L’avenir de la juridiction constitutionnelle au Burkina Faso

Auteur: Kafando Nabasnogo et Tenkoudougou W.A. Boris

Plan sommaire:

I/ La juridiction constitutionnelle de la IVème à la Vème République
A- Des divergences du point de vue des attributs et de la saisine B- Des ressemblances du point de vue des statuts de membre et de l’autorité des décisions II/ Les enjeux liés aux innovations
A- La nouvelle structuration de la Cour B- Le mandat du Président

Introduction

Aux termes de l’article 152 alinéa 1 de la Constitution, « le Conseil Constitutionnel est l’institution compétente en matière constitutionnelle et électorale. Il est chargé de statuer sur la constitutionnalité des lois, des ordonnances ainsi que de la conformité des traités et accords internationaux avec la constitution ». Outre son Président, les membres du conseil constitutionnel (au nombre de neuf 09) sont nommés pour un mandat de neuf (09) ans renouvelable par tiers tous les trois (03) ans exceptés celui du Président. Malgré la nomination de certains de ses membres par des autorités politiques, cela n’enlève en rien le caractère juridictionnel de l’institution en ce qu’elle a une base légale, elle statue en droit, ses décisions sont revêtues de l’autorité de la chose jugée, son caractère permanent ainsi que la procédure qui est contradictoire devant elle surtout en matière électorale ou les parties peuvent se faire représenter par un Avocat. Cette composition du conseil constitutionnel a longtemps fait l’objet de nombreuses critiques au regard de l’influence de certaines autorités de nomination sur l’institution mais aussi qu’elle est peu représentative de certaines couches sociales, considérés comme pouvant renforcer l’indépendance et l’impartialité de la juridiction constitutionnelle. Ainsi les évènements survenus dans le pays les 30 et 31 Octobre 2014 ont marqué un grand changement dans l’histoire du pays et ses changements ne seront pas sans conséquence sur les institutions. La constitution du 11 Juin 1991 étant fortement contestée, un avant-projet du texte fondamental sera élaboré et remis au chef de l’Etat si bien qu’on s’interroge sur l’avenir de la juridiction constitutionnelle. Dans ce projet de constitution, il faut noter que les reformes ont trait également à cette institution et on se demande si les nouvelles réformes prévues dans cet avant-projet constituent-elles une meilleure structuration permettant une véritable indépendance à cette institution ? Quid des attributions et de l’utilité de cette juridiction ? Pour mieux appréhender ce travail il conviendra pour nous de voir les enjeux liés aux innovations relatives à cette institution (II) mais au préalable une étude sur la juridiction constitutionnelle de la IVème à la Vème république s’impose (I)

I. La juridiction constitutionnelle au Burkina

La présentation de la juridiction constitutionnelle sous la IVème République et celle prévue dans l’avant-projet de constitution de la Vème République présente des divergences du point de vue des attributions et de la saisine (A) mais aussi des ressemblances en ce qui concerne le statut de membre et de l’autorité des décisions de celles-ci (B).

A. Les divergences

Les divergences entre ces deux juridictions que nous verrons sous cet angle ont trait notamment aux attributions (1) et à la saisine (2).

1. Les attributions

A la lecture de la constitution de la IVème république et ses amples modifications, on remarque que certaines des attributions du conseil constitutionnel y figurant ont été reprisses dans l’avant-projet de constitution de la Vème république. Cependant on note quelques changements dans l’avant-projet de constitution. En effet des attributions de la Cour constitutionnel on peut remarquer que la Cour est compétente pour constater en dernier ressort la Haute trahison. Cela ne figurait pas dans les attributions de la juridiction constitutionnelle prévues à l’art.152. La constatation de la Haute trahison par la Cour Constitutionnelle peut se justifier du fait que dans l’avant-projet de constitution, la Haute Cour de justice a été supprimée.
En outre dans sa fonction de contrôle de constitutionalité, on note un ajout quant aux actes qui font l’objet d’un contrôle obligatoire. Ainsi, en plus des lois organiques et les règlements de l’Assemblée qui font l’objet d’un contrôle obligatoire1, l’avant-projet de constitution va plus loin en y ajoutant les lois de finances à ce contrôle. C’est d’ailleurs ce que témoigne l’art.167.al.1 de l’avant-projet qui dispose que : « les résolutions et les règlements de l’Assemblée Nationale, les lois organiques et les lois de finances sont soumis à la Cour constitutionnelle pour validation avant leur promulgation et leur mise en application ». A la lecture de cette disposition, on remarque qu’il s’agit de toutes les lois de finances qui sont soumises au contrôle obligatoire de la Cour qu’elles soient ordinaires ou organiques.

