CAFE JURIDIQUE N°4: L’INTERET A AGIR DEVANT LA CIJ

La Cour internationale de justice (CIJ) a été instituée par la charte des Nations Unies en tant qu’organe judiciaire principal du système onusien. Son statut est annexé à la charte de l’organisation. Conformément à celui-ci, la Cour tranche les différends entre états se rapportant à des questions d’ordre juridique. Ce qui veut dire que les État ne peuvent saisir la Cour de litige n’ayant pas des implications Juridiques. C’est dire donc qu’un différend d’ordre Juridique doit présider à la saisine du juge. Il y a différend de l’avis de la Cour lorsque les prétentions ou réclamations de l’une des parties se heurtent à l’opposition manifeste de l’autre[1].Le différend  peut concerner l’application d’une convention ou une règle de droit international, tout comme il peut concerner le sens, c’est à dire l’interprétation d’une disposition ou une norme de droit international.

La Cour avant d’examiner la recevabilité de la requête doit au préalable se prononcer sur sa compétence. Elle n’aura besoin d’examiner la recevabilité de la requête que si elle est compétente. Et il n’est pas exclu que la cour soit compétente mais que la requête soit irrecevable. Par contre la requête ne peut être recevable sans que la Cour ne soit compétente.

Sur la compétence de la Cour, il faut dire qu’il est de règle que la cour ne peut connaître d’un différend entre États que si ceux-ci y ont consenti. En d’autres termes, les parties doivent avoir donné compétence à la cour pour statuer sur le différend. Ils disposent de plusieurs moyens pour donner compétence à la Cour. Ils peuvent accepter la compétence facultative de la Cour, tout comme ils peuvent prévoir dans leur accord en amont ou en aval que les éventuels litiges qui les opposeraient seront tranchés par la CIJ.

Dans ce deuxième cas, il peut s’agir d’un compromis ou d’une clause compromissoire.

Si tel est le cas, la Cour pourra se déclarer compétente pour trancher le litige en présence.

Quoique la Cour soit compétente, encore faut-il que la requête soit recevable, laquelle recevabilité s’apprécie au regard des critères de qualité à agir et d’intérêt à agir. Ce dernier critère est essentiel dans l’appréciation de la recevabilité de la demande étant donné que celle-ci sera déclarée irrecevable dans l’hypothèse où le demandeur n’aurait pas un intérêt à agir.

Dans l’affaire Sud-Ouest africain(arrêt du 18 juillet 1966), la Cour a bien rappelé que sans un intérêt juridique, les demandes des demandeurs (Ethiopie et Liberia ) devront être déclarées irrecevables. Pour la Cour, en l’absence d’un intérêt juridique pour les demandeurs, ce serait « manifestement inapproprié et hors de propos qu’elle se prononce sur leurs conclusions ».

Mais en quoi consiste cet intérêt ? Aussi bien au plan national qu’international, la demande en justice doit être justifiée par un intérêt à l’action. Cet intérêt peut résulter de la méconnaissance d’un droit subjectif dans ce cas, l’intérêt est dit personnel. Par contre l’intérêt peut être collectif du fait de la méconnaissance d’un droit collectif ou d’une liberté collective. Ça peut être dû aussi à une inobservation d’une règle à portée générale. Dans ce cas, l’intérêt à agir est lié à un intérêt général. L’intérêt n’est pas nécessairement matériel ou tangible car comme l’a relevé la Cour dans l’affaire sud-ouest africain : « un droit ou intérêt juridique ne se rapporte pas nécessairement à un objet concret ou tangible et peut être atteint même en l’absence de tout préjudice matériel ».

Devant la CIJ, un Etat doit justifier d’un intérêt particulier en saisissant la Cour sans quoi sa requête sera déclarée irrecevable par la Cour. Cet intérêt doit être réel, actuel. Toutefois, un Etat serait fondé à agir devant la CIJ sans avoir à justifier d’un intérêt particulier, notamment lorsqu’un de ses ressortissant ou ses intérêts propres ne sont lésés du fait d’un autre Etat. C’est le cas lorsque la requête du demandeur est liée à la méconnaissance d’une obligation erga omnes résultant d’une convention. C’est généralement le cas des conventions relatives aux droits de l’homme et au droit humanitaire qui ne visent pas à protéger les intérêts des Etats mais plutôt ceux des personnes en leur qualité d’être humain contrairement aux normes commerciaux. En effet, les normes commerciales peuvent légitimement se fonder sur la protection des intérêts réciproques des Etats. Ce qui n’est pas le cas des normes du DIH, lesquelles ne pouvant dépendre du respect réciproque ou équivalent des droits et obligations. En effet, ce genre de conventions ne consacrent pas des intérêts propres pour chaque Etat. Elles ne comportent que des obligations opposables à tous. A cet effet, il ressort de l’arrêt Barcelona traction que les normes de DIH énoncent des obligations envers l’ensemble de la communauté internationale. Ce qui implique que chacun des membres de la communauté a un intérêt juridique à leur observation. Dès lors tous sont fondés à exiger le respect de ces obligations.

Il en est de même lorsque le comportement d’un Etat est contraire à une norme impérative de jus cogens. Dans ce cas, l’Etat demandeur n’a pas à justifier d’un intérêt particulier à saisir la Cour. Dans ces deux situations, la demande de l’Etat est justifiée par un intérêt commun, celui qui découle du respect des obligations que la convention consacre.

A ce sujet, la Cour internationale de justice a déclaré au paragraphe 44 de son arrêt du sud-ouest qu’à l’égard des dispositions de certains traités et autres instruments internationaux de caractère humanitaire, « Des Etats peuvent demander qu’un principe général soit observé, même si l’infraction alléguée à ce principe ne touche pas à leur intérêt concret propre ».

De l’avis de la Cour, des Etats peuvent avoir un intérêt juridique à réclamer le respect d’un principe de droit international, même s’ils n’ont subi dans un cas d’espèce aucun préjudice matériel ou ne demandent qu’une réparation symbolique.

Elle a tenu la même observation dans son avis consultatif sur la validité des réserves sur le génocide de 1948. Elle a déclaré en l’espèce que dans les conventions telles celles relatives à la prévention et la répression du crime de génocide, les Etats parties ont tous intérêt à agir dans la mesure où leur action viserait non pas à faire valoir des intérêts propres, ce qu’ils n’ont pas d’ailleurs dans ce genre de conventions, mais à faire respecter l’intérêt supérieur de la convention. Elle a réitéré cette position dans l’affaire Sénégal contre Belgique.

 En résumé l’Etat a intérêt à agir parce que l’intérêt supérieur de la convention est compromise par le comportement de l’Etat défendeur.

Revue Juridique de l’Etudiant Burkinabé

La rédaction

ZOROME Noufou

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[1] Arrêt Sud-ouest africain, page 328.

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