse justifier le bombardement du territoire irakien et l’exécution de plusieurs de ses ressortissants, dont certains pourraient avoir un statut d’organe officiel de l’Etat irakien (v. ci-dessous, point 4), il faut en effet établir que cet État (et non plus l’Iran) est lui-même responsable d’une agression armée contre les États-Unis. Or, le gouvernement de Bagdad coopère avec celui de Washington depuis des années, que ce soit après le renversement du régime de Saddam Hussein lorsque le nouveau gouvernement irakien a consenti au stationnement des troupes des États-Unis sur son sol suite à leur invasion en 2003, ou plus récemment dans le cadre de la lutte contre l’État islamique, spécialement depuis l’été 2014. Pour en revenir à la crise actuelle, les autorités états-uniennes ont certes accusé l’Irak de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour protéger les forces de la coalition, spécialement après l’attaque du 27 décembre 2019. Un haut responsable des États-Unis a ainsi déclaré à la presse :
« We have warned the Iraqi government many times, and we’ve shared information with them to try to work with them to try to carry out their responsibility to protect us as their invited guests…They have not taken the appropriate steps ».
Dans ce contexte, peut-on considérer que les actes perpétrés par ce groupe irrégulier sont attribuables à l’Irak ? Les critères de la « totale dépendance » ou du « contrôle effectif » seraient en l’occurrence bien délicats à appliquer, au vu des difficultés du haut-commandement irakien à assurer leur autorité sur ces milices. Mais, si ces dernières devaient être considérées comme des organes officiels de l’État irakien, en raison notamment du décret du 1er juillet 2019 précité, il deviendrait possible d’attribuer l’action militaire du 27 décembre à cet État, et par répercussion donner un argument décisif aux États-Unis pour l’exercice d’un droit de légitime défense. Semblable raisonnement supposerait une analyse plus fine des termes du décret, dont seuls certains extraits, traduits en anglais, ont été publiés dans la presse : « Mobilisation Forces are to operate as an indivisible part of the armed forces and be subject to the same regulations » (nous soulignons). Au vu de ces termes, qu’il faudrait replacer dans le cadre plus général du droit irakien, il est possible que cet acte juridique marque non pas une incorporation formelle immédiate des milices dans l’armée irakienne, mais une volonté de les intégrer dans un proche avenir. Une volonté qui n’a, à ce jour, apparemment pas été suivie d’effets. Dans cette dernière hypothèse, lesdites milices ne seraient pas, pour l’heure, assimilables à des organes de l’État irakien…
Mais les États-Unis ne pourraient-ils pas plus simplement considérer que l’Irak n’a ni la capacité ni l’intention de mettre fins aux activités de ces milices – en se référant à la doctrine de l’État « unwilling or unable » qui a parfois été invoquée par quelques États, principalement occidentaux, pour justifier leurs interventions militaires sur le territoire d’États qui ne s’acquitteraient pas de leurs obligations, une inaction qui rendrait nécessaire une action en légitime défense sur le territoire irakien, même sans son consentement ? (O. Corten, « The ‘unwilling or unable’ Theory: has it Been, and Could it Be, Accepted ? », Leiden Journal of International Law, 2016, pp. 777-799). Une telle argumentation serait plus que problématique. La position selon laquelle un État pourrait être attaqué pour la seule raison qu’il ne parvient pas à empêcher que des actes illicites soient perpétrés sur son territoire contre d’autres États est loin d’être admise en droit international. D’une part, elle remettrait en cause ses fondements mêmes en autorisant des interventions militaires dans de multiples situations et en faisant de nombreux États des champs de bataille perpétuellement soumis à des interventions étrangères. D’autre part, et plus précisément, elle s’avère incompatible à la fois avec les instruments juridiques existants (aucun texte ne prévoit une telle possibilité) et avec la jurisprudence constante de la Cour internationale de Justice, qui renvoie systématiquement aux tests de la « totale dépendance » et du « contrôle effectif », déjà évoqués.
Pour en revenir à l’Irak, celui-ci a condamné les actions militaires des États-Unis des 29 décembre et 3 janvier comme étant totalement illicites. Le premier ministre irakien a même estimé qu’il s’agissait là d’« un acte d’agression contre l’Irak, et le peuple irakien » (notre traduction. Plus généralement, l’Irak a appelé à une révision de la coopération entre les deux pays. Le parlement a ainsi appelé le gouvernement de Bagdad, en affaires courantes depuis les dernières élections, à retirer son consentement à la présence des troupes états-uniennes dans le pays. Cet appel a été relayé par le premier ministre irakien à destination de Washington, ce qui oblige les États-Unis à rapatrier leurs troupes, à défaut de quoi on se trouverait dorénavant devant une occupation incompatible avec le droit international et, plus précisément, d’une agression armée contre l’Irak qui autoriserait ce dernier à mener lui-même des opérations militaires en légitime défense.
En conclusion sur ce point, l’argument de la légitime défense des États-Unis s’avère bien fragile pour justifier l’action militaire du 3 janvier dernier. Concernant l’Iran, les événements évoqués, qu’il s’agisse des incidents dans l’ambassade le 31 décembre ou des tirs de roquette du 27 décembre, sont trop faibles, pris en tant que tels. Ils ne pourraient, dans le deuxième cas, s’avérer pertinents que si on les mettait en relation avec d’autres attaques, ce qui supposerait une identification précise et des éléments de preuve qui, à l’heure actuelle, font défaut. Quant à la violation de la souveraineté de l’Irak, elle paraît tout aussi problématique sur le plan du droit international. Reste, cependant, à s’interroger sur l’argument de l’action préventive, également avancé par les autorités des États-Unis.
3. L’action militaire du 3 janvier, une légitime défense préventive ?
Dans le communiqué du ministère de la Défense justifiant l’exécution de Soleimani, on lit que « cette frappe visait à dissuader les futurs plans d’attaque iraniens » (notre traduction). La lettre envoyée au Conseil de sécurité évoque aussi l’objectif de « de dissuader la République islamique d’Iran de mener ou de soutenir de nouvelles attaques contre les États-Unis » (notre traduction). Cet aspect préventif a également été souligné par le président Trump, ainsi que son Secrétaire d’État, qui a lui, insisté sur l’existence d’une attaque imminente. Plusieurs spécialistes de droit international ont cependant estimé que le droit international ne permet pas d’agir en légitime défense de façon préventive. Deux éléments ont, à juste titre, été avancés.