Enfin, en matière de révision de la constitution, il ressort de la constitution du 11 Juin 1991 que le conseil constitutionnel veille au respect de la procédure de révision de la constitution2, alors que l’avant-projet y ajout : et à la constitutionnalité des lois de révisions de la constitution.
Par ailleurs, une autre différence fondamentale entre le conseil constitutionnel et la Cour constitutionnelle est relative à la qualité des membres. Si aucune condition liée à la compétence professionnelle n’est exigée des membres du conseil constitutionnel, ni en ce qui concerne l’expérience juridique, l’avant-projet de constitution exige quant à lui une expérience professionnelle soit en matière juridique ou administrative.

2. La saisine Les différences entre le conseil constitutionnel actuel et la Cour constitutionnelle prévue dans l’avant-projet de constitution se fait ressentir aussi au niveau de la saisine.

En effet la saisine du conseil constitutionnel est limitée à des personnes bien déterminées. Il s’agit :
– le Président du Faso – le Premier ministre – le Président de l’Assemblée Nationale – un dixième (1/10) au moins des membres de l’Assemblée Nationale
Ainsi que tout citoyen soit directement ou par la voie de la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui le concerne.
Le conseil peut tout de même se saisir de toutes questions relevant de sa compétence s’il le juge nécessaire3.
La différence d’avec la saisine prévue dans l’avant-projet est que ce dernier étend la saisine à toute personne, qu’elle soit physique ou morale. Ainsi, on voit clairement qu’il y a une véritable volonté de ne pas restreindre la possibilité aux personnes morales de pouvoir elles aussi, saisir le conseil.
La saisine directe de la Cour par toute personne physique ou morale a un avantage en ce qu’elle permet, de résoudre le problème de l’exception d’inconstitutionnalité. En effet lorsqu’une exception d’inconstitutionnalité est soulevée devant une juridiction, il revient à cette dernière de renvoyer la question devant la juridiction constitutionnelle qui donne son avis. La question qui se pose est celle de savoir, qu’adviendrait-il si la juridiction devant laquelle l’exception d’inconstitutionnalité a été soulevée refuse de saisir la Cour. On voit de ce fait, qu’il pourrait y avoir un blocage d’où l’idée de la saisine directe. Cependant, malgré les divergences ci-dessus évoquées, ces deux juridictions présentent des similitudes.

B.Les ressemblances du point vue des statuts de membre et de l’autorité des décisions

Le conseil constitutionnel tout comme la cour constitutionnelle présentent des similitudes tant au niveau des statuts des membres (1) qu’au niveau de l’autorité de leurs décisions (2).

1. Le statut de membre

Dans la constitution du 11 Juin 1991 tout comme dans l’avant-projet de constitution, le statut de membre de la juridiction est la même. Ainsi dans l’avant-projet de constitution de la Vème république on peut lire à l’Art.169 al.4 : « les fonctions de membre de la Cour constitutionnelle sont incompatibles avec celles de membre du gouvernement et de tout mandat électif » cette même consécration se trouve dans la constitution de la IVème république4. 
Aussi les membres de la Cour sont au nombre de dix et sont nommés pour un mandat de neuf ans renouvelable par tiers excepté celui du président. 

2. De l’autorité des décisions de la juridiction constitutionnelle

Aux termes de l’article 172 de l’avant-projet de constitution : « les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent à toutes les autorités civiles, militaires, juridictionnelles et aux citoyens ».
En outre la constitution du 11 Juin 1991 consacre également cette autorité des décisions du conseil constitutionnel.5 Cela veut dire qu’ils s’agissent des décisions électorales ou des décisions de constitutionnalités, l’autorité revêtue par ces décisions est la même, c’est à dire ont une force obligatoire. Cependant, il ne faut pas voir en cette juridiction, une juridiction au-dessus des autres juridictions car il n’existe pas de hiérarchie entre celle-ci et le conseil d’Etat et la cour de cassation car ces deux dernières sont et demeurent les deux cours au sommet des deux ordres de juridictions.La juridiction constitutionnelle
reste une juridiction spécialisée en matière constitutionnelle. Il n’existe pas de sanctions au non-respect des décisions du conseil constitutionnel par les autres juges tout comme le conseil ne peut annuler les décisions des autres juges.