D’abord, et sur le plan purement factuel, les États-Unis n’ont nullement démontré qu’une attaque imminente était planifiée par le général Soleimani. Selon eux, ce dernier préparait une action militaire contre les États-Unis, mais certaines sources tendent plutôt à attester la thèse inverse :
« … some officials voiced private skepticism about the rationale for a strike on General Suleimani, who was responsible for the deaths of hundreds of American troops over the years. According to one United States official, the new intelligence indicated ‘a normal Monday in the Middle East’ — Dec. 30 — and General Suleimani’s travels amounted to ‘business as usual’. That official described the intelligence as thin and said that General Suleimani’s attack was not imminent because of communications the United States had between Iran’s supreme leader, Ayatollah Ali Khamenei, and General Suleimani showing that the ayatollah had not yet approved any plans by the general for an attack. The ayatollah, according to the communications, had asked General Suleimani to come to Tehran for further discussions at least a week before his death ».
D’autres sources évoquent même un voyage diplomatique du général Soleimani, tendant à favoriser la paix dans la région, et on reviendra sur cet élément ultérieurement (ci-dessous, point 5).
Il est délicat de se prononcer sur la véracité de ces informations ; on est confronté là encore à des limites sur le plan de la preuve. La circonstance que le ministère de la Défense ait associé l’aspect préventif évoqué avec un aspect plus classique de riposte témoigne d’ailleurs peut-être d’un certain manque de conviction ou inconfort vis-à-vis de la validité de cet argument dans le chef des États-Unis eux-mêmes.
Ensuite, sur un plan juridique cette fois, l’article 51 de la Charte des Nations Unies énonce un droit de légitime défense « en cas d’agression armée », et non en cas de « menace d’agression armée », quand bien même cette dernière est interdite par l’article 2 § 4 de la Charte et donne compétence au Conseil de sécurité pour décider d’éventuelles mesures coercitives (Chapitre VII de la Charte des Nations Unies). Aucune coutume attestant d’un accord de la communauté internationale d’assouplir cette condition textuelle ne peut être établie. Les seules fois où la légitime défense préventive a été invoquée, l’argument a été fermement critiqué, et n’a, en tout cas, jamais été acceptée unanimement. Lorsqu’Israël a justifié de la sorte une action militaire menée en Irak contre le réacteur nucléaire Osirak en 1981, l’argument a été rejeté. Lorsque les États-Unis se sont généralement prévalus de cette possibilité de mener une guerre préventive en proclamant ce qu’on a appelé la doctrine Bush permettant d’agir contre de simples menaces ou ont fait référence plus spécifiquement à cet argument pour légitimer certaines frappes en Syrie à partir de 2014, leur argument a été critiqué. En 2005, le Secrétaire général de l’ONU avait cru pouvoir susciter un compromis en proposant de ne l’admettre que dans des conditions très strictes, dans le cas d’une « menace imminente ». Mais il avait essuyé un refus obstiné de la majorité des États membres de l’ONU (références dans O. Corten, Le droit contre la guerre, 2ème éd., Paris, Pedone, 2014, pp. 690-705), qui ont préféré s’en tenir à la définition classique de l’article 51 de la Charte, qui requiert bel et bien l’existence d’une « agression armée ». Aucune cour ni aucun tribunal international n’a d’ailleurs jamais cautionné l’argument de la légitime défense préventive après l’entrée en vigueur de la Charte.
La seule possibilité pour les États-Unis serait dès lors de démontrer non seulement que le général Soleimani planifiait une attaque imminente contre eux, mais que cette attaque avait déjà débuté (le cas échéant sans avoir encore causé des effets). Comme on l’a vu, aucun élément susceptible de fonder semblable théorie n’a à ce jour été rendu public.
4.L’attaque par l’Iran de deux bases militaires situées en Irak, une action proportionnée menée en légitime défense ?
Dans la nuit du 7 au 8 janvier 2020 à 1h30 heure locale, l’Iran a réagi à l’attaque des États-Unis en lançant l’opération Martyr Soleimani consistant à tirer une vingtaine de missiles contre deux bases de la coalition internationale accueillant plusieurs centaines des 5000 soldats états-uniens actuellement déployés sur le sol irakien. La première cible était la base d’Aïn al-Assad, située à 160 kilomètres à l’ouest de Bagdad, qui est l’une des bases militaires les plus importantes pour les États-Unis en Irak. La seconde cible était la base d’Erbil, dans le nord de l’Irak. Les tirs de missiles ne semblent avoir fait aucune victime et ont engendré des dommages matériels limités. Si certaines agences de presse iraniennes ont annoncé 80 victimes ainsi que l’endommagement de drones et d’hélicoptères de l’armée états-unienne, cette information n’a été confirmée ni par les États-Unis, ni par l’Irak, ni par les autres États étrangers présents sur le terrain comme l’Australie, le Canada, le Danemark, la Finlande, la France, la Lituanie, la Norvège, la Pologne ou le Royaume-Uni qui ont tous affirmé qu’aucune victime n’était à déplorer. Le Président Trump l’a bien souligné lors de son discours à la Maison Blanche le lendemain de l’attaque : « no Americans were harmed in last night’s attack by the Iranian regime. We suffered no casualties, all of our soldiers are safe, and only minimal damage was sustained at our military bases ». L’opération militaire a été justifiée de la façon suivante par l’Iran dans une lettre adressée au Conseil de sécurité :
« I would like to inform you that on 8 January 2020, in the early morning hours of Tehran time, in exercising our inherent right to self-defense in accordance with Article 51 of the United Nations Charter, the armed forces of the Islamic Republic of Iran took and concluded a measured and proportionate military response targeting an American air base in Iraq from which the cowardly armed attack against Martyr Soleimani was launched. The operation was precise and targeted military objectives thus leaving no collateral damage to civilians and civilian assets in the area (…) Seriously warning about any further military adventurism against it, Iran declares that it is determined to continue to, vigorously and in accordance with applicable international law, defend its people, sovereignty and territorial integrity against any aggression ».
Les questions principales que soulève cet argumentaire sont de deux ordres. On peut en effet se demander, d’une part, si l’Iran est fondé à agir en légitime défense en réaction à l’opération militaire des États-Unis visant le général Soleimani, et d’autre part, si l’Iran peut agir à cette fin sur le territoire irakien.
a) Une attaque iranienne en légitime défense contre les États-Unis ?