II. Les enjeux liés aux innovations

Dans l’avant-projet de constitution on peut effectivement remarquer bons nombres de changements en rapport avec la juridiction constitutionnelle du Burkina Faso. Ces innovations portent non seulement sur la structuration même de la cour (A), mais aussi sur le mandat de son président (B). Que peuvent alors être les enjeux ?

A. La nouvelle structuration

On peut remarquer ici qu’on est en face d’une cour à composition pluraliste (1) dans laquelle on confère une place importante aux juristes (2).

1. Une composition pluraliste

On peut noter un changement par rapport à la composition de la juridiction constitutionnelle. En fait l’actuel conseil constitutionnel est composé de :
-Trois magistrats de grade exceptionnel nommés par le président du Faso sur proposition du ministre de la justice ;
-Trois personnalités nommées par le président du Faso dont au moins un juriste ;
-Trois personnalités nommées par le président de l’assemblée nationale dont au moins un juriste.
Par contre la cour constitutionnelle sera elle composée de :
-Deux personnalités désignées par le président du Faso dont au moins une personnalité justifiant d’une expérience professionnelle confirmée en matière juridique ou administrative ;
-Deux personnalités désignées par le président de l’assemblée nationale justifiant d’une expérience professionnelle confirmée en matière juridique ou administrative ;
-Deux magistrats ayant le grade exceptionnel désigné par le conseil supérieur de la magistrature ;
-Un avocat inscrit au barreau du Burkina Faso désigné par le Barreau ; -Un enseignant chercheur en droit public titulaire de l’enseignement supérieur désigné par ses pairs ;
-Un représentant des organisations de défense des droits de l’homme et de promotion de la démocratie, ayant une expérience d’au moins dix ans en matière de défense des droits humains et de promotion de la démocratie titulaire d’au moins une maitrise ou un diplôme équivalent et désigné par ses pairs.
On peut de ce fait remarquer un élargissement des membres avec la présence notable d’un avocat inscrit au barreau, d’une place laissée à un enseignant chercheur en droit public et d’un représentant des organisations de défense des droits de l’homme. Ici on peut saluer le fait qu’il y’a un effort de représentation de toutes les couches sociales et administratives. Cela contribue en fait à garantir encore mieux l’indépendance de cette juridiction mais aussi l’impartialité des juges. Il est également à constater que les membres de l’actuel conseil constitutionnel sont essentiellement des personnalités nommées par des politiques, ce qui peut sous certains angles laisser croire que cette institution est politisée. Par contre le constituant tente de pallier à cela. Ce système, nous le pensons, sera bien vue et bien apprécié par le peuple burkinabé qui aspire à un changement réel.

2. La place prépondérante des juristes

Certes la composition de la cour sera pluraliste, mais le constat est que la plupart des membres seront des juristes. L’avant-projet de constitution confère ainsi une importante place aux juristes. Ce qui peut être loué car on sera en face d’une juridiction composée de membres très expérimentés dans le domaine du droit. A la différence du conseil constitutionnel on aura de nombreux juristes au sein de la cour et ces juges auront les connaissances nécessaires à même de comprendre et d’interpréter efficacement la constitution, on aura une juridiction digne de ce nom.
Cependant, l’autre conséquence est que cette composition peut avoir une facette plus ou moins discriminatoire, de ne prendre en compte que des hommes de droit. Il convient de noter que ces hommes de droits peuvent bien connaitre les textes mais ne pas avoir de connaissance dans certains domaines de la société, le fait sociétal ne pouvant pas être exclu, le droit lui-même étant battit sur les aspirations de la société. Nous pensons bon alors que pour éviter toute contestation il aurait été plus judicieux d’inclure expressément d’autres corps à la composition de la cour (notamment les économistes et les sociologues).  

B. Le mandat du président

Un autre aspect notable est le mandat du président, qui connait une innovation majeure, en ce que ce mandat est dorénavant fixe (2). On peut également réfléchir sur l’élection même du président (1).