Pour que l’Iran soit fondé à invoquer son droit à la légitime défense reconnu à l’article 51 de la Charte des Nations Unies auquel l’Iran fait expressément référence dans la lettre adressée au Conseil de sécurité, il importe, premièrement, de vérifier que cette action visait à réagir et mettre fin à une « agression armée » dont l’Iran était l’objet et, deuxièmement, qu’elle était nécessaire et proportionnée à cet objectif.
Il semble assez clair que l’opération militaire lancée par les États-Unis pour éliminer le général Qassem Soleimani peut être considérée comme un emploi de la force contre l’Iran, au sens de l’article 2 § 4 de la Charte des Nations Unies. Mais l’opération est-elle suffisamment grave pour être qualifiée d’« agression armée » au sens de son article 51, comme le prétend l’Iran ? C’est vrai qu’il s’agit d’une action relativement ciblée. Mais cela n’empêche pas qu’on puisse la considérer comme une agression armée, si on se rappelle que, dans l’affaire des Plates-formes pétrolières opposant déjà les États-Unis à l’Iran, la Cour « n’exclut pas que le minage d’un seul navire de guerre puisse suffire à justifier qu’il soit fait usage du ‘droit naturel de légitime défense’ » (C.I.J., Recueil 2003, pp. 195-196, par. 72). Dans cette dernière affaire, la Cour avait écarté la qualification d’agression en l’absence d’éléments concluants pour imputer le minage du navire à l’Iran, mais en serait-il de même dans un cas comme celui de l’action du 3 janvier ? Au regard de son mode opératoire et de sa cible ainsi que du contexte dans lequel elle a eu lieu, peut-être la conclusion serait-elle différente. L’opération a consisté à tirer trois missiles qui ont totalement détruit deux véhicules et causé une dizaine de morts, dont le général Qassem Soleimani. Ce dernier était considéré comme l’un des plus hauts responsables militaires iraniens, voire comme l’un des cadres suprêmes du régime. En cela, l’action militaire du 3 janvier dernier se distingue d’incidents de frontières ou d’opérations limitées comme celles qui étaient en jeu dans l’affaire des Plates-formes pétrolières. Imagine-t-on, par exemple, qu’une action militaire iranienne qui consisterait à exécuter le général Mark A. Milley, chef d’État-major des armées des États-Unis, alors que ce dernier serait en visite officielle au Mexique, ne soit pas considérée comme une agression armée, de sorte que les États-Unis ne disposeraient pas d’un droit de légitime défense leur permettant de s’attaquer à des bases militaires iraniennes, par hypothèse là encore établies au Mexique ? A l’évidence, une opération militaire de cette nature semble bien atteindre le seuil déclenchant un droit de légitime défense au sens de l’article 51. Il est d’ailleurs significatif qu’à l’exception du Royaume-Uni qui a condamné l’attaque iranienne, les autres États, comme l’Arabie saoudite, la Turquie, ou encore l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne ont plutôt appelé les parties à la retenue et souhaité la désescalade de la violence en soulignant tout particulièrement la nécessité de préserver la souveraineté et la sécurité de l’Irak.
Cela étant, et on en vient au second point qu’il importe d’aborder, à considérer que l’Iran ait bien été l’objet d’une agression armée de la part des États-Unis, le choix des réactions que l’Iran peut adopter en légitime défense n’est pas illimité. Seules des actions « nécessaires et proportionnées » peuvent être menées, comme la Cour internationale de justice l’a notamment rappelé (références ci-dessus, point 2). Pour certains commentateurs, l’attaque iranienne du 8 janvier n’était pas nécessaire dès lors que l’attaque des États-Unis à laquelle l’Iran entendait réagir avait pris fin 5 jours plus tôt. A leurs yeux, cette circonstance montre qu’il s’agissait pour l’Iran, non pas de mettre fin à l’attaque des États-Unis, mais d’adopter une action punitive ou des mesures de représailles à leur encontre, ce que le droit international ne permet pas (voir Mary Ellen O’Connell, Marko Milanovic, et Adil Ahmad Haque). Il est vrai que certaines déclarations publiques par des officiels iraniens pouvaient le laisser penser dans un premier temps, comme c’est le cas par exemple des propos tenus par l’Ayatollah Khamenei le 6 janvier. Cela étant, la lettre envoyée par l’Iran au Conseil de sécurité qui précise l’objectif de l’attaque ne reprend pas cet aspect : il s’agit d’adopter « une réponse mesurée et proportionnée en visant une base aérienne états-uniennes en Irak de laquelle l’agression armée lâche contre le martyr Soleimani a été lancée » et de mettre « sérieusement en garde contre tout nouvel aventurisme militaire à son encontre », en rappelant que l’Iran est « déterminé à continuer de défendre, vigoureusement et conformément au droit international applicable, son peuple, sa souveraineté et son intégrité territoriale contre toute agression » (notre traduction, texte ci-dessus). Pour l’Iran, l’attaque entend à la fois réagir à l’opération militaire des États-Unis et signaler que le pays se tient prêt à riposter à nouveau si une nouvelle attaque devait être décidée. Il est toujours délicat d’apprécier ce qui est « nécessaire » pour mettre fin à une opération militaire. Mais dans un contexte où les États-Unis ont décidé le 3 janvier d’envoyer 3000 soldats supplémentaires dans la région, où le Président Trump déclare le 5 janvier sur Twitter que « si l’Iran devait frapper la moindre personne ou cible américaine, les États-Unis riposteront rapidement et pleinement, et peut-être de manière disproportionnée » et où le ministre iranien des Affaires étrangères se voit refuser un visa par les États-Unis l’empêchant de se rendre à une réunion du Conseil de sécurité à New York, il paraît en tout cas difficile d’exclure que l’opération iranienne visant deux bases militaires abritant des soldats états-uniens soit une mesure de légitime défense « nécessaire et proportionnée ». Plus généralement, une analyse trop limitée de ce qui est « nécessaire et proportionné » qui isolerait certains actes du contexte dans lequel ils s’inscrivent reviendrait à empêcher les États de réagir aux agressions armées dont les modes opératoires sont ponctuels, comme c’est souvent le cas lorsqu’on recourt aux drones, et de les priver de moyens de défense dont l’effet de dissuasion est indéniable, comme le cas présent semble le confirmer.
b) Une action iranienne en légitime défense contre l’Irak ?
Plus problématique cependant est la question de la licéité de l’attaque iranienne au regard de la souveraineté de l’Irak, lequel a envoyé une protestation formelle au Conseil de sécurité pour dénoncer cette attaque. Pour que la légitime défense puisse justifier des tirs de missiles sur le territoire irakien, il faudrait démontrer que cet État est responsable d’une agression armée contre l’Iran. Or, rien n’indique – et personne ne l’a d’ailleurs prétendu – que l’Irak puisse être tenu responsable, d’une quelconque manière, de l’opération visant Soleimani qui a, rappelons-le, également occasionné la mort de cinq irakiens engagés au sein du Kataeb Hezbollah ou d’autres unités des forces populaires de mobilisation dont on a vu que l’Irak souhaitait, en adoptant le décret du 1er juillet 2019, les intégrer au sein des forces de sécurité irakiennes. Le Premier ministre irakien a d’ailleurs affirmé au sujet de l’attaque des États-Unis : « The assassination of an Iraqi military commander holding an official position is an act of agression against Iraq, and the Iraqi people » (nous soulignons).
Certes, l’attaque visant Soleimani a sans doute été rendue possible par la présence militaire des États-Unis en Irak, une présence à laquelle l’Irak a consenti en 2004 et jusqu’à tout récemment comme l’a vu. Une telle acceptation ne suffit toutefois aucunement à considérer l’Irak comme étant responsable de cette attaque et, par là-même, susceptible en retour d’en subir les réactions. Pour que ce soit le cas, il faudrait montrer que cet État aurait admis que son territoire, qu’il a mis à la disposition des États-Unis, soit utilisé par ces derniers pour perpétrer un acte d’agression contre l’Iran, comme l’indique l’article 3 f) de la définition de l’agression annexée à la résolution 3314 de l’Assemblée générale. Aucun État n’a émis une telle prétention. Au vu de ces éléments, l’Iran n’était donc pas fondé à mener une attaque sur le territoire irakien.
Cette analyse n’est pas remise en cause par le fait que l’attaque iranienne n’a fait aucune victime – et, en particulier, aucune victime irakienne – et qu’elle n’a ciblé aucune base militaire ou infrastructure irakienne. Elle s’est déroulée sur le territoire de l’Irak, sans que ce dernier n’y ait consenti. En cela, l’Iran a violé la souveraineté de l’Irak et le principe de l’interdiction du recours à la force énoncé par la Charte des Nations Unies. Tant le président irakien Barham Salih que le président du parlement Mohamed al-Halbousi ont d’ailleurs affirmé que l’attaque iranienne « violait la souveraineté irakienne » (notre traduction). Le fait que l’Iran ait prévenu l’Irak quelques minutes avant l’attaque que son territoire serait touché par des missiles, en l’assurant que seules des bases dans lesquelles des soldats états-uniens étaient présents seraient visées n’y change rien. Seul un consentement clair et précis consistant pour l’Irak à accepter que l’Iran vise des cibles sur son territoire aurait pu exclure que l’attaque iranienne constitue, vis-à-vis de l’Irak, une violation du droit international. Cette analyse n’est pas affectée non plus par la déclaration formelle qu’on retrouve dans la lettre que l’Iran a envoyé au Conseil de sécurité, selon laquelle l’Iran rappelle son « entier respect pour l’indépendance, la souveraineté, l’unité et l’intégrité territoriale de la République d’Irak » (notre traduction). L’attaque militaire iranienne menée sur le territoire de l’Irak viole objectivement sa souveraineté et son intégrité territoriale, même si telle n’était pas son intention. Le critère de l’intention n’a aucun impact à ce sujet et on le comprend bien car il suffirait alors aux États de réfuter toute intention hostile pour échapper à leurs responsabilités. En d’autres termes, ni les États-Unis, ni l’Iran ne peuvent utiliser l’Irak comme un champ de bataille sur lequel ils pourraient mener des opérations militaires sans le consentement des autorités de Bagdad.
5. Les modalités des opérations militaires des États-Unis et de l’Iran sont-elles conformes aux autres règles du droit international prescrites par le droit des conflits armés et des droits humains ?
Au-delà de la licéité des faits indiqués ci-dessus au regard du jus contra bellum, des questions tout aussi importantes, quoique moins développées jusqu’à présent dans les réactions suscitées par les frappes du 3 janvier 2020, se posent concernant la conformité de ces frappes aux règles du droit des conflits armés et des droits humains. Agnès Callamard, Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a estimé que les assassinats ciblés du 2 janvier 2020 « sont très probablement illégaux et violent le droit international des droits de l’homme : en dehors d’un contexte d’hostilités actives, l’utilisation de drones et d’autres moyens d’assassinat ciblé n’est presque jamais licite » (notre traduction). Peu d’experts se sont posé la question de savoir si la mort de Soleimani pouvait être justifiée par le droit des conflits armés en tant qu’attaque dirigée contre un combattant. Cette question implique qu’on s’assure au préalable de l’applicabilité du droit des conflits armés aux frappes du 3 janvier. Il convient dès lors de se pencher d’abord sur la qualification de la situation au regard du droit des conflits armés (a). C’est sur cette base qu’on procédera par la suite à l’identification du droit applicable aux opérations militaires en cause et à leur conformité avec celui-ci (b).
a) L’existence d’un conflit armé international entre l’Iran et les États-Unis … et l’Irak ?
Contrairement à ce qui est valable pour les conflits armés non-internationaux, pour lesquels il faut prouver que les hostilités ont atteint un certain seuil d’intensité (voy. parmi beaucoup de sources, TPIY, arrêt Boskoski et Tarculovski, 10 juillet 2008, §177), une seule attaque suffit pour déclencher un conflit armé international. Ceci est confirmé par le nouveau commentaire de la première convention de Genève publié par le CICR en 2016, qui affirme que :
« For international armed conflict, there is no requirement that the use of armed force between the parties reach a certain level of intensity before it can be said that an armed conflict exists. Article 2(1) itself contains no mention of any threshold for the intensity or duration of hostilities. (…) Even minor skirmishes between the armed forces (…) would spark an international armed conflict and lead to the applicability of humanitarian law. » (§§236, 237)
Dans la lettre envoyée au Conseil de sécurité le 8 janvier 2020, les États-Unis affirment avoir mené leur action « en réponse à une série d’attaques armées de plus en plus nombreuses au cours des derniers mois par la République islamique d’Iran et les milices soutenues par l’Iran contre les forces et les intérêts américains au Moyen-Orient » (notre traduction). Si l’on suit cette affirmation et on considère que l’ensemble des actions menées contre les forces armées des États-Unis sont effectivement attribuables à l’Iran (ce qui comme on l’a vu ci-avant doit être étayé par des éléments de preuve suffisants), on peut conclure qu’un conflit armé international entre l’Iran et les États-Unis existait déjà avant les frappes du 3 janvier, du fait des hostilités préexistantes entre les deux parties, comme, par exemple, l’attaque du 27 décembre par le Kataeb Hezbollah contre une base militaire en Irak et celle du 29 décembre par les États-Unis contre les bases du Kataeb Hezbollah (voy. ci-dessus, sous 2).
Dans le cas inverse, au vu de ce qu’on vient de mentionner quant à l’absence de seuil d’intensité concernant les conflits armés internationaux, il n’est pas difficile de conclure qu’une opération militaire menée contre l’un des principaux dirigeants du corps de gardiens de la révolution islamique ainsi que de quatre autres membres gradés de ce corps (Brigadier General Hossein Pourjafari, Colonel Shahroud Mozafarinia, Major Hadi Taremi, Captain Vahid Zamanian), déclenche en lui-même un conflit international entre les États-Unis et l’Iran. Dans les deux cas, le résultat est le même : les frappes du 3 janvier sont régies par les règles du droit des conflits armés et leur licéité devra s’apprécier non seulement au regard des règles du jus contra bellum mais également au regard de celles du jus in bello. A cet égard, il est difficile de souscrire à la position, exprimée par plusieurs expertes et experts (Alonso Gurmendi, Agnès Callamard, Sarah Katarina Stein of Albert-Ludwigs-Universität Freiburg) selon laquelle la première attaque dans un conflit armé international – celle qui déclenche le conflit armé – serait exclue du champ d’application du droit international humanitaire. Cette thèse mènerait en effet à des résultats absurdes ou déraisonnables au regard de ce droit, comme par exemple l’impossibilité de poursuivre pour crime de guerre le responsable d’une frappe massive contre des civils. Il faut donc plutôt considérer que le droit des conflits armés s’applique dès le début de la première attaque, c’est-à-dire au moment du commencement de son exécution : dans ce cas, le droit des conflits armés s’applique dès que ses effets se font sentir, avec comme résultat la protection accordée aux victimes potentielles de sa violation.
Mais une question se pose : qu’en est-il de l’Irak ? Tant les attaques du 27 et 29 décembre 2019, que les frappes du 3 janvier 2020, ainsi que celles de l’Iran contre les bases de la coalition internationale du 7-8 janvier ont été menées sur le territoire irakien. Pourrait-on considérer que l’Irak est également impliqué dans un conflit armé international et, dans l’affirmative, contre qui ?
Si on se réfère aux lettres envoyées par les États-Unis et l’Iran au Conseil de sécurité citées plus haut, les frappes menées sur le territoire irakien n’étaient pas dirigées contre l’Irak. Toutefois, l’Irak a bel et bien subi les dommages matériels lors de ces opérations, qui ont également causé des victimes possédant la nationalité irakienne. A cet égard, l’élément décisif pour déterminer si l’Irak est impliqué dans un conflit armé renvoie au consentement du gouvernement irakien aux opérations mentionnées. Comme le précise le nouveau commentaire du CICR précité : « Any unconsented-to military operations by one State in the territory of another State should be interpreted as an armed interference in the latter’s sphere of sovereignty and thus may be an international armed conflict under Article 2(1) » (par. 237). Il existe en ce sens plusieurs précédents dans lesquels des États ont mené des opérations militaires contre des groupes armés non-étatiques sur le territoire des États tiers sans leur consentement, comme par exemple l’intervention de la coalition des États occidentaux et arabes contre l’ « État islamique » ou de la Turquie contre les rebelles kurdes sur le territoire de l’Irak ou de la Syrie. Dans les deux cas, il existait bel et bien un conflit armé international entre les États intervenants et la Syrie (ou l’Irak), malgré l’affirmation par les États intervenants que leurs opérations n’étaient pas dirigées contre la Syrie (pour l’intervention de la coalition en Syrie, voy. Vaios Koutroulis, « The fight against the Islamic State and jus in bello », L.J.I.L., vol. 29, 2016, pp. 834-842) pour la qualification de l’opération menée en octobre 2019 par la Turquie contre les Kurdes en Syrie, voy. Beth Van Schaack, Stanford law School, and Julia Brooks, NYU School of Law, and Vito Todeschini, International Commission of Jurists). Ainsi, en parallèle au conflit armé international qui oppose les États-Unis et l’Iran, les frappes du 29 décembre 2019 ont aussi déclenché un conflit armé international entre l’Irak et les États-Unis, au vu de leur condamnation par l’Irak en tant que violation de la souveraineté irakienne. La réaction du premier ministre irakien aux frappes du 3 janvier, selon laquelle « The assassination of an Iraqi military commander holding an official position is an act of aggression against Iraq, and the Iraqi people », ne fait que confirmer l’existence de ce conflit armé. De même, les frappes menées sur le territoire irakien par l’Iran ont aussi déclenché un conflit armé international, puisque l’Irak n’y a pas consenti, et a même considéré, comme on l’a vu, qu’il s’agissait là d’une « violation de sa souveraineté » (voir supra, 4).
Toutefois, cette qualification revêt à ce stade une portée largement théorique. En effet, les actions militaires tant des États-Unis que de l’Iran sont déjà régies par le droit des conflits armés du fait de l’existence d’un conflit international les opposant directement, de sorte que la superposition du conflit international avec l’Irak n’ajoute, pour le moment, rien au droit applicable. Reste, dans ce contexte, à se prononcer sur la licéité des opérations militaires en cause.
b) La conformité des opérations militaires des États-Unis et de l’Iran avec le droit des conflits armés et les droits humains
L’existence d’un conflit armé international entre l’Iran et les États-Unis implique que leurs opérations militaires doivent être conformes au droit des conflits armés. Cela ne signifie pourtant pas que ce droit est le seul applicable aux opérations en question. Il est en effet clairement établi que les règles des droits humains continuent à s’appliquer en situation de conflits armés, y compris aux activités militaires menées en dehors du territoire des États concernés (voy. C.I.J., Affaire des Armes nucléaires, Recueil 1996, p. 240, par. 25 ; Affaire du Mur, Recueil 2004, pp. 107-108, par.105-106 ; affaire des Activités armées sur le territoire du Congo, Recueil 2005, pp. 242-243, par. 216). Ainsi, par exemple, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié tant par l’Iran (le 24 juin 1975) que par les États-Unis (le 8 juin 1992), s’applique aux attaques que ces États ont menées ou mèneront en Irak. C’est dès lors à la lumière de ces deux corps de règles que la licéité de ces opérations devra être analysée.
Dans un premier temps, il faut aborder la question de la licéité de l’attaque du 3 janvier. Certains États (Iran, Irak, Russie, Cuba et Venezuela) ont qualifié cette attaque d’« assassinat ». De même, comme on l’a déjà vu, la rapporteuse spéciale des Nations Unies a qualifié la frappe ciblée du Général Soleimani de violation du droit international des droits humains. Ces positions correspondent-elles au droit international, ou l’attaque constitue-t-elle plutôt un acte licite de guerre ? A notre avis, si la mort du Général Soleimani et des autres personnes l’accompagnant peut à première vue paraître comme un acte licite de guerre, tel n’est pas le cas après plus ample analyse.
A priori, il est clair que le général Soleimani peut être considéré comme un combattant. Le « Corps de gardiens de la révolution islamique », dont il dirigeait l’une des composantes (la force « Al-Qods »), correspond en effet à la définition de forces armées d’une partie au conflit telle qu’énoncée dans la règle 4 de l’étude du CICR sur le droit international humanitaire coutumier et, dès lors, Soleimani constitue une cible militaire légitime au sens du droit des conflits armés. Dans cette mesure, l’attaque dirigée contre celui-ci est menée en conformité avec le principe de distinction tel qu’il est énoncé dans la règle 1 de l’étude du CICR sur le droit international humanitaire coutumier. Un raisonnement similaire peut être appliqué aux autres membres du corps de gardiens de la révolution islamique tués lors de cette frappe. Les cinq autres personnes tuées étaient soit membres du Kataeb Jezbollah (comme Abou Mehdi al-Mouhandis) soit appartenaient plus généralement aux Unités de mobilisation populaires (UMP), une coalition paramilitaire de milices également soutenues par l’Iran mais aussi affiliées aux forces armées irakiennes. Il est difficile d’établir avec certitude le statut des membres de l’UMP vis-à-vis de la structure militaire irakienne. Comme on l’a vu ci-avant, le message publié le 3 janvier sur Twitter par le gouvernement irakien parle d’agression du fait de l’assassinat d’un commandant militaire irakien ayant une position officielle (« Iraqi military commander holding an official position ») mais reste vague sur le statut des autres personnes tuées, qui sont qualifiées seulement de « figures irakiennes » (« Iraqi figures »). Le 4 janvier, le premier ministre irakien a proclamé 3 jours de deuil national pour honorer les personnes assassinés par les États-Unis en Irak. Dans tous les cas, la mort de ces personnes paraît justifiée à la lumière des règles du droit des conflits armés :
• soit parce qu’elles sont associées au conflit armé avec l’Iran en tant que membres de milices appartenant à l’Iran (ce qui est le cas du Kataeb Hezbollah selon la position des États-Unis) ;
• soit, étant donné les difficultés d’établir les liens entre le Kataeb Hezbollah et l’Iran mentionnées plus-haut, parce que les États-Unis sont en conflit armé non-international avec le Kataeb Hezbollah (pourvu que les conditions de l’existence d’un tel conflit puissent être établies) et c’est donc dans le cadre de ce conflit qu’elles peuvent diriger une attaque contre les membres de ce groupe armé ;
• soit, dans le cadre du conflit armé international avec l’Irak, parce que les personnes visées appartiennent à la structure militaire irakienne (ce qui est certainement le cas du commandant militaire irakien dont l’assassinat est qualifié d’agression par le gouvernement irakien et potentiellement aussi le cas des autres « figures irakiennes » mentionnées dans le message du gouvernement) ;
• soit, pour les personnes dont le lien avec les parties aux conflits armés existants ne puisse être établie, en tant que dommages collatéraux en vertu du principe de proportionnalité (règle 14 de l’étude du CICR sur le droit international humanitaire coutumier).
Toutefois, s’il paraît évident qu’un combattant peut faire l’objet d’attaque pendant un conflit armé, il n’en résulte pas que l’exécution de combattants sera toujours conforme aux règles du droit des conflits armés. De manière générale, il est reconnu que « [l]es belligérants n’ont pas un droit illimité quant au choix de moyens de nuire à l’ennemi » (article 22 du Règlement de La Haye de 1907), ce qui implique de s’assurer que d’autres moyens que la force létale ne puissent pas être utilisés (guide interprétatif du C.I.C.R. sur la notion de « participation directe aux hostilités, 2009, pp. 80 et 84 ; Éric David, Principes de droit des conflits armés, 6e éd., Bruylant, Bruxelles, 2019, pp. 314 et ss. ; Comité des droits de l’homme, observation n°36 sur le droit à la vie, 3 septembre 2019, CCPR/C/GC/36, par. 64). Cette condition est évidemment difficile à interpréter, et certains en déduisent qu’elle ne peut réduire la marge d’appréciation des États (voy. les critiques virulentes du guide interprétatif sur la notion de participation directe aux hostilités par Michael Schmitt et Hays Parks). Mais, ce qui est généralement admis, c’est que les nécessités militaires ne peuvent justifier un acte de « perfidie ». On pense plus spécifiquement ici à l’interdiction de tuer ou blesser par traitrise les individus appartenant à la nation ou à l’armée ennemie (règle 65 de l’étude du CICR sur le droit international coutumier et article 8 (2) (b) (xi) du Statut de la Cour pénale international). Selon le commentaire de la règle 65, cette interdiction couvre le fait d’attenter traitreusement à la vie d’un ennemi ce qui, comme l’indiquent plusieurs manuels militaires, inclut l’assassinat. Mais qu’entend-on par « assassinat » dans un conflit armé ? Et comment fait-on la distinction entre un assassinat et une frappe létale licite en temps de guerre ? C’est sur ce point que les avis divergent. Selon certains États comme les États-Unis, l’Australie ou encore le Canada, le concept d’ « assassinat » se limite aux individus qui ne sont pas des combattants :
« Assassination is the sudden or secret killing by treacherous means of an individual who is not a combatant, by premeditated assault, for political or religious reasons. (…) The prohibition against assassination is not to be confused with attacks on individual members of the enemy’s armed forces as those persons are combatants and are legitimate military targets » (Australie, Manuel du droit des conflits armés, 2006).
D’autres États, comme la Nouvelle-Zélande et Israël, semblent concevoir qu’un combattant puisse être exécuté de manière non conforme aux droits des conflits armés. Ainsi, le manuel militaire d’Israël donne l’exemple suivant de perfidie :
« an attempt on the lives of enemy leaders (civilian or military) is forbidden. As a rule, it is forbidden to single out a specific person on the adversary’s side and request his death (whether by dispatching an assassin or by offering an award for his liquidation) » (nous soulignons).
Ce deuxième point de vue reflète bien l’idée selon laquelle il existe des limites dans la manière dont on peut tuer un combattant dans un conflit armé. En l’occurrence, les actes des États-Unis semblent correspondre à la définition de l’« assassinat » donnée par le manuel militaire d’Israël, à ce point près qu’il ne s’agit pas d’avoir envoyé un tueur pour accomplir sa funeste besogne, mais bien d’avoir utilisé un drone. Il est important de rappeler à cet égard que, comme le soulignait le New York Times, la dernière fois que les États-Unis ont exécuté un chef militaire étranger de haut rang, c’était lors de la deuxième guerre mondiale. Depuis lors, aucun acte similaire d’exécution n’a eu lieu. Cette abstention de la part des États de viser les dirigeants civils et militaires étrangers vient en appui de l’interprétation selon laquelle une telle attaque serait problématique à l’aune des règles du droit des conflits armés. C’est dans ce contexte que plusieurs spécialistes ont dénoncé l’exécution du général Soleimani comme un « assassinat ».
La possibilité que cette attaque ait eu lieu au moment où Soleimani voyageait en Irak dans le cadre d’une mission diplomatique est de nature à accentuer le caractère problématique de la frappe. En effet, le premier ministre irakien a déclaré que la visite de Soleimani en Irak s’inscrivait dans le cadre des négociations avec l’Arabie saoudite menées avec la médiation de l’Irak. Le ministre des affaires extérieures de l’Iran a aussi confirmé que Soleimani était en Irak en mission diplomatique. Cette information a été rapidement démentie par les États-Unis, le secrétaire d’État, Mike Pompeo, déclarant le 7 janvier que les États-Unis « savent que ceci n’est pas vrai » et accusant le ministre des affaires extérieures iranien d’être un « propagandiste de premier ordre ».
Comme nous l’avons indiqué ci-avant, il est difficile de vérifier la véracité de cette information. Ceci étant, les personnes qui participent à des négociations en vue de la résolution d’un conflit ne peuvent pas être considérés comme des cibles militaires légitimes pendant la durée des négociations, même s’ils sont membres de forces armées. On retrouve cette idée dans la très ancienne règle stipulant l’inviolabilité des parlementaires, énoncée déjà au Règlement de La Haye de 1907 (article 32 et règle 67 de l’étude du CICR sur le droit international humanitaire coutumier). L’esprit de la règle implique que cette inviolabilité devrait avoir une portée erga omnes, en d’autres termes qu’elle devrait se concevoir non seulement à l’égard de l’État adverse au conflit mais également à l’égard des États tiers. A défaut, n’importe quel chef militaire (notion qui inclut les personnes politiques qui agissent en tant que chefs des forces armées tel, par exemple, le président des États-Unis) pourrait être tué à n’importe quel moment par un État avec lequel son pays est en guerre, même quand il ou elle participe à un sommet diplomatique. A nouveau, l’absence de toute pratique en ce sens semble confirmer le fait que les États ont la conviction qu’il s’agirait là d’une pratique proscrite par le droit international. La réaction du secrétaire d’État des États-Unis au sujet de la mission diplomatique de Soleimani est indicative à cet égard : les États-Unis n’ont pas affirmé que, du fait de son statut en tant que combattant, Soleimani demeurait une cible militaire légitime même en étant en mission diplomatique ; ils n’ont pas allégué non plus que cette prétendue mission était informelle, concernait un autre conflit ou ne leur était pas communiquée. Ils ont nié l’existence d’une telle mission. Ceci confirme que, à supposer que Soleimani voyageait dans le cadre d’une mission diplomatique en Irak, les frappes du 3 janvier paraissent bel et bien contraires aux règles du droit des conflits armés.
Si ces frappes sont effectivement contraires au droit international humanitaire, elles constitueront également une violation des règles des droits humains, à savoir notamment le droit à la vie. Comme on l’a vu ci-avant, le Pacte international des droits civiles et politiques reste applicable en temps de conflit armé et, comme le relève une doctrine abondante, on peut considérer qu’il doit être respecté par les États parties y compris lorsqu’ils mènent ce qu’on appelle des « targeted killings » (v. p. ex. Nils Melzer, Targeted Killing in International Law, Oxford, O.U.P., 2008, pp. 124 et ss.; Christof Heyns, Rapporteur spécial sur les exécutions judiciaires, sommaires ou arbitraires, A/68/382, 13 septembre 2013, p. 12, par. 51). Or, l’article 6 du Pacte interdit la privation « arbitraire » de la vie. Sur ce point, en application du principe d’interprétation conciliante énoncée dans l’article 31 § 3c) de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, les règles des droits humains doivent être interprétées à la lumière de ce qui est prévue par le droit international humanitaire. Dans un contexte de conflit armé, c’est essentiellement le droit humanitaire qui déterminera ce que constitue une privation arbitraire de la vie (Comité des droits de l’homme, Observation générale no. 36 du Comité des droits de l’homme précitée, par. 64). Ainsi, si l’on considère que les frappes du 3 janvier sont contraires au droit des conflits armés, alors les frappes en question constituent de ce fait également une privation « arbitraire » de la vie contraire à l’article 6 du Pacte des droits civils et politiques.
Conclusion
Selon certaines sources, le Premier ministre irakien aurait, le jeudi 9 janvier dernier, demandé par téléphone au Secrétaire d’État des États-Unis, Mike Pompeo, d’entamer les préparatifs d’un retrait des forces de son pays du territoire de l’Irak. Cette demande aurait été sèchement rejetée par Washington. Si ce refus de retrait se confirmait, les États-Unis seraient, quelles que soient les controverses qui peuvent concerner la licéité de leurs actions militaires des 29 décembre 2019 et 3 janvier 2020 au regard de la souveraineté de l’Irak, désormais responsables d’un acte d’agression, et même d’une véritable occupation (art. 3a) et e) de la définition de l’agression annexée à la résolution 3314 (XXIX) de l’Assemblée générale des Nations Unies). Une telle situation pourrait de prime abord conforter les propos annonçant la « mort du droit international » après les frappes du 3 janvier. Cela étant, si la crise actuelle marque indéniablement une remise en cause du droit international, spécialement dans la mesure où deux États (les États-Unis et l’Iran) estiment pouvoir utiliser un troisième (l’Irak) comme champ de bataille, il ne s’agit peut-être pas d’un précédent aussi exceptionnel que cela. Il suffit de penser au conflit entre le Rwanda et l’Ouganda qui se déroulait sur le territoire de la République démocratique du Congo en 2000, par exemple, ou plus récemment (même si la situation est différente), aux interventions militaires menées par les États de la coalition ainsi que par la Turquie en Syrie, sans compter les innombrables cas dans lesquels des actions militaires ont été menées en violation manifeste de l’interdiction du recours à la force (Yougoslavie en 1999, Irak en 2003, Ukraine en 2014, …). Dans ce contexte, il serait sans doute excessif de pointer le 3 janvier 2020 comme une date décisive, sans compter que proclamer la « mort » du droit international supposerait une sorte de consensus sur ce sujet de la part des États, alors que tel est loin d’être le cas à l’heure actuelle. On relèvera en ce sens que, le 9 janvier dernier, les membres du Conseil de sécurité ont adopté une déclaration reconnaissant « l’importance cruciale que revêt la Charte dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales et le développement du droit international, y compris les principes qui régissent les relations entre États en vue d’aider à prévenir le fléau de la guerre », et ajoutant que « tous les États et toutes les organisations internationale et régionales et autres doivent respecter [le Charte] ». Sur le papier, mais on sait qu’en droit les paroles comptent autant voire parfois plus que les gestes, personne, y compris l’administration Trump, ne remet en cause la Charte des Nations Unies en général et l’interdiction du recours à la force en particulier.
Certains aspects de la crise pourraient même témoigner d’un certain espoir pour le droit international de dépasser le seul ordre du discours, comme en témoignent ces propos du président Trump revenant sur son annonce d’ordonner la destruction de biens culturels en Iran. Une telle destruction aurait bien évidemment été totalement contraire au droit international (voy. règles 38 et suiv. de l’Étude du CICR sur le D.I.H. coutumier et article 8(2)(b)(ix) et 8(2)(e)(iv) du Statut de la Cour pénale internationale), comme l’ont relevé plusieurs spécialistes ou responsables politiques (v. p. ex. Héloise Goodley, Army Chief of General Staff Research, Chatham House; John Bellinger, Ancien conseiller juridique au Département d’État, Mark T. Esper, Secrétaire à la Défense des États-Unis). Prenant acte de ces avertissements, Donald Trump a affirmé que:
« We are, according to various laws, supposed to be very careful with their cultural heritage … And you know what? If that’s what the law is, I like to obey the law » (CNN, 7 janvier 2020).
A notre connaissance, aucun président des États-Unis n’a jamais osé une déclaration d’amour aussi émouvante en faveur du droit international. Il ne faut décidément jamais désespérer de l’espèce humaine, même lorsqu’on a l’impression que certains de ses représentants la mènent à sa perte, directement, en prenant parfois le risque d’une escalade guerrière potentiellement apocalyptique, ou indirectement, à défaut de préférer s’attaquer par des moyens pacifiques à des problèmes comme ceux du dérèglement climatique ou des inégalités croissantes dans le monde…
Une lecture des professeurs Olivier Corten, Anne Lagerwall, Vaios Koutroulis et François Dubuisson.
A lire aussi sur http://cdi.ulb.ac.be/a-propos-du-centre/membres-du-centre-2/francois-dubuisson-2/
Important à savoir
Olivier Corten est professeur à l’Université libre de Bruxelles, au Centre de droit international. Il a enseigné dans diverses universités en Belgique, en France, en Allemagne, en Espagne, en Italie, au Brésil et au Japon, ainsi qu’à l’ONU et à l’Académie de droit international. Olivier Corten a été conseil et avocat devant la Cour internartionale de Justice. Il est l’auteur ou le co-auteur d’une dizaine d’ouvrage, co-éditeur d’une quinzaine d’autres, et a publié plus de 250 articles dans diverses revues de droit international. Il est le co-directeur de la Revue belge de droit international.
Anne Lagerwall est Professeure de droit international dans la faculté de droit et de criminologie de l’Université libre de Bruxelles. Elle y enseigne notamment les cours suivants : » Public International Law » (avec Vaios Koutroulis), » Théories du droit international public « , » Approches critiques des droits de l’homme et de la femme « . Elle assure également, dans le cadre de la Faculté des sciences sociales et politiques, l’enseignement du cours d’ » Introduction au droit, y compris les aspects sociologiques du droit » (avec Julien Pieret). Anne Lagerwall est licenciée en droit, titulaire d’un diplôme d’études spécialisées et d’un diplôme d’études approfondies en droit international public ainsi que d’un doctorat en sciences juridiques de l’ULB.
Vaios Koutroulis est Professeur assistant à la Faculté de droit de l’ULB et membre du Centre de droit international de l’ULB. Sa thèse de doctorat, soutenue en 2011, porte sur les relations entre le jus ad bellum et le jus in bello.
Ses activités d’enseignant portent, entre autres, sur le droit international public, le droit international humanitaire et le droit international pénal. Il est intervenu, tant en Belgique qu’à l’étranger, dans le cadre de nombreuses formations en DIH destinées à des professionnels, y compris aux membres des forces armées.Il a à son actif plusieurs publications portant notamment sur le droit international humanitaire, dont une monographie intitulée « Le début et la fin de l’application du droit de l’occupation », publiée en 2010 aux éditions Pedone (Paris). Il a été membre de l’équipe ayant représenté la Belgique devant la Cour internationale de Justice dans le cadre de l’affaire Belgique c. Sénégal. Il est Directeur de la Revue de droit militaire et de droit de la guerre.
François Dubuisson est licencié en droit (1992), licencié spécial en droit international (1994) et docteur en droit (2005) de l’Université Libre de Bruxelles. Il est actuellement Professeur à l’U.L.B., chercheur au Centre de droit international, directeur du Master spécialisé en droit international et président du Réseau francophone de droit international (RFDI).