1. L’élection du président de la cour

Selon l’article 169 de l’avant-projet de constitution, la cour a en son sein un président. Ce dernier est élu par ces pairs et à l’image de tous les autres membres il a une fonction incompatible avec celle de membres du gouvernement et de tout mandat électif. Etant une juridiction à composition fortement influencée par les juristes, c’est ceux-là même qui, par une majorité choisissent un leader. Un membre qui selon eux serait à même de coordonner et de diriger efficacement les affaires et les audiences de la cour. Le président sera en fait connu des autres membres en vertu de ces compétences et de ces connaissances dans le domaine du droit. Cela ne peut qu’être apprécié et accepté de tous et pourrait également donner l’image d’une manifestation concrète de l’impartialité, l’indépendance et de l’efficacité de la cour.

2. Un mandat fixe

En vertu de l’article 153 de l’actuelle constitution « (…) Les membres du conseil constitutionnel sont nommés pour un mandat unique de 9 ans. Ils élisent en leur sein le président du conseil constitutionnel. A l’exception des anciens chefs de l’Etat, les membres du conseil constitutionnel sont renouvelables par tiers tous les trois ans dans les conditions fixées par la loi. » On constate qu’ici il n’est pas fait mention expresse du mandat du président du conseil.
Par contre dans l’avant-projet de constitution 169 on précise clairement que « Le président de la cour constitutionnelle est élu par ses pairs pour un mandat de 9 ans. Les membres de la cour sont nommés pour un mandat unique de 9 ans. Toutefois, ils sont renouvelables par tiers tous les trois ans dans les conditions fixées par la loi, à l’exception du président de la cour constitutionnelle. » La remarque qu’on peut faire ici est que le mandat du président de la cour est dorénavant fixé à 9 ans et non renouvelable par tiers tous les trois ans. Cela revient à dire qu’il effectue forcement les 9 ans et qu’à l’issue de cela il est susceptible d’être remplacé. L’enjeu majeur ici est qu’il y’a une volonté exprimée d’observer une certaine alternance dans le poste de président, tout l’intérêt de fixer le mandat. Cela est une innovation cruciale pour un Etat qui se déclare démocratique et pour une cour qui aspire à l’impartialité et à l’indépendance.

Conclusion

Nous pouvons retenir que le projet de passer à une nouvelle république, marqué par la volonté de changer de constitution, aura de grandes conséquences, notamment sur les institutions publiques du pays. L’une de ses institutions touchées sera la juridiction constitutionnelle burkinabé. Cette juridiction connaitra de grandes innovations lui conférant un nouvel avenir. Cependant, il convient de noter également que le changement ne sera pas total. En fait le conseil constitutionnel présente des similitudes sous certains angles par rapport à ce que sera la cour constitutionnelle sous la cinquième république. Les innovations majeures porteront non seulement sur les attributions mais aussi sur la saisine même de la cour. Sans oublier les enjeux portant sur les changements, en l’occurrence ceux portant sur la nouvelle structuration, la place et le mandat du président de la cour constitutionnelle. Le peuple burkinabé aura à cet effet une juridiction constitutionnelle fortement remaniée et tenant compte des failles de l’actuel conseil constitutionnel et avec une tentative de palier aux éventuelles lacunes de cette juridiction. Il y a certes un effort fait, mais la cour constitutionnelle répondra-telle effectivement aux attentes du peuple ?

Bibliographie indicative

Textes normatifs :
– constitution du 11 Juin 1991 ;
– avant-projet de constitution de la Vème République ;
– loi organique n°011-2000/AN du 27 Avril 2000 portant composition, organisation, attributions et fonctionnement du conseil constitutionnel et procédure applicable devant lui ;
– loi organique n°034-2000/AN du 13 Décembre 2000 ;
– décret n°2002-537/PRES/PM/MJ portant nomination des membres du conseil constitutionnel ;
– décret n°2003-342/PRES/PM du 10 Juillet 2003 portant organisation et fonctionnement du conseil constitutionnel ;
– le règlement intérieur du conseil constitutionnel adopté le 4 Février 2010.
Ouvrages :
-Augustin LOADA, Luc.M IBRIGA « Droit constitutionnel et institutions politiques » ; collection précis de droit burkinabé ; mars 2007 ; 654 pages
-Annuaire international de justice constitutionnelle ; 1999 ; economica ; 792 pages
-Dominique Rousseau « Droit du contentieux constitutionnel » préface de George Vedel ; 9ème édition Montchrestien ; lexis Nexis ; 586 pages
Site :
www.Conseil-constitutionnel.bf

 

